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Stérilisation des handicapés mentaux : le choix du consentement

La vie sexuelle et affective des personnes handicapées mentales n’est plus un tabou. La procréation ? Il est un pas que nos sociétés ne franchiraient pas…

02-03-2012 Alter Échos n° 333

La vie sexuelle et affective des personnes handicapées mentales n’est plus un tabou. La procréation ? Il est un pas que nos sociétés ne franchiraient pas…

Il est des questions dont les réponses sont difficiles à apporter. Parce qu’elles touchent à des enjeux multiples. Parce qu’elles émanent de situations et de personnes diverses et singulières. La stérilisation des personnes handicapées mentales est l’une d’elles. Elle met en conflit des aspects juridiques, éthiques et sociétaux. En leur sein, les acteurs voient leurs droits et libertés confrontés. Malgré cela, il faut pouvoir les concilier…

La stérilisation, atteinte aux droits fondamentaux ?

Afin de pérenniser les pratiques, d’éviter les dérives et d’assurer le respect de la dignité et de l’intégrité physique et mentale des handicapés mentaux, le cadre normatif et juridique est essentiel. A cet égard, « il est primordial que soient déterminées les conditions dans lesquelles la stérilisation peut s’effectuer », insistait déjà en 1998, le Comité consultatif de bioéthique1 (SPF santé), année de son dernier avis. Depuis lors, le statut civil relatif à la protection des malades mentaux n’a pas changé. « Rien n’existe au niveau juridique », précise Nicole Gallus2, chargée de cours à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et avocate. Notons toutefois que la Belgique est partie de la Convention internationale de New York sur la protection des personnes irresponsables.

Il y a ces deux principes essentiels au fondement de notre démocratie : « Tout être humain, sans distinction, est sujet de droit à part entière et il ne saurait être question d’y porter atteinte », rappelle le Comité de bioéthique. Par ailleurs, celui-ci reconnaît le droit aux handicapés mentaux de fonder une famille, selon l’article 12 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés. Ces droits sont acquis pour tous. Cela étant soulevé, la personne handicapée mentale bénéficie dans certains cas de régimes particuliers de protection « car elle est parfois incapable d’exercer ces droits », explique Nicole Gallus.

Trois régimes différents mais complémentaires
Jugés irresponsables juridiquement (régime de minorité prolongée), ils sont placés sous tutelle. Ce sont les « incapables de droit ». En théorie, toutes les décisions ne leur incombent pas. D’autres par contre, bénéficiant de la capacité judiciaire, sont dans l’absolu maîtres de leurs décisions.

Entre ces deux statuts civils, il est important de mentionner les « incapables de fait ». Ce statut est une disposition du droit médical et non civil. Il s’exerce sur les personnes souffrant d’un handicap mental et qui n’ont pas le discernement nécessaire pour prendre les décisions mais qui ne sont, par ailleurs, placées sous aucun régime de protection.

Dans les trois cas (incapacité de droit, de fait et sous le régime de capacité judiciaire), les médecins, tuteurs et mandataires ont un rôle primordial à jouer dans la prise de décision d’un acte médical, tout autant que la personne handicapée.

« Quel régime de protection est-il adapté ? Sous quel régime d’incapacité place-t-on telle ou telle personne ? », questionne le Comité de bioéthique. Et de répondre : « Toute limitation des droits doit rester exceptionnelle et fortement justifiée. » Notamment par le droit de l’enfant à être « bien né », délivré de risques sur sa santé et placé dans des conditions favorables à son épanouissement.

La stérilisation comme méthode de contraception

« C’est un questionnement permanent que celui de la contraception », réagit Eliane Tillieux (PS). La ministre de l’intégration sociale en Région wallonne se refuse cependant à tout commentaire lorsque l’on évoque la stérilisation, un sujet « sensible, choquant », nous répond-on. « La vie sexuelle, oui. La stérilisation, non », dit le cabinet.

« Je parle plus volontiers de contraception plutôt que de stérilisation, qui est sa forme extrême et agressive », souligne d’emblée Bernadette Cuvelier3, mère d’un adolescent atteint du syndrome de Williams. « Il y a des alternatives médicamenteuses à la camisole chimique ou à la ligature des trompes », détaille-t-elle. « Le tout est de protéger la personne sans pour autant brider son autonomie », ajoute Monique Bosson, du Comité de bioéthique. « La stérilisation, de par son caractère définitif et irréversible, est à proscrire », assure-t-elle encore. La stérilisation forcée est rejetée massivement, avec force et vigueur.

Quel consentement ?

Doit-on présumer de l’incapacité de la personne handicapée mentale à décider ? Et partant, de laisser les tuteurs et le corps médical seuls maîtres des décisions ? « Le consentement doit être total ! Il est évident que la personne handicapée a son mot à dire. Ce choix est le sien », répond avec conviction Bernadette Cuvelier. Saisissent-elles pour autant la portée et les conséquences de leurs choix ?

« Le statut d’incapacité juridique n’implique pas nécessairement que la personne handicapée soit incapable de prendre une décision la concernant », relève le Comité de bioéthique. « Un acte médical ne sera jamais décidé d’office. Il le sera après concertation de tous. Finalement, c’est le médecin et le patient qui auront le dernier mot », souligne Nicole Gallus. Elle insiste sur ces « soupapes de sécurité » que sont les droits du patient et les périodes de lucidité et de discernement que celui-ci peut avoir, rendant la stérilisation caduque.

« On ne peut pas être maître du corps de l’autre, qui qu’il soit. La stérilisation ne peut être faite à son insu ! Cela serait odieux et représenterait un manque de respect total envers la personne handicapée, qu’il convient de traiter comme un individu à part entière », poursuit cette mère active dans la défense des droits des handicapés.

Une décision « éclairée »

La décision doit être « cadrée » en prévenant, en informant et en accompagnant. C’est ce que le comité de bioéthique nomme le « consentement éclairé » : la contraception, dans toutes ses formes, ne peut qu’être le fruit d’une « décision libre ». Et de préconiser à ces fins des politiques de prévention, d’éducation à la vie sexuelle et affective, afin que ces personnes soient capables de prendre, elles-mêmes, le cas échéant, la décision de se faire stériliser.

« Il faut une éducation précoce à la vie sexuelle et affective afin qu’elle soit maîtrisée », appuie Michel Mercier4, professeur aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur. La Région wallonne va dans le même sens, mais déplore « le peu de professionnels ou centres qui dispensent des animations à ce type de public. Il importe d’y réfléchir ». La perche est tendue… Bernadette Cuvelier tempère : « La nature des décisions dépend du degré de handicap. » Effectivement, le choix de la contraception est à faire « au cas par cas », insistent tous les intervenants.

La procréation en ligne de mire

« Il existe un conflit entre le droit à la parentalité et le droit de l’enfant à avoir des parents en bonne santé », explique Michel Mercier. « Le niveau de handicap qui pourrait servir de repère objectif est ici influencé par l’environnement et l’encadrement de la personne handicapée. S’il est bon, pourquoi refuser la procréation ? », poursuit-il. « Là où la contraception n’est plus vraiment un tabou, la procréation continue de faire peur. Il existe de grandes réticences dans le chef des parents notamment, qui craignent de devoir élever un enfant handicapé lui aussi », remarque Bernadette Cuvelier. « Et c’est compréhensible », ajoute-t-elle dans un rire empreint d’embarras.

Le Comité de bioéthique se veut à cet égard modéré. Les risques sur la santé tant de l’enfant que de la mère ne sont pas négligeables. Leur épanouissement est également en jeu. Cependant, la stérilisation ne devrait être pratiquée que dans les cas extrêmes où la santé est mise à risque, ressort-il d’un avis rendu par cet organe consultatif.

Une forme d’eugénisme ?

Handicap et procréation ne semblent pas faire bon ménage… La science se met-elle au service d’une sélection davantage sociale que naturelle, rejoignant les pratiques d’eugénisme qui tendent vers un idéal humain, un enfant parfait ? Le Comité consultatif de bioéthique « s’oppose à toute politique de ce genre », donc à toute généralisation de la stérilisation, qui « entraînerait des injustices graves ». Les réponses à apporter sont donc tout aussi singulières que le sont les cas.

« Si l’on empêche la procréation, il est primordial d’aider la personne handicapée à faire le deuil des enfants », soulève Bernadette Cuvelier. Michel Mercier met en garde : « L’empêcher à tout prix peut provoquer de graves dérives telles que les abus sexuels et les maladies sexuellement transmissibles. Si on l’empêche, alors, on l’encadre, on l’accompagne », insiste-t-il.

On le constate, entre les devoirs de respect de la dignité humaine, de l’intégrité et de l’autonomie d’une part, le respect des droits de l’enfant et les craintes en termes de santé publique de l’autre, la stérilisation joue l’équilibriste. Tout comme les experts et les acteurs, tant le sujet est controversé. Il touche aux droits et aux libertés qui s’arrêtent « là où commence celle de l’autre ».

A quand, un cadre normatif ?

A la lumière des témoignages, il apparaît que, en théorie, la méthode irréversible qu’est la stérilisation est supplantée par d’autres formes de contraception, dans les cas où celle-ci est jugée opportune. Tout cela dans un consensus entre les parties concernées, au regard des préoccupations juridiques, éthiques et sociétales.

Soulevons ce paradoxe : là où l’on souhaite éviter de tomber dans la généralisation des réponses à apporter tant les situations sont singulières, un cadre normatif et balisé est cependant nécessaire, afin d’éviter que les personnes concernées ne restent dans le flou et que, de ce flou, naissent des dérives.

Deux portraits, deux décisions
Chantal, 45 ans, trisomique
« C’était dans les années ’80. Elle avait 20 ans. On a procédé à la ligature des trompes en même temps qu’une opération de l’appendice. Celle-ci n’était qu’un prétexte. La stérilisation était le réel objectif et la condition pour une place en institution. » Les mots sont durs et les regrets immenses dans la bouche de François. Il ne lui incombait pas de décider, mais il parle au nom de ses tuteurs et de ceux de sa sœur. Ceux-ci ne désirent pas évoquer le sujet, « délicat, douloureux », glisse-t-il.

« Nous n’en sommes pas fiers », admet le grand frère de Chantal. « Il n’y a eu aucune explication, aucun accompagnement », poursuit-il. Dès lors, « c’est une forme de lâcheté… même si cette décision paraissait fondée ».

Harold, 17 ans, atteint du syndrome de Williams
« Avec Harold, nous en sommes au b a ba de l’éducation sexuelle et de la vie affective », raconte sa mère, Bernadette Cuvelier. Il bénéficie de cours à l’école, sur demande des parents d’élèves. Ils sont souvent effectués par les plannings familiaux qui se spécialisent dans ce domaine. »

« A 100 % opposée à la stérilisation », elle insiste : « De quel droit disposerions-nous du corps d’autrui ? La décision de la stérilisation doit être prise par la personne handicapée, à la lumière de toutes les informations qu’on aura pu lui donner », répète-t-elle avec force convictions. « Je suis favorable à leur permettre d’avoir une vie sexuelle, quelle qu’elle soit, aboutie ou non. »

1. Comité consultatif de bioéthique :
– adresse : Rue de l’Autonomie, 4 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 525 09 07
– site : http://www.health.belgium.be
– courriel : bioeth-info@health.fgov.be
2. Nicole Gallus :
– adresse : avenue F.D. Roosevelt, 50 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 372 00 11
– courriel : ng@galluslex.be
3. Bernadette Cuvelier :
– adresse : cours du Bia Bouquet, 32 A à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : 010 24 38 85
4. Michel Mercier, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP) :
 -adresse : rue de Bruxelles, 61 à 5000 Namur
– tél. : 081 72 43 99
– courriel : michel.mercier@fundp.be

Valentine Van Vyve

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