Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Un projet « Patient responsable, caries en moins »

Les Mutualités libres suggèrent de responsabiliser les patients en matière de santé bucco-dentaire.

29-03-2010 Alter Échos n° 292

Les Mutualités libres (ML)1 ont mis sur la table un projet de « trajet de soins dentaires préventifs personnalisé ». Vaste plan deprévention en matière de santé bucco-dentaire ou un moyen de plus pour réaliser des économies ? Les ML prônent une plus grande responsabilisation despatients.

Les Mutualités libres, en collaboration avec le professeur Jacques Vanobbergen, de l’Université de Gand, ont mené une étude2 portant sur la préventiondes problèmes bucco-dentaires. Parmi les résultats qui en ressortent : le risque de caries varie dans une fourchette de 3 à 96 %, et les personnes d’un niveausocio-économique peu élevé ont 14 fois plus de risques d’appartenir au groupe à risque élevé et 6 fois plus de risques d’appartenir au groupe moyen.

Pour les Mutualités libres, il faut organiser un vaste plan de prévention qui ciblerait les groupes à risque via la mise sur pied de « trajets de soinsindividualisés ». Un trajet de soins préventifs qui comporterait la réalisation d’un profil de risque du patient, des conseils d’hygiène buccale, un programmeau fluor, des conseils alimentaires ainsi que l’estimation des facteurs environnants (état général de santé, facteurs microbiens). En bref, nous explique Regina De Paepe,experte aux ML, il s’agit « d’éduquer le patient par rapport à la santé dentaire ». Les ML souhaitent proposer la concrétisation de ce planpréventif à Dentomut (la Commission des conventions dento-mutualistes) dans le courant du printemps 2010.

Inégalités de santé, impact dentaire

L’Institut scientifique de santé publique a publié une partie des résultats issus de l’enquête de santé par interview pour l’année 20083, dontdes chiffres relatifs la santé bucco-dentaire. Certains indicateurs s’avèrent intéressants. Les résultats attestent du lien important entre le profilsocio-économique et tous les indicateurs étudiés : ils montrent la relation entre le niveau d’éducation et le fait d’avoir perdu toutes ses dents, de porter uneprothèse dentaire ou encore de se brosser régulièrement les dents.

La santé dentaire serait un des domaines où les inégalités sociales sont les plus marquées. « Ces inégalités sociales peuvent êtreexpliquées en partie par des différences dans les habitudes alimentaires, dans l’utilisation des soins dentaires préventifs et par le manque d’intérêt pour unedentition saine et d’une bonne hygiène en général », peut-on y lire. Or la santé bucco-dentaire, importante pour ses fonctions essentielles, savoir manger etparler, l’est également pour des aspects esthétiques et sociaux. Mais aussi parce que les problèmes de santé buccale sont souvent associés à d’autrestroubles de la santé. Certaines recherches auraient démontré un lien entre problèmes dentaires et arthrite, maladies cardio-vasculaires, diabète, emphysèmepulmonaire, hépatite C, l’obésité ou encore les accidents vasculaires.

Limiter le tiers-payant…

Là où le bât blesse, c’est que les ML proposent de « moduler les niveaux de remboursement selon le niveau d’assiduité de l’assuré dans le suivi desmesures préventives. » Ce principe existe déjà dans le cadre de l’assurance obligatoire, où le remboursement du détartrage est lié àl’obligation d’une visite annuelle chez son dentiste. Le tiers-payant ne serait plus uniquement appliqué sur la base de la situation financière. Il serait aussi couplé à« une attitude plus responsable et préventive de la part du patient ».

« Beaucoup de voix s’élèvent actuellement pour le tiers-payant généralisé, nous explique Regina De Paepe. Nous ne sommes pas pour, nous sommes pour untiers-payant intelligent. Les soins devraient être gratuits pour certains patients motivés à suivre le plan de soin. » L’idée n’étant pas d’abandonner lesremboursements existants si les budgets le permettent. « Mais si le budget est plus limité, ajoute-t-elle néanmoins, les critères d’accès doivent êtreplus limités. »

Pour Pierre-Yves Loiseau, président de l’asbl Dentisterie sociale4 à Liège, il s’agit là d’une manière de limiter les remboursements des soins des« mauvais élèves ». « Cela me fait penser à la « mutuelle-bonus » de 1992-1993, explique-t-il. Le remboursement des prestations n’est plus couvertpar la prestation elle-même, mais par le « comportement responsable » du patient. »

… pour contrôler les coûts

En bref, l’agenda (pas vraiment caché) des ML, c’est : réduire les coûts des soins dentaires, ou encore réussir à mieux gérer les moyens financiers del’assurance obligatoire. Il est vrai que les ML auraient remarqué ces dernières années une forte augmentation de leurs dépenses dans le domaine des soins dentaires. C’esten tout cas ce que révèle un article paru dans Le Dentiste5 du 19 mars 2010 : pour l’année 2008, les ML auraient connu une augmentation des dépensesen soins dentaires de 20,3 % par rapport à 2007. Cette hausse serait due en partie à un plus grand nombre de membres, mais aussi à l’intégration des petits risquesdans le package des assurances.

Une deuxième phase de l’étude devrait s’attarder sur l’étude de l’impact financier de la mise en œuvre de ces trajets. « Si l’association de dentistes et lesautres organismes assureurs sont d’accord, nous fait savoir Regina De Paepe, l’Inami pourrait aussi nous aider à calculer cet impact budgétaire et le nombre de patients qui pourraienten bénéficier. »

« La carie dentaire devrait être éradiquée depuis longtemps »

Pour Pierre-Yves Loiseau, un vaste plan de prévention est bien nécessaire en matière de santé dentaire. En effet, 47 % des Belges ont un risque dedévelopper des caries et 20 % de la population concentrent 60 % des besoins de soins dentaires. Mais ce plan ne doit pas être associé à une minoration desremboursements. Si certains éléments du plan proposé sont positifs, Pierre-Yves Loiseau estime que la prévention de la carie pourrait être organisée demanière à l’éradiquer complètement. Question de volonté politique. « Les autorités sanitaires dentaires se basent sur des consensus duXIXe siècle. L’hygiénisme a effectivement fait faire de grands progrès à la santé publique. En matière de santé dentaire,l’hygi
énisme, c’est le brossage des dents. En réalité, continue-t-il, il n’a jamais été démontré que le brossage des dents amélioreréellement la situation en matière de caries. Ni le fait que manger moins de sucre améliore la santé dentaire. »

Ben alors, comment elles se développent les caries ? Explications du dentiste. Les caries sont dues soit à un manque de fluor soit aux sillons dentaires, petites fentes dans lacuirasse de l’émail des dents d’une partie de la population. Pour prévenir leur apparition, il suffirait donc d’envoyer les dentistes dans les écoles afin de sceller les sillonschez les enfants dont les dents définitives viennent de pousser et de lancer un plan de fluoration du sel de cuisine. Pierre-Yves Loiseau : « C’est un type de prévention »vétérinaire », dont la population jouit automatiquement tout en pouvant s’y opposer. La « prévention vétérinaire », c’est ce qui gêne les décideurs, quipréfèrent laisser reposer la prévention sur les épaules des patients. »

Des maisons médicales dentaires ?

Au delà de la prévention, c’est aussi la question de l’accès aux soins dentaires qui se pose. Une série de frais ne sont toujours pas remboursés, voire ontété « déremboursés ». C’est le cas, par exemple, des extractions dentaires entre 18 et 60 ans, des dentiers avant 50 ans… « Le budgetd’une famille « cariosensible » demeure énorme. » Du coup, les personnes dans le besoin ne se soignent pas, avec les conséquences que cela peut avoir :développement d’infections, prises d’antibiotiques, ostéites… L’insuffisance des remboursements se double d’une difficulté dans l’accessibilité aux cabinets dentairesdémocratiques : selon Pierre-Yves Loiseau, il n’y a plus assez de dentistes conventionnés (les chiffres de l’Inami ne seraient pas toujours bien actualisés). Pourdémocratiser les soins dentaires, il préconise le développement d’une médecine dentaire forfaitaire, avec la création de maisons médicales dentaires. Ilprône aussi le retour à une dentisterie non universitaire, telle qu’elle existait en Belgique jusqu’en 1968, avec des professions comme les hygiénistes, les infirmiers dentairesou encore les assistants dentaires.

1. Union nationale des mutualités libres :
– adresse : rue Saint-Hubert, 19 à 1150 Bruxelles
– tél. : 02 778 92 11
– courriel : info@mloz.be
– site : www.mloz.be

2. L’étude est téléchargeable sur le site www.mloz.be
3. Les résultats sont disponibles sur le site http://iph.fgov.be
4. Dentisterie sociale asbl :
– adresse : allée de la Picherotte, 8 à 4053 Chaudfontaine
– tél. : 0478 93 63 93
– courriel : dentisterie_sociale@hotmail.com
– site: http://www.dentisteriesociale.be
Cahier nº 24 « La dentisterie sociale » sur www.labiso.be
5. David Desmet, « Vers un trajet de soins adaptés individuellement? » In Le Dentiste n° 401, 19 mars 2010.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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