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Regard critique · Justice sociale

Wallonie : les pénuries de main d’œuvre à l’ordre du jour

Comment se fait-il que les entreprises wallonnes ne trouvent pas de candidats compétents pour certains emplois offerts, alors que la Wallonie compte plus de 260.000 demandeurs d’emploi ?Cette question, vieille comme la montée du chômage, a déjà connu diverses réponses politiques et diverses dénominations : fonctions critiques,pénuries, difficultés d’appariement. Récemment, le plan Marshall prévoyait de consacrer 75 millions d’euros à cette problématique, en utilisant surtoutl’instrument de la formation. Le Forem a commencé à en opérationnaliser les grandes lignes depuis le début de cette année. Fin mars, c’est un rapport de recherchesur cette question que présentait le Dulbea (Département d’économie appliquée de l’ULB). Commandé par les ministres Arena (Formation – PS) et Marcourt(Économie et Emploi – PS), il s’appuie notamment sur neuf tables rondes sectorielles qui ont permis aux acteurs concernés – employeurs, salariés, Forem, enseignants,fonds sectoriels, intérim (Federgon) – d’échanger leurs points de vue1. Retour sur une question qui a déjà suscité beaucoup de mesures, sans queleurs effets n’aient toujours été visibles.

05-05-2006 Alter Échos n° 207

Comment se fait-il que les entreprises wallonnes ne trouvent pas de candidats compétents pour certains emplois offerts, alors que la Wallonie compte plus de 260.000 demandeurs d’emploi ?Cette question, vieille comme la montée du chômage, a déjà connu diverses réponses politiques et diverses dénominations : fonctions critiques,pénuries, difficultés d’appariement. Récemment, le plan Marshall prévoyait de consacrer 75 millions d’euros à cette problématique, en utilisant surtoutl’instrument de la formation. Le Forem a commencé à en opérationnaliser les grandes lignes depuis le début de cette année. Fin mars, c’est un rapport de recherchesur cette question que présentait le Dulbea (Département d’économie appliquée de l’ULB). Commandé par les ministres Arena (Formation – PS) et Marcourt(Économie et Emploi – PS), il s’appuie notamment sur neuf tables rondes sectorielles qui ont permis aux acteurs concernés – employeurs, salariés, Forem, enseignants,fonds sectoriels, intérim (Federgon) – d’échanger leurs points de vue1. Retour sur une question qui a déjà suscité beaucoup de mesures, sans queleurs effets n’aient toujours été visibles.

Globaliser les sources

On ne s’étonnera donc pas outre mesure de ce que les conclusions issues du rapport du Dulbea soient déjà connues dans les grandes lignes, voire déjà mises enœuvre. Le point crucial, c’est évidemment, la nécessité de mieux appréhender le sujet, qualitativement et quantitativement. Une telle objectivation passe par unemeilleure connaissance des pénuries, grâce à une vision d’ensemble du marché, des offres et des demandes, ainsi qu’un accord sur les définitions (voirencadré) et les méthodologies. À l’heure actuelle en effet, aucun acteur ne possède cette perspective et les études se multiplient sans coordination. Pour neprendre qu’un seul exemple, tant le Forem que Federgon (en collaboration avec le Cefora) produisent des études sur le sujet dont on retient principalement la liste des fonctions critiques quien émane. Si ces listes sont souvent convergentes, elles sont produites à partir de sources trop partielles : les offres transitant par le Forem pour les premières, les offres enintérim pour les secondes. Quant aux méthodologies de classement de telle ou telle fonction dans la catégorie « critique », elles ne sont pas nécessairementcompatibles.

Les chercheurs proposent donc l’établissement au sein de l’Observatoire wallon de l’Emploi (OWE) d’une liste qui fasse référence du point de vue des difficultés derecrutement et des pénuries existantes et potentielles. Selon les auteurs du rapport, devrait y être couplé, un système d’anticipation des tendances sur le marché dutravail2 (SIAMT) qui permette de « prévoir pour ne pas voir » les pénuries.

Après la connaissance, le passage à l’acte. Le rapport propose donc une batterie de mesures visant à augmenter le nombre de diplômés, leur expérience,ainsi que leur maîtrise de compétences particulières. En ce qui concerne ce dernier point, il apparaît en effet qu’une importante proportion des difficultés derecrutement serait liée à une insuffisante maîtrise de certaines compétences spécialisées, ce qui plaiderait en faveur de modules de formation courts etpointus ou de la mise en place d’années de spécialisation au niveau de l’enseignement qualifiant. C’est ainsi que le cabinet Arena annonce le lancement à titreexpérimental, dès la prochaine rentrée scolaire, d’une 7e année en Maintenance et diagnostic automobile (MDA). Il s’agit là de compléter laformation de base par des compétences particulièrement recherchées sur le marché.

À vrai dire, la plupart des actions suggérées ne constituent en fait que des prolongements de ce qui a déjà été entrepris en la matière :partenariat accru de l’enseignement technique et professionnel avec les Centres de compétence et les entreprises ; augmentation du nombre et/ou de la durée des stages ; mise en placed’un système en alternance à deux niveaux (le premier entre écoles et centres de compétences; le second entre écoles et entreprises) ; extension des mises ensituation professionnelle (Misip3) ; renforcement du partenariat entre les organismes de formation ; formation des enseignants et adaptation des contenus des cours des filièrestechniques et professionnelles aux réalités du secteur ; validation des compétences.

Enfin, pour ne pas faire peser sur la seule main-d’œuvre, la responsabilité de la résorption du problème, il s’agirait de pousser les entreprises àdévelopper une gestion prévisionnelle de leurs besoins et les inciter à utiliser des outils légaux tels que les groupements d’employeurs afin de répondre aux picsd’activité en offrant aux travailleurs un statut plus attrayant que celui d’intérimaires. Enfin, dans la mesure où les difficultés de recrutement sont moins liées,dans certains secteurs, à un défaut de compétences qu’à la pénibilité des conditions de travail, ce dernier axe pourrait également êtretravaillé avec profit par les employeurs.

De quoi parle-t-on?

• Il y a des tensions sur le marché du travail lorsqu’apparaissent des problèmes d’ajustement (difficultés d’appariement) entre offre et demande. Le problème est doncgénéralisé au niveau du marché mais ne concerne pas tant un manque d’offre par rapport à la demande, que la difficulté à faire se rencontrer l’une etl’autre.
• Il y a difficulté de recrutement lorsqu’une entreprise souhaite embaucher mais éprouve des difficultés à pourvoir des postes vacants (pour des raisonséminemment variables). Le problème est donc localisé au niveau de la firme.
• La pénurie de main-d’œuvre est une situation particulière où les entreprises sont rationnées : au salaire en vigueur, la demande de travail est plus grandeque l’offre adressée aux entreprises.
À proprement parler, il n’y a pas de pénurie de main-d’œuvre en Région wallonne. Tout au plus, peut-on en déceler des signes pour lesélectromécaniciens et dans le secteur des sciences du vivant (et plus particulièrement de l’industrie pharmaceutique) qui souffrirait d’un manque de gradués en chimie surl’ensemble de la Région. Pour le reste, c’est plutôt de difficultés de recrutement qu’il s’agit.

Un plan antipénurie au Forem

C’est préalablement aux conclusions de cette recherche – et préalablement à la conclusion de son nouveau contrat de gestion – que le Forem aopérationnalisé l’axe antipénurie du plan Marshall4 (5.1). L’Office régional a ainsi mis sur pied un plan d’actions destiné à répondre auxbesoins des entreprises et à mieux orienter les personnes dans leur recherche d’emploi.

Outre un volet d’études, destinées à mieux appréhender un phénomène dont, encore une fois, tous les acteurs s’accordent à dire qu’il reste tropimparfaitement connu, le Forem va lancer ses actions principalement en termes d’information, d’orientation et de formation professionnelles sur quatre axes :
• L’identification et l’anticipation systématiques des métiers en pénurie : le Forem étudiera quarante métiers sur quatre ans, soit un métier parmois.
• La traduction de cette identification en actions concrètes dans chaque direction régionale. Les difficultés de recrutement sont évidemment géographiquementventilées, ce que cache une analyse menée uniquement au niveau global. Au Forem, c’est d’ailleurs l’analyse de cette dimension sous-régionale du travail qui est principalementmise en avant.
• Des formations qui résolvent les pénuries décelées : l’objectif prévu pour 2006-2009 dans le cadre du plan Marshall est de 17.000 formationsadditionnelles.
• Un accompagnement concret des demandeurs d’emploi et la création d’une relation plus étroite avec les entreprises qui recherchent des compétences. Ceci signifie d’une partune individualisation des suivis, d’autre part un renforcement de la collaboration entre Forem Conseil et Forem Formation. Une meilleure synergie qui permettrait d’ailleurs de répondre auxconstats critiques établis par un audit du Forem dont la presse a fait écho ces dernières semaines, et qui se montrait particulièrement critique à cetégard.

Le screening pour mieux évaluer

Concrètement, chacun des quarante métiers qui seront analysés fera l’objet d’un « état des lieux ». On y détectera les causes, les lieux et l’ampleurde la pénurie. Pour réduire le fossé entre compétences acquises et compétences recherchées, le Forem définira en collaboration avec le secteur, lesactivités, compétences et exigences propres au métier. Cette collaboration débouchera sur la réalisation d’un référentiel emploi-métier et d’unréférentiel de « screening » des compétences : il s’agira à ce sujet d’éviter de redoubler le travail déjà élaboré par ailleurs, notammentau sein du consortium de validation des compétences.

Une fois ces outils mis en place, les demandeurs d’emploi qui cherchent à travailler dans le métier ciblé seront invités à participer à un «screening » de leurs compétences. À l’issue de ce screening, ils devraient être en mesure de se situer par rapport au métier : soit ils disposent descompétences nécessaires et sont aptes à répondre immédiatement à une offre d’emploi, soit ils ont besoin d’un complément de formation ponctuel, soitenfin, ils ne disposent tout simplement pas des compétences indispensables au niveau recherché. La logique, toujours la même, est une logique d’objectivation et de mise au jourdes compétences effectives plutôt que déclarées.

Enfin, c’est sur la visibilisation des offres d’emploi réputées difficiles à pourvoir que le Forem va travailler, via notamment un partenariat avec Sud Presse : chacun desquarante métiers « rares » fera l’objet d’une fiche de présentation dans les journaux de ce groupe au cours des quatre années à venir. Les métiers demaçon, boucher et technicien en maintenance automobile ont ainsi été les premiers présentés.

En tout ce sont 7,5 millions d’euros qui seront consacrés cette année à ces nouvelles mesures antipénuries estampillées Plan Marshall (pour un total de 75millions d’ici 2009). Mais ce ne sont pas les seules : au cabinet Marcourt, on insiste par exemple sur le lancement d’ici 2007 de la plate-forme IMT. D’inspiration québécoise

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, ce site internet devrait offrir une information à la fois complète, pratique et accessible sur le marché de l’emploi, l’enseignement et la formation. Métier parmétier, il devrait ainsi être possible de réunir en un seul lieu virtuel des renseignements sur les lieux de formation, les débouchés professionnels, etc.

Les difficultés de recrutement étant d’ordre systémique, et leurs causes étant à la fois nombreuses et interconnectées, leur résolution demande desactions à différents niveaux de pouvoir et de compétences. Si le cœur du dispositif de luttes se situe au niveau régional, la Communauté française aégalement un rôle à jouer via l’enseignement – qualifiant mais pas uniquement. Il est ainsi prévu que, dès la rentrée 2007, la durée des stageseffectués par les élèves de l’enseignement qualifiant soit obligatoirement portée à deux voire quatre mois. Le contrat pour l’école le prévoyaitdéjà : il s’agit de sortir d’un certain arbitraire qui règne actuellement ; pour le moment, ce sont en effet les chefs d’établissement qui décident de cettedurée. Par ailleurs, pour répondre à un autre problème d’appariement récurrent, la ministre Arena prévoit aussi le lancement d’un site qui facilite larencontre de l’offre des entreprises et de la demande des jeunes en matière de stages.

Même si le problème des difficultés de recrutement demeure relativement marginal par rapport à la question, à la fois beaucoup plus simple et beaucoup pluscomplexe à résoudre, du manque pur et simple d’emplois, l’espoir est d’arriver à réduire la part de ce « chômage évitable ». Une batteried’indicateurs devrait d’ailleurs permettre d’évaluer concrètement les progrès effectués en la matière. De même, cet aspect devrait occuper une place centraledans le prochain contrat de gestion du Forem, actuellement en cours de négociation.

1. Joffrey Malek Mansour, Anne Plasman, Robert Plasman (Dulbea ; Pour la solidarité ; Association d’économétrie appliquée). Objectivation des pénuries sur lemarché de l’emploi, rapport final. Le rapport complet ainsi qu’une synthèse d’une trentaine de pages sont disponibles sur le site du Dulbea.

2. Ce dispositif existe déjà. Il réunit huit fonds paritaires sectoriels, Forem Conseil, les CSEF (Comités subrégionaux de l’Emploi et de la Formation), la DGEmploi du Ministère de la région wallonne et l’Iweps (Institut wallon). Bon nombre de ces travaux – ayant servi de sources au présent article – sont accessibles sur le site de l’Observatoire
3. Pour plus d’informations sur ce séjour d’investigation et d’information dans un milieu professionnel que le chercheur d’emploi désire approcher, voir le site du Forem
4. Voir sur http://contratdavenir.wallonie.be Cliquer sur les actions prioritaires pour l’avenir wallon (p.21).
5. Voir sur http://imt.emploiquebec.net

Edgar Szoc

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