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Vouloir éradiquer la pauvreté c'est bien, y mettre les moyens, c'est mieux…

Les 15 et 16 octobre, s’est déroulée à Marseille, la septième rencontre européenne sur la pauvreté et l’exclusion sociale. L’occasion defaire le point sur les très maigres avancées européennes en matière de lutte contre la pauvreté mais aussi d’assister à une grande première dansl’histoire de l’Union européenne : la rencontre des ministres européens chargés de la lutte contre la pauvreté.

03-11-2008 Alter Échos n° 261

Les 15 et 16 octobre, s’est déroulée à Marseille, la septième rencontre européenne sur la pauvreté et l’exclusion sociale. L’occasion defaire le point sur les très maigres avancées européennes en matière de lutte contre la pauvreté mais aussi d’assister à une grande première dansl’histoire de l’Union européenne : la rencontre des ministres européens chargés de la lutte contre la pauvreté.

En mars 2000, le Conseil, en initiant la Stratégie de Lisbonne, avait demandé aux États membres et à la Commission européenne de prendre des mesures favorisantl’éradication de la pauvreté au cours de cette décennie. Pour 2010, année européenne de lutte contre la pauvreté, la Commission avait fixé, dansun grand élan d’optimisme, le taux de pauvreté1 maximal à 10 %. Échec sur toute la ligne puisqu’il atteint aujourd’hui 16 %1, soit 78 millionsde personnes dont 19 % d’enfants2. Si le taux est resté relativement stable depuis 2000, on est très loin de l’objectif fixé et lesinégalités de revenu3 ont plutôt augmenté entre 2000 et 2006. Une tendance commune à de nombreux pays européens.

Une recommandation au poids très faible…

C’est donc dans ce contexte peu réjouissant que s’est déroulée les 15 et 16 octobre la 7e table ronde européenne sur la pauvreté etl’exclusion sociale organisée par la Commission et la présidence française. Objectif : (re)mobiliser les troupes et élaborer des propositions concrètes. Lestravaux se sont articulés autour de la toute récente recommandation de la Commission européenne visant « la stratégie d’inclusion active des personnes les pluséloignées du travail »4, recommandation adoptée le 3 octobre dernier. Cette recommandation, qui s’appuie sur des travaux débutés en 2006,repose sur trois piliers : la garantie d’un revenu minimum suffisant, des politiques favorisant l’insertion sur le marché du travail et des services sociaux de qualité etaccessibles. Si les différents représentants de la Commission, à commencer par le Commissaire européen aux Affaires sociales et le directeur de la DG àl’Emploi, aux Affaires sociales et à l’Égalité des chances, n’ont pas manqué de se féliciter de cette « grande avancée », ducôté des associations de lutte contre la pauvreté et des syndicats, on ne cachait pas sa déception.

S’exprimant à la table ronde, le Belge Ludo Horemans, président du European Antipoverty Network (EAPN) prévient : « Bien que primordiale, l’adoptiond’une recommandation sur l’inclusion active n’apportera aucun changement pour les 78 millions de personnes dans l’UE vivant dans la pauvreté si elle n’est pasmise en œuvre efficacement dans le cadre d’une stratégie pour l’inclusion sociale plus large. Elle doit également être renforcée parl’intégration horizontale des questions de pauvreté et d’exclusion sociale dans toutes les politiques de l’UE et en particulier dans le suivi de la stratégie deLisbonne. Si on parle de politique d’activation, alors activons la Commission ! Elle doit être beaucoup plus active dans la mise en place d’un monitoring des États enmatière de lutte contre la pauvreté. »

« Si les décideurs européens veulent prendre l’agenda sur l’inclusion active au sérieux, ils doivent s’engager à investir dans lessystèmes de protection sociale et dans les services publics. Ils doivent aussi s’attaquer au phénomène grandissant des travailleurs pauvres », renchérit FintanFarrell, le directeur de l’EAPN.

Du côté de la Confédération européenne des syndicats (CES), on ne mâche pas ses mots : « La Commission parle sans cesse d’inclusion sociale enla liant à la remise au travail mais l’inclusion sociale, c’est aussi pouvoir se reconstruire avant de s’activer !, s’indigne Henry Lourdelle, conseiller à laCES. Quant aux services sociaux dont parle la recommandation, il faut qu’ils soient accessibles avec une sécurité juridique spécifique qui les fasse sortir de laconcurrence et de la commercialisation. Et si on parle de remise au travail, qu’on parle d’emplois de qualité car sur les 6,5 millions d’emplois créés dansl’UE ces dernières années, il s’agit surtout de temps partiels subis et d’emplois à faibles revenus. Si c’est cela qu’on entend par inclusionactive, alors nous ne sommes pas d’accord. Et soyons plus ambitieux ! Se limiter à une recommandation, c’est faire du recyclage ! En 1992, on a aussi adopté unerecommandation qui demandait d’octroyer un revenu minimum à tout le monde. Seize ans plus tard, il y a toujours deux pays de l’UE qui n’ont pas de revenu minimum. Enfin,j’en terminerai en disant que c’est très bien de réunir pour la première fois les ministres en charge de la lutte contre la pauvreté mais il faut que cetteréunion soit plus qu’une déclaration d’intentions, il doit y avoir des décisions accompagnées de moyens. C’est à la mesure des moyens qu’onmet sur la table qu’on mesure une volonté politique. »

Fixons-nous des objectifs chiffrés

En fait de moyens, la CES restera sur sa faim. Rien n’est sorti de ce premier sommet ministériel, qui a surtout servi de round de discussions sans décision formelle.Faut-il donc en conclure que la volonté politique n’y était pas ? Sans doute, d’autant que certains pays avaient cru bon de faire remplacer leur ministre par un chef decabinet et deux pays n’y ont même envoyé aucun représentant. Un signe du peu d’importance que les pays membres accordent à la stratégie d’inclusionsociale européenne ? C’est en tous les cas ce qui se chuchotait dans les couloirs du palais du Pharo à Marseille où se tenait la 7e table ronde.

Le Commissaire européen aux Affaires sociales, le Tchèque Vladimir Spidla, semble quant à lui bien conscient de l’urgence de la situation : « l’Europe estl’une des régions les plus riches au monde et a encore 78 millions de de ses habitants qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté, c’est complètement inacceptable ! Nousdevons en faire plus et changer notre approche. » Mais la responsabilité en incombe aussi aux États membres, ajoute-t-il. Le parlementaire européen, Jan Andersson,président de la Commission de l’Emploi et des Affaires sociales, tient le même discours : les politiques d’inclusion sociale doivent être intégrées dansles politiques sociales des États. « Je m’inqui&e
grave;te des conséquences de la crise financière sur les futures politiques sociales des États, remarque JanAndersson. Il y a un risque réel d’une augmentation importante de la pauvreté en Europe. »

Et le sommet européen, rassemblant les ministres des Finances, qui se tenait au même moment à Bruxelles, a fait grincer des dents plus d’un participant à la tableronde. « Ce serait vraiment incroyable et mal venu si l’argent rassemblé pour endiguer la crise financière actuelle devait porter atteinte aux investissementsnécessaires pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Les banques ne sont pas les seules à avoir besoin de soutien financier, les politiques de lutte contre lapauvreté et l’exclusion aussi ! », a tempêté Finton Farell, directeur de l’EAPN.

Jean-Marc Delizée (PS), secrétaire d’État à la pauvreté, qui représentait la Belgique à Marseille, s’est inquiété, luiaussi, des conséquences de la crise financière sur l’emploi. Et revenant sur la récente recommandation sur l’inclusion active des personnes exclues du marché dutravail, il a insisté sur la qualité des emplois. « Attention de ne pas promouvoir une politique d’activation pure et dure. Il faut aussi des emplois de qualité,sinon on précarise davantage les gens. Et puis, il y a un public qui est très loin de l’emploi, il faut s’occuper de lui aussi. Le revenu minimum est un droit. Je ne suispas pour le limiter dans le temps. »

Quant à l’avenir, le secrétaire d’État se veut plutôt optimiste : « l’année européenne de lutte contre la pauvreté, en 2010,se profile, c’est une excellente opportunité pour faire bouger les choses, et la Belgique sera à la présidence de l’Union à ce moment-là. Nous pouvonsfaire bénéficier les autres pays de certaines bonnes pratiques comme celles de nos « experts du vécu » qui permettent de faire participer les personnes pauvres aux décisionsqui les concernent. Ces experts sont désormais présents dans toutes les grandes administrations du pays. Quant à nos chiffres, nous n’avons pas à en rougir, noussommes plutôt dans la moyenne haute mais il y a encore de gros efforts à fournir si on veut que le revenu minimum atteigne 60 % du revenu médian. Jusqu’àprésent dans l’UE, seule la Grande-Bretagne y est arrivée. Il faut pouvoir se fixer des objectifs. J’ai déposé, le 4 juillet dernier, un plan de lutte contrela pauvreté qui va dans ce sens ; il va être évalué tous les quatre mois. » Reste à voir si ce plan sera suivi d’effets car son exécutiondépend pour l’essentiel des compétences d’autres ministres… mais ceci est une autre histoire…

Quelques données sur la pauvreté en Europe

Qui sont les plus touchés ?

Les familles monoparentales sont, de loin, les plus exposées. Près d’un tiers d’entre elles vit en-dessous du seuil de pauvreté (chiffres similaires pour laBelgique). Les moins de 25 ans et les plus de 65 ans figurent également parmi les plus touchés : 20 % des membres des deux classes d’âge vivent en-dessous du seuil depauvreté. Pour les jeunes la situation s’est stabilisée depuis 2000 mais pour les personnes âgées, la pauvreté s’est aggravée depuis cette date.Près de 15 % de jeunes de 18 à 24 ans ont quitté l’école prématurément, une proportion qui atteint des niveaux très élevés auPortugal et à Malte.

Le travail protège-t-il de la pauvreté ?

En Europe, 8 % des personnes qui travaillent vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Certains pays sont plus exposés à cette forme de pauvreté : plus de 10 % enGrèce, en Lettonie, en Pologne et au Portugal. En France, ce taux est de 6 % et en Belgique, de 4 %.

L’impact du revenu minimum sur la pauvreté et l’incitation à l’emploi

Les différences de taux de pauvreté s’expliquent en partie par les systèmes nationaux de transferts sociaux et, plus particulièrement, par les systèmes desoutien au revenu lorsqu’ils existent. Ces dispositifs sont plus ou moins généreux et plus ou moins ciblés sur certaines catégories de public, comme par exemple lesfamilles. Dans la plupart des États membres et pour la majorité des types de famille, l’aide sociale à elle seule ne suffit pas à sortir lesbénéficiaires de la pauvreté. Le Royaume-Uni est le seul état membre dans lequel le revenu net des bénéficiaires de l’aide sociale dépasse leseuil de pauvreté pour tous les types de ménage. Ce n’est qu’au Danemark, aux Pays-Bas, en Suède et en Irlande que les personnes seules bénéficiant del’aide sociale sortent de la pauvreté. Dans tous les autres États membres, elles restent en dessous du seuil. Le recours (personnes ciblées qui font effectivement valoirleurs droits) peut également être plus ou moins systématique. Selon les estimations, le recours à l’aide sociale au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et auxPays-Bas varie de 40 % à 80 %.

Les trappes à inactivité (ou pièges à l’emploi), un phénomène commun à tous les pays européens

En Europe, en moyenne 75 % des revenus sont taxés lorsqu’une personne seule passe du régime fiscal de l’assistance à celui du travail. Ce taux moyend’imposition a progressé entre 2001 et 2006. Le taux d’imposition dépasse même 80 % dans une dizaine de pays : il atteint, 91 % au Danemark, 87 % en Suède. EnFrance, il est de 81 %. C’est pour s’attaquer à ce type de problème que des changements ont été apportés récemment à certainssystèmes de revenu minimum (par exemple le working families, tax credit au Royaume-Uni et le Revenu de solidarité active en France).

1. Proportion d’individus vivant dans des ménages dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian national.
2. Il est de 14,9 % en Belgique (17 % en Wallonie), un taux qui a augmenté depuis 2000 où il était à 13 %.
3. Rapport entre la part du revenu total perçu par les 20 % de la population ayant le revenu le plus élevé et la part du revenu total perçu par les 20 % de la populationayant le revenu le plus bas.
4. Recommandation de la Commission du 03/10/2008 relative à l’inclusion active des personnes exclues du marché du travail – C(2008) 5737.

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