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Regard critique · Justice sociale

Reportage

Sport et migrants : une course d’obstacles vers l’intégration

Le sport est souvent présenté comme un langage universel capable de créer des liens entre ceux qui le pratiquent. Si l’inclusion des demandeurs d’asile dans la société d’accueil a toujours représenté un défi de taille, le sport pourrait se présenter comme une potentielle solution. Pourtant, sur le terrain, la partie est loin d’être gagnée.

Jennifer Lejoly 26-05-2025 Alter Échos n° 523

Perché sur les hauteurs de Spa, l’ancien hôtel Sol Cress s’est transformé en centre Fedasil et accueille depuis 2021 près de 400 résidents. Nichée dans les bois surplombant la ville, la structure amène un peu de vie au milieu du silence de la nature. En effet, cet après-midi-là, le jardin du centre d’accueil est plutôt animé. Parmi les quelques résidents qui se dorent la pilule sur le court de tennis, ceux qui bavardent paisiblement sur un banc, et ceux qui écoutent de la musique à fond en fumant le narguilé, chacun vaque à ses occupations en profitant du beau temps. À l’intérieur du bâtiment, l’agitation ne faiblit pas. Les discussions fusent dans toutes les langues, reflétant la diversité du centre spadois, où pas moins de 45 nationalités se côtoient. Entre le russe, le farsi, l’arabe ou encore le pachto, chacun est soigneusement redirigé vers un collaborateur polyglotte qui pourra répondre aux requêtes des uns et des autres.

Entre réticences et acceptation

Ce jour-là, la salle de fitness du centre spadois de Fedasil est presque déserte. Quatre machines, soigneusement alignées, occupent le fond de la pièce. Près de l’entrée, deux femmes discutent, tandis qu’Hassan, assis sur le rack de musculation, passe un appel sur son haut-parleur en profitant des rayons du soleil qui transpercent les grandes baies vitrées. Originaire de Gaza, cela fait plus d’un an qu’il vit dans ce centre. Bien qu’il soit le seul de sa famille à Spa, il n’est pas le seul à s’être retrouvé en Belgique. Son frère réside actuellement dans une structure d’accueil à Hasselt, mais la distance entre les deux villes fait qu’ils ne peuvent se rencontrer que rarement. Pour ces demandeurs d’asile, arriver en Belgique peut s’avérer être une épreuve. Confrontés à la solitude, aux différences culturelles, à la barrière de la langue et à un environnement inconnu, ces nouveaux arrivants sont largués dans une société qui ne correspond en rien aux codes de leur pays d’origine. Alors, pour leur permettre de bénéficier d’un atterrissage moins brutal, Fedasil a déployé plusieurs initiatives. Les résidents peuvent, par exemple, participer à des formations, des cours de langues et de citoyenneté. Ils ont également accès à un accompagnement social et médical et à des activités, comme des activités sportives. C’est précisément de cet aspect qu’est en charge Yaman, le référent sportif du centre. Pour lui, le sport est bien plus qu’un simple moyen de se dépenser, mais constitue un réel vecteur d’intégration pour les migrants. «Le sport leur permet de développer un réseau, de se faire des amis, des contacts en dehors du centre. Quand ils font du sport, ils appartiennent à une équipe, ce qui vient contrebalancer le sentiment de solitude qu’ils peuvent ressentir», soutient-il assurément. L’activité physique offre également un exutoire précieux. Confrontés à des parcours de vie éprouvants, de nombreux migrants y trouvent un moyen de relâcher la pression, de s’évader un instant en focalisant leur énergie sur autre chose.

Bien qu’il soit le seul de sa famille à Spa, il n’est pas le seul à s’être retrouvé en Belgique. Son frère réside actuellement dans une structure d’accueil à Hasselt, mais la distance entre les deux villes fait qu’ils ne peuvent se rencontrer que rarement.

Le centre Fedasil de Spa compte ainsi plusieurs partenariats avec différents clubs sportifs, allant du football, au volleyball, en passant par le basketball. «Ces équipes sont déjà développées ici, à Spa. Nous y intégrons simplement des jeunes du centre quand ils ont le niveau», se réjouit Yaman. Cette coopération entre le centre et les clubs locaux constitue une première étape pour l’insertion des migrants. Les associations sportives de la région se montrent plutôt favorables à participer à ces partenariats, ce qui est encourageant. «Au début, c’est toujours difficile pour les ‘locaux’ de faire un premier pas vers les nouveaux arrivants. Mais avec le temps, la glace se brise», s’enthousiasme-t-il.  Petit à petit, les frontières avec la société extérieure s’effacent. Les préjugés tombent à mesure que les migrants s’intègrent. De quoi nourrir l’espoir que, si l’inclusion est possible dans le sport, elle puisse l’être également dans d’autres aspects de la vie.

Le centre Fedasil de Spa compte ainsi plusieurs partenariats avec différents clubs sportifs, allant du football, au volleyball, en passant par le basketball.

Bien que l’expérience puisse se révéler positive, ce n’est, hélas, pas toujours le cas. De fait, accueillir des demandeurs d’asile au sein d’une structure établie dans une communauté locale peut susciter certaines appréhensions. Au sein du club de football de Spa, l’arrivée de migrants dans les équipes locales semble avoir entraîné un désengagement des joueurs spadois, qui préfèrent rejoindre d’autres clubs. «Je ne sais pas vraiment dire si cela est dû à des stéréotypes ou autre, mais une chose est sûre, c’est qu’une réticence se fait ressentir», regrette-t-il. Il convient toutefois de préciser que le club traversait déjà des difficultés avant cela, et que l’arrivée de nouveaux joueurs migrants n’a fait qu’accentuer la situation. En fin de compte, certaines barrières sociales persistent, et si le sport favorise la cohésion, il montre rapidement ses limites. De quoi mettre en doute l’expression «le football c’est simple, c’est un ballon et des copains». Certes, mais finalement, peut-être pas n’importe quels copains… 

Faire ses preuves

En sortant du bâtiment, Yaman salue quelques collègues et résidents agglutinés à l’entrée, l’un d’entre eux s’approche et lui demande où il pourrait trouver un ballon. Yaman lui indique l’accueil et lance :«Il s’appelle retour!» au jeune garçon qui s’était déjà empressé d’aller chercher sa balle. A l’arrière du bâtiment, sous le ciel bleu et les odeurs d’herbe fraiche, les équipes se constituent petit à petit sur le terrain. «Le sport c’est fait pour faire plaisir à tout le monde, mais c’est parfois compliqué», lâche-t-il en observant les chefs d’équipes choisir tour à tour leurs coéquipiers. Concilier les valeurs unificatrices du sport avec un projet aussi ambitieux que l’intégration des migrants s’avère être une tâche ardue. En dépit de sa bonne volonté, Yaman se heurte à une triste réalité. Même si le sport est généralement perçu comme une source de plaisir pour tous, la frontière entre pratique et compétition est souvent mince. Ainsi, si un résident du centre parvient à prouver qu’il est doué et qu’il éprouve des difficultés à se rendre aux entraînements ou aux matchs, l’entraîneur mettra en place un covoiturage pour lui permettre d’y participer. «Ces avantages profitent généralement aux bons joueurs. Malheureusement, les résidents moins talentueux vont être mis de côté et ne bénéficieront pas des mêmes traitements de faveur», déplore-t-il. De quoi donner l’impression que l’intégration se résume à une question de performance, comme si l’inclusion par le sport n’était réservée qu’à ceux qui réussissent sur le terrain. Tandis que les premiers coups de pied résonnent sur le ballon, cette idée d’être compétent pour être accepté évoque chez Yaman le souvenir d’une phrase prononcée par Lukaku: «Quand cela tourne bien pour moi, les médias parlent de Lukaku, l’attaquant belge. Quand ils estiment que mes prestations sont moins bonnes, c’est Lukaku, l’attaquant belge d’origine congolaise qui est cité.»

Des difficultés en cascade

De retour à son bureau, séparé du couloir par une porte vitrée dont l’isolation laisse à désirer, Yaman tente de se remémorer les différentes initiatives sportives qui ont été créées pour faciliter l’insertion des demandeurs d’asile. Si ces projets ont initié un certain élan de motivation, Yaman confie qu’il reste difficile de maintenir le cap. Faute de budget et de suivi, la plupart des projets évoqués sont soit abandonnés, soit en suspens sans perspective de développement. Le centre spadois est lui-même empreint à certaines difficultés financières, exacerbées par des complications logistiques. Située en périphérie de la ville, la structure Fedasil contraint les migrants à dépendre des transports pour accéder aux clubs sportifs. Autrefois, des tickets de bus étaient distribués aux résidents pour faciliter leurs déplacements. Mais le centre ne dispose plus des moyens nécessaires pour fournir ces titres de transport aux demandeurs d’asile. «Maintenant, ils doivent se débrouiller eux-mêmes pour se déplacer», se plaint Yaman. Cela ne restera pas sans conséquences sur l’intégration des résidents, qui eux seuls n’ont pas l’argent pour se payer un abonnement de bus pour rejoindre une salle de sport ou un club.

Le centre spadois est lui-même empreint à certaines difficultés financières, exacerbées par des complications logistiques. Située en périphérie de la ville, la structure Fedasil contraint les migrants à dépendre des transports pour accéder aux clubs sportifs. Autrefois, des tickets de bus étaient distribués aux résidents pour faciliter leurs déplacements. Mais le centre ne dispose plus des moyens nécessaires pour fournir ces titres de transport aux demandeurs d’asile.

 En dépit des efforts déployés pour intégrer les migrants par le biais du sport, de nombreux obstacles persistent. Les réticences locales, les exigences de performance, les contraintes financières et logistiques fragilisent l’efficacité de ces initiatives. L’inclusion des demandeurs d’asile est un processus complexe, dont le sport ne s’avère pas encore détenir toutes les clés. Car au-delà du terrain, c’est la société d’accueil elle-même qui doit changer : sans une démarche proactive pour bâtir un cadre où les migrants ne sont pas seulement acceptés, mais aussi reconnus et impliqués dans tous les aspects de la vie, ces initiatives resteront limitées dans leur portée. Si Yaman continue de croire fermement en l’impact positif du sport, le rêve d’une véritable intégration des migrants par le sport demeure lui, hélas, encore sur le banc de touche.

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