Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Titre-service social, ça grince

Le titre-service « social » devrait bientôt faire son entrée, mais la mesure n’a pas que des supporters.

18-01-2010 Alter Échos n° 287

Le titre-service « social » devrait bientôt faire son entrée, mais la mesure n’a pas que des supporters. Le projet d’arrêtéd’exécution a été reporté de plusieurs semaines.

Parmi les critiques souvent formulées à l’égard des titres-services, revient leur coût unique pour tous les ménages (plus favorable pour ceux qui sontimposés, vu la déductibilité fiscale), ce qui les rend inaccessibles aux faibles revenus. Pour corriger le tir, Josly Piette, ex-ministre de l’Emploi (CDH), avait introduitla possibilité d’un crédit d’impôts pour ces catégories. Positive dans son principe, cette initiative n’a pas donné les résultatsescomptés. En effet, des personnes à petits revenus ne peuvent se permettre d’attendre un an (au moins) un éventuel remboursement fiscal. La ministre de l’Emploi etde l’Égalité des chances actuelle, Joëlle Milquet (CDH)1, a donc voulu gommer cette « injustice » en instaurant le titre-service « social». Un mécanisme qui doit permettre à certaines catégories de personnes précarisées d’utiliser les titres-services à moindre prix, soit 4 €le titre, au lieu de 7,50 €. Ces catégories sont : les familles monoparentales dont le revenu mensuel brut ne dépasse pas 2 060,91 €, les personnes handicapées engrande dépendance et les personnes âgées bénéficiant de la Grapa.

Le principe a été approuvé par le gouvernement fédéral en mai 2009 avec un budget assorti à l’époque de 1,7 million d’euros, on neparle plus à présent que d’un million. Le détail de la mise en œuvre du titre-service social devait être soumis au Conseil des ministres du 17 décembredernier, sous forme d’un projet d’arrêté royal déposé par Joëlle Milquet. Un arrêté qui prévoit notamment que les CPAS recevront 285000 titres-services à distribuer auprès de leurs bénéficiaires et des publics cibles qu’ils jugent les plus pertinents. Ce nombre sera fixé au prorata du nombre depersonnes Omnio faisant partie de la population de leur commune. Mais voilà, le 18 décembre, le point a été retiré de l’ordre du jour du Conseil desministres. Au cabinet Milquet, on explique le report par l’attente d’un avis qui doit encore provenir du ministre Courard (PS), secrétaire d’État àl’Intégration sociale, en charge des CPAS. « Nous attendons encore un avis de l’inspection des finances, au niveau de l’intégration sociale », nous affirme-t-on.

Au cabinet Courard2, on s’étonne, pour ne pas dire plus, de ce renvoi d’ascenceur et on explique qu’au contraire, si report il y a eu, la cause en incombe bienà la ministre de l’Emploi. « Premièrement, madame Milquet, s’est mise à dos les fédérations de services d’aide familiale qui redoutent laconcurrence que l’instauration des titres-services sociaux va engendrer, explique le porte-parole du ministre Courard. Deuxièmement, elle évite de transmettre l’avisnégatif du comité de gestion de l’Onem sur le sujet et enfin, son public cible n’est pas suffisamment défini. S’il faut expliquer le report du point,c’est donc bien chez la ministre Milquet qu’il faut aller trouver l’explication. » En attendant, on nous dit que l’arrêté devrait être remis àl’ordre du jour du gouvernement dans le courant du mois de janvier mais à l’heure où nous bouclons, aucune date n’a encore été communiquée.Impossible également d’obtenir le rapport du comité de gestion de l’Onem, qualifié de « confidentiel » par le cabinet de Joëlle Milquet.

Les « anti »

À l’approche de l’adoption de cet arrêté mi-décembre, le Mouvement ouvrier chrétien (MOC)3 exprimait sa plus vive inquiétude vis-à-vis dece texte. « Sous prétexte de « faire du social », explique Thierry Jacques, président du MOC, il risque au contraire de mettre en péril les services d’aide auxfamilles. Ces services agréés et subventionnés par les Régions proposent aux personnes précarisées une aide ménagère, mais ils offrent aussi unaccompagnement social et une aide à la vie journalière qui requièrent l’intervention d’aides familiales formées à cet effet. De plus, le prix de cesprestations est fixé proportionnellement aux revenus des ménages bénéficiaires, ce qui le rend plus juste et plus social qu’un prix forfaitaire, même revuà la baisse. Jamais le système des titres-services ne pourra offrir de telles prestations sociales et il y a fort à craindre que les travailleuses ne bénéficierontpas des formations utiles. Dès lors, le MOC souhaite que le gouvernement ne retienne pas cette mauvaise idée. »

Un son de cloche que l’on retrouve également du côté de la Fédération des centrales de services à domicile (FCSD)4. « Nous partageonsl’avis du MOC, déclare de son côté, Michel Degodenne, directeur de la Fédération. Sur le principe, on ne peut que se réjouir de voir que l’on s’occupe dessecteurs à profit social, mais cette initiative pose néanmoins question, ne serait-ce qu’au niveau des moyens alloués. Nous avons en effet fait un petit calcul et nous sommesarrivés à la conclusion que la manne dégagée ne permettrait de fournir que trois heures d’aide par semaine et ce, à seulement environ 1 500 personnes. Et puisaprès, que fera-t-on ? »

Les « pro »

À la Fédération des CPAS wallons et bruxellois, au contraire, les deux présidents respectifs, Claude Emonts et Michel Colson, plaident pour l’instauration dutitre-service social et balaient l’argument de démantèlement des services d’aide familiale : « Certains évoquent souvent le risque que représententces titres pour les aides familiales. Relevons d’abord que le métier de l’aide familiale est différent de celui d’aide ménagère. Une aideménagère réalise une aide technique qui consiste essentiellement en l’entretien du bâtiment. La spécificité de l’aide familiale se situe dansl’accompagnement social d’une personne en vue de son autonomie. Une aide familiale qui intervient dans le respect de son statut fait autre chose que du travail ménager. Ladéfense de ce métier passe par l’affirmation de sa spécificité et non dans la crainte d’un métier non moins respectable et utile, celui de l’aideménagère. Nous avons entendu à moult reprises la crainte de la disparition des services d’aide aux familles. Force est de constater que globalement leur activité aprogress&eacut
e; et que l’on crée même de nouveaux services en secteur public, par exemple en Région wallonne. […] Selon nous, la question n’est pas tant : « Lestitres-services vont-ils tuer les aides familiales ? » que : « La solidarité familiale, les interventions fédérales (pensions, Inami, titres-services, APA), régionales(aides familiales, gardes à domicile), locales (aides sociales, maisons communautaires) suffiront-elles à faire face au vieillissement5 ? » » Et de rappeler lerôle du titre-service comme instrument de politique de l’emploi : « Faire travailler des aides familiales là où des aides ménagères suffisent,c’est priver des personnes peu qualifiées de perspectives d’insertion6. »

Pour les deux fédérations de CPAS, le titre-service social est une réponse à un problème d’accessibilité. Leurs présidents précisentle rôle que joueront les CPAS au travers de cette mesure : « Primo, le CPAS aura un rôle de « régulateur ». Compte tenu de catégories prioritaires et d’un plafondde revenus, il déterminera les utilisateurs prioritaires qui se trouvent dans la situation la plus défavorisée. Il est clair, pour nous, que ces utilisateurs ne doivent pasêtre des personnes en perte d’autonomie : pour elles, une aide familiale doit intervenir. Secundo, les titres-services sociaux ne peuvent être utilisés que pour desprestations d’aide ménagère fournies par des entreprises agréées comme services d’aides familiales par l’autorité compétente en lamatière ou qui ont conclu une convention de collaboration avec de tels services7. »

Du côté du cabinet de Joëlle Milquet, on répond aux critiques en déclarant notamment que le but de l’opération n’est pas de créer de la concurrence.« C’est quelque chose qui sera bien rappelé, nous dit-on. Toutes les mesures et les précautions nécessaires seront prises au niveau de l’arrêté, notamment parun rappel de la distinction entre les différents métiers impliqués. Nous rappelons de plus que beaucoup d’opérateurs disposent des deux agréments (titres-serviceset aides familiales) et qu’ils pourront donc orienter au mieux leurs usagers selon les besoins. »

1. Cabinet Milquet :
– adresse : av. des Arts, 7 à 1210 Bruxelles-Saint-Josse-ten-Noode
– tél. : 02 220 20 11
– courriel : milquet@milquet.belgium.be
– site : www.milquet.belgium.be
2. Cabinet Courard :
– adresse : rue Ernest Blérot 1 (9e étage), Eurostation II à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 238 28 11
– courriel : courard@minsoc.fed.be
– site : www.courard.be
3. MOC :
– adresse : Chaussée de Haecht, 579 à 1030 Bruxelles
– adresse postale : BP 50 à 1031 Bruxelles
– tél. : 02 246 38 01
– courriel : t.jacques@moc.be
– site : www.moc.be
4. Fédération des centrales de services à domicile :
– adresse : place Saint-Jean, 1 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 515 02 08
– courriel : csd@mutsoc.be
– site : www.fcsd.be
5. « Le titre-service social plus équitable pour les petits revenus », carte blanche parue dans le journal Le Soir du 11 janvier 2010.
Auteurs : Claude Emonts, président de la Fédération des CPAS de l’Union des villes et communes de Wallonie, et Michel Colson, président de la Section CPAS del’Association de la ville et des communes de la Région de Bruxelles-Capitale.
6. Idem.
7. Idem.

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