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Regard critique · Justice sociale

Un retour de moins en moins volontaire ?

Alors que se prépare un « trajet de retour », de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la tendance à faire du retour volontaire unoutil de gestion migratoire.

22-06-2012 Alter Échos n° 341

Les migrants qui acceptent de retourner volontairement dans leur pays d’origine sont de plus en plus nombreux. Des associations dénoncent le rapprochement malsain qui s’opère entreretour volontaire et retour forcé. Le trajet de retour, inscrit dans la loi en janvier dernier, en serait la plus parfaite démonstration.

Le retour volontaire se porte bien. En 2011, si l’on en croit le rapport annuel de Fédasil1, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, ils furent3 358 migrants à retourner volontairement dans leur pays. Anciens demandeurs d’asile, demandeurs d’asile en procédure ou sans-papiers, ils sont chaque année plus nombreuxà consentir à un retour (ils étaient environ 2 900 en 2010 et 2 600 en 2009). Parmi eux, de plus en plus de migrants bénéficient du programme deréintégration, qui permet de recevoir une aide supplémentaire et un accompagnement poussé, pour reprendre pied dans le pays d’origine.

Mais ces retours sont-ils réellement volontaires ? Pas vraiment, clament certaines associations qui dénoncent l’articulation de plus en plus serrée entre retourvolontaire et retour forcé. Le « trajet de retour », inscrit dans la loi sur l’accueil des demandeurs d’asile depuis janvier 2012 (cfr encadré), en serait unenouvelle preuve, avec au menu une collaboration poussée entre l’Office des étrangers et Fédasil et le spectre d’un retour forcé en cas de non-collaboration du migrantà son retour « volontaire ». Les centres ou places de retour en seraient un autre signe.

Trajet de retour : ce qui se prépare

– Depuis janvier 2012, un « trajet de retour » est prévu dans la loi sur l’accueil des demandeurs d’asile.

Le trajet de retour privilégie le retour volontaire.

Lorsqu’un demandeur d’asile s’est vu notifier un ordre de quitter le territoire, le trajet de retour doit être établi et exécuté dans le délai d’exécutionde cet ordre (en général trente jours).

Au plus tard au moment où le demandeur d’asile s’est vu notifier l’ordre de quitter le territoire, l’Office des étrangers doit être informé et tenu au courant de lasituation et de l’avancement du trajet de retour, qui est, à partir de ce moment, géré conjointement par Fédasil et l’Office des étrangers.

Si Fédasil ou l’Office des étrangers estime que le demandeur d’asile ne coopère pas suffisamment au trajet de retour, son départ étant reporté àcause de son seul comportement, la gestion du trajet de retour et le dossier administratif y afférent sont transférés à l’Office des étrangers, en vue d’un retourforcé.

– Concrètement

Même si l’arrêté royal précisant les modalités concrètes d’application du trajet de retour n’est pas encore prêt, il se pourrait que le demandeurd’asile débouté n’ait que trois jours pour faire une demande de retour volontaire. Il serait dès lors transféré vers une « place retour »intégrée dans les structures d’accueil de Fédasil. Si, dans les quinze jours, le projet de retour volontaire n’avance pas et qu’on constate que la personne ne collabore pas,alors son dossier devrait être transmis à l’Office des étrangers pour un départ forcé.

– Centres de retour

A côté du centre de retour qui sera géré par l’Office des étrangers, on compterait environ 300 places de retour dans le réseau d’accueil des demandeursd’asile.

Un vrai effort pour la réinsertion

Chez Fédasil, on explique le succès grandissant du retour volontaire par plusieurs facteurs. Tout d’abord, on constate que l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile a un impactmécanique sur le nombre de demandes de retour volontaire. Mais pour Peter Nelen, chef de service de la cellule Retour volontaire de Fédasil, ce qui est vraiment important, c’est que« désormais, on parle de plus en plus aux migrants et demandeurs d’asile avec un message clair et cohérent : vous êtes les bienvenus en Belgique, on examine votredemande mais si c’est négatif, vous devez partir ». Pour partir, il existe des options intéressantes, dont le retour volontaire et surtout les programmes deréintégration. Fédasil s’efforce donc d’informer à tout-va sur ces programmes. Le dernier élément explicatif de ce « succès » duretour volontaire serait, toujours selon le responsable de la cellule « Retour », le soutien substantiel offert par le programme de réintégration :« Il y a eu un vrai effort pour développer le programme de manière crédible, avec des moyens. Sans ça, personne ne voudrait vraiment rentrer. Le programme deréintégration ça rend le retour réellement faisable, avec des partenaires sur place qui prennent le relais. Si la personne craint des obstacles à son retour, onpeut aider les migrants à franchir ces obstacles. » Le trajet de retour qui s’annonce, Peter Nelen ne le craint pas, au contraire : « Avec le trajet de retour, lemessage va devenir beaucoup plus clair. »

Une politique de retour volontaire qui s’inscrit uniquement par rapport au retour forcé

Du côté des acteurs associatifs qui gravitent autour des migrants, on ne l’entend pas vraiment de cette oreille. Au Ciré2, par exemple, on se méfieconsidérablement de ce trajet de retour que l’on prépare encore chez Maggie De Block (Open-VLD), la secrétaire d’Etat à la politique de Migration et d’Asile. Pourtant,l’association se fait un point d’honneur à défendre l’idée d’un retour volontaire comme option dans le parcours migratoire. C’est ce que nous explique Sylvie De Terschueren,spécialiste de la question au Ciré : « Un véritable retour volontaire offre de nombreux avantages, pour le demandeur d’asile débouté, pour lasociété belge et pour la société du pays d’origine. Un accompagnement psychosocial intensif et continu après une décision négative des instancesd’asile permet au demandeur d’asile débouté de repenser son parcours migratoire et de se préparer à une nouvelle vie dans le pays d’origine. » On devine encreux que c’est l’approche actuelle du retour volontaire qui est montrée du doigt. Ce que confirme l’experte du Ciré : « Avec le trajet retour et les places de retour,nous craignons que le retour volontaire soit la conséquence de moyens de pression et non celle d’un choix assumé. Depuis 2011, avec le prétexte de la crise de l’accueil, onobserve un durcissement des dispositifs de retour volontaire. On bascule d’une politique de retour volontaire comme option dans le parcours migratoire (avec un accompagnement au retour dequalité, des perspectives de réintégration durable…) à une politique de retour volontaire qui s’inscrit de plus en plus fortement et uniquement par rapport au retourforc&ea
cute;. »

Même son de cloche du côté de La Ligue des droits de l’homme3 où Marie Charles constate que « le retour volontaire tel qu’il estprésenté aujourd’hui n’a plus grand-chose de volontaire. La personne sait juste qu’elle échappera au retour forcé ». Ce qu’elle dénonce plusparticulièrement, c’est le rôle des assistants sociaux « à qui l’on va donner toute une série de tâches qui ne rentrent pas dans leur mission d’accueil.Les assistants sociaux sont censés assister la personne mais là, ils auront une double casquette et leur rôle va de plus en plus s’apparenter à celui « d’agent de retour »,comme dans les centres fermés. Ils devront certainement faire signer des documents aux migrants pour transmettre des informations d’identification à l’Office desétrangers. »

« La responsabilité, c’est le migrant qui la prend »

Chez Fédasil, on réfute cette façon de voir le retour volontaire. Peter Nelen va même jusqu’à affirmer que le retour « est plus volontaire qu’avant.Grâce au paquet conséquent pour la réintégration, grâce aux partenaires locaux qui aident dans les démarches, qui aident à la mise en place de projets,rentrer volontairement devient un vrai choix ». Mais la pression qu’exerce la menace d’un retour forcé, ne remet-elle pas en cause l’idée de retour« volontaire » ? « Non, nous rétorque Peter Nelen. Ce n’est pas soit le retour forcé soit le retour volontaire. Les gens savent depuis ledébut que lorsque la procédure arrive à terme, l’accueil se termine et qu’il faut quitter le territoire. Avec le trajet retour, ils sauront qu’ils peuvent soit disparaîtresoit avoir une place en accueil retour. La responsabilité, c’est le migrant qui la prend et fait ses choix de manière informée. »

Pourtant, les orientations récentes suscitent le malaise, y compris chez des opérateurs de retour volontaire. C’est le cas de Caritas qui organise un tiers desréintégrations dans le pays d’origine (les deux autres tiers sont le fait de l’Organisation internationale des migrations). Anne Dussart, responsable de service, s’interroge par exemplesur la durée de trente jours prévue pour organiser ce trajet de retour : « Une durée insuffisante. On travaille quand même avec des êtres humains, cen’est pas des machines qu’on déplace. Le risque de ce trajet de retour c’est que les gens n’aillent pas dans les centres ou les places de retour. » Anne Dussart prône uneapproche « sociale » du retour volontaire où l’on « prend le temps d’un accompagnement. Où l’on s’intéresse à ce que deviennent les genslà-bas. Nous essayons de favoriser la réintégration à travers de nombreux facteurs (la santé, l’école, les formations) et pas seulement par l’argent. Cevolet plus large de la réintégration est mis de côté par une gestion purement migratoire du retour. Le seul but du retour volontaire, désormais, c’est que les genspartent, pour avoir de bons chiffres et montrer que la gestion des migrations se passe bien. »

1. Fédasil :
– adresse : rue des chartreux, 21 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 213 44 11
– courriel : info@fedasil.be
2. Ciré :
– adresse : rue du vivier, 80-82 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 629 77 10
– courriel : cire@cire.be
3. Ligue des droits de l’homme :
– adresse : rue du boulet, 22 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 209 62 80
– courriel : secretariat@liguedh.be
4. Caritas international Belgique :
– adresse : rue de la charité, 43 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 229 36 11
– courriel : infofr@caritasint.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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