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Regard critique · Justice sociale

Santé mentale

Six suicides par jour en Belgique

Selon les derniers chiffres divulgués par Eurostat pour l’année 2014, la Belgique est le sixième pays de l’Union européenne avec le plus haut taux de suicide par habitant (17,28 pour 100.000 habitants/an), se situant au-dessus de la moyenne européenne estimée à 12 pour 100.000. Le suicide est donc un réel problème de santé publique au sein de notre pays, qui touche toutes les classes sociales.

14-03-2018 Alter Échos n° 461
Photo : Wrote, CC BY 2.0

Selon les derniers chiffres divulgués par Eurostat pour l’année 2014, la Belgique est le sixième pays de l’Union européenne avec le plus haut taux de suicide par habitant (17,28 pour 100.000 habitants/an), se situant au-dessus de la moyenne européenne estimée à 12 pour 100.000. Le suicide est donc un réel problème de santé publique au sein de notre pays, qui touche toutes les classes sociales.

 

Le social sous pression statistique
Cet article fait partie d’une série de textes écrits par les étudiants en premier master en ingénierie et action sociales à l’IESSID, la catégorie sociale de la Haute École Bruxelles-Brabant. Sous la thématique «Le social sous pression statistique», ils ont traqué la «managérialisation» des politiques sociales. Les autres contributions sont à découvrir sur le site: altermedialab.be/

Selon Cécile Paliès, chargée de communication au Centre de prévention du suicide, les taux de suicide sont relativement stables en Belgique, en présentant un nombre de 2.000 suicides annuels. Il faut noter d’emblée que les chiffres relatifs au suicide varient en fonction des sources (Organisation mondiale de la santé, Eurostat). En effet, il n’y a aucune base standardisée au sein des différents pays, ce qui rend les chiffres non complètement représentatifs de la réalité sociale. Cela peut s’expliquer par le fait que le recensement est opéré par les médecins de famille qui établissent des certificats de décès en stipulant leur cause. Pour des raisons culturelles, psychologiques, familiales, le suicide peut ne pas être certifié officiellement.

En outre, la thématique du suicide est un sujet délicat à évaluer et à expliquer du fait de sa dimension multifactorielle. Comme explicité par l’intervenante, le suicide touche tout le monde, quels que soient l’âge, le sexe, les origines socio-économico-culturelles. En effet, chaque cas est unique et s’inscrit dans une histoire personnelle qui lui est propre et dont une part reste inconnue de lui-même. Cet acte survient, en général, au bout d’une longue chaîne de tentatives pour trouver une issue à la souffrance ressentie. Au-delà de l’aspect individuel, le suicide est une problématique d’ordre sociétal comme exposé par le sociologue Émile Durkheim[1], qui a défendu que l’acte de mettre fin à sa vie est un fait social à part entière, qui découle d’un dysfonctionnement du lien social. Face à cet exposé sociologique, Richard G. Wilkinson et Kate Pickett[2], deux épidémiologistes, avancent que la cause du suicide renvoie à la quantité d’inégalités entre les classes sociales.

Des politiques de prévention… ou non

Depuis la sixième réforme de l’État en 2014, la prévention du suicide est une compétence qui relève entièrement des entités fédérées (Communautés-Régions). À la suite du transfert de certaines matières par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région wallonne est devenue compétente en matière de prévention du suicide, ainsi que la Cocof pour les francophones sur le territoire de Bruxelles-Capitale. En Flandre, les institutions communautaires et régionales sont fusionnées (le gouvernement flamand est l’organe exécutif de la Communauté et de la Région).

D’après le Centrum Ter Preventie van Zelfdoding (CPZ), la Flandre s’est dotée d’un plan d’action «Prévention du suicide 2012-2020» en se donnant pour objectif une diminution de 20% du nombre de suicides par rapport à l’année 2000. Ce Plan a une approche trifactorielle qui vise: premièrement l’atteinte d’une population générale (approche universelle), ensuite celle dite «à risque» (approche sélective) et finalement celle qui comprend des gens ayant déjà fait une tentative de suicide (approche indiquée).

L’acte de mettre fin à sa vie est un fait social à part entière, qui découle d’un dysfonctionnement du lien social.

Différents services (école, CPAS, CPMS, presse, soins et santé, etc.) collaborent étroitement afin d’accompagner le public et que celui-ci soit pris en charge. Le Centre de référence est le CPZ, subsidié par le gouvernement flamand et qui propose trois services complémentaires: la permanence téléphonique 1813, le service de formation et le service d’études. En outre, il collabore également avec le Centre d’expertise flamand pour la prévention du suicide (VLESP), l’organe consultatif du gouvernement flamand en la matière, créé en 2013.

L’évaluation de ce plan se fera sur la base des statistiques relatives au nombre de suicides visant la diminution du taux de suicide en 2020.

En ce qui concerne la capitale, nous nous sommes adressées au cabinet de la ministre Cécile Jodogne, compétente en cette matière dans le but de mieux saisir la réalité francophone de Bruxelles. Un appel à projets a été lancé pour 2018-2022 dans le cadre du «Plan stratégique de promotion de la santé de la Cocof» afin de prévenir le suicide chez les jeunes, qui représente une des quatre stratégies du Plan. La prévention des suicides est une mission reprise dans le cadre du décret «ambulatoire» pour les centres en charge de l’accueil téléphonique. Il est intéressant de signaler que dans le Plan, cette mission de prévention ne fait pas l’objet de pistes afin de la mettre en pratique par les différents acteurs. En mars 2016, au sein du protocole d’accord du «groupe de travail intercabinets Maladies chroniques/Prévention», un objectif a été formulé en termes de réduction des taux élevés de suicide en favorisant un travail de coordination entre les différents niveaux de pouvoir (Régions, Communautés et État) par diverses actions.

À Bruxelles, le Centre de prévention du suicide, subsidié par la Cocof uniquement comme Centre d’accueil téléphonique, propose néanmoins d’autres services œuvrant à la prévention du suicide, par exemple la formation ou la cellule d’intervention psychologique de crise.

En ce qui concerne l’évaluation du Plan, la Cocof a prévu deux évaluations distinctes: la première à un niveau opérationnel, qui vise à évaluer le degré de réalisation des objectifs en interrogeant les réalisations produites dans le cadre du programme, des projets, etc. Des indicateurs quantitatifs et qualitatifs d’évaluation vont être utilisés à des moments distincts au cours de 2018-2022 (les données récoltées proviendront essentiellement des rapports d’activités). La seconde évaluation est dite stratégique et visera en coordination à analyser le degré de réalisation du Plan. Cette étape contribuera à l’élaboration du projet pour le «Plan stratégique 2023-2027».

Au sud du pays, le gouvernement wallon a mis en place un «Plan Prévention Santé Horizon 2030» qui vise à accroître la santé, la qualité de vie et le bien-être de tous les Wallons, dont l’un des axes est la promotion d’une bonne santé mentale et du bien-être global qui comprend la prévention du suicide.

D’après Caroline Jauniaux, chargée de presse de la ministre Alda Greoli compétente en la matière, il existe l’asbl «Un pass dans l’impasse-CRI-S», qui est le centre de référence info-suicide en Région wallonne. Cette asbl propose différents services tels des entretiens psychologiques, des formations, un accompagnement spécifique du deuil, et travaille en étroite collaboration avec la mutuelle Solidaris.

Les hommes se suicident trois fois plus que les femmes.

Pour l’instant, nous ne pouvons pas parler en Wallonie de politiques spécifiques, la Région a fait un appel à projets qui a été publié au Moniteur belge. Celui-ci est «en cours».

Au regard des données du Centre de prévention du suicide, il semble pertinent de soulever deux pics du taux de suicide: entre 40 et 60 ans et à partir de 80 ans chez les hommes ainsi que chez les femmes.

D’après Cécile Paliès et le Centre de prévention du suicide, les hommes se suicident trois fois plus que les femmes. Celle-ci suppose qu’à partir de la cinquantaine, la personne est confrontée à un tournant dans sa vie où elle n’est plus considérée comme «jeune».

Les personnes âgées vivent de plus en plus longtemps sans pour autant vivre décemment. La société quant à elle n’est pas prête à accueillir une population vieillissante.

Le taux plus élevé de suicide chez les hommes est lié aux moyens létaux qui sont souvent plus radicaux que chez les femmes (armes à feu, pendaison), les femmes quant à elles font plus de tentatives de suicide.

Au regard du graphique, il est intéressant de se demander ce qu’il en est pour les jeunes. Comme expliqué par notre interlocutrice, le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez l’adolescent bien que le phénomène soit rare comme le démontrent les chiffres étant donné la faible mortalité chez les jeunes. Néanmoins, ceux-ci sont largement médiatisés par la presse vu le sentiment d’injustice que la mort d’un jeune peut provoquer.

Le suicide à l’international

L’Organisation mondiale de la santé a proposé un «Plan d’action pour la Santé mentale 2013-2020» conjointement avec les États membres, dont la Belgique. Ce Plan se donne, entre autres, pour objectifs de fournir des services de santé mentale et d’aides sociales complets; de mettre en œuvre des stratégies de promotion et de prévention dans le domaine de la santé mentale et de renforcer les systèmes d’information. Les États membres se sont engagés à diminuer de 10% leur taux de suicide. D’autre part, 80% des pays se doteront d’au moins deux programmes nationaux de promotion et de prévention dans la sphère de la santé mentale. Ce Plan est une invitation et il en va, donc, de la responsabilité de chaque pays membre de mettre en place ce pourquoi il s’est engagé.

Finalement, il est utile de rappeler que le suicide est un thème difficile à appréhender pour différentes raisons: le caractère multifactoriel de la question (lié à l’individu et à la société), les statistiques non exhaustives et peu représentatives rendent difficile la mise en place d’une prévention. De plus, il s’avère compliqué de contrôler un fait social de cette envergure. Dès lors, seule une prévention qui se veut multisectorielle peut être mise en place au niveau des politiques publiques. Ces éléments, ainsi que le morcellement de l’État en Belgique, paraissent représenter une entrave à l’élaboration d’une politique de prévention uniforme. En outre, les instruments d’évaluation des différents plans semblent s’appuyer sur des données, indicateurs subjectifs. Enfin, le fait que la Belgique se positionne en sixième place selon les derniers chiffres d’Eurostat ne serait-il pas lié au caractère culturel du pays qui tente de ne pas faire du suicide un tabou social contrairement à d’autres pays, plus conservateurs?

 

Dalila Aamoutache, Zoé De Brouckère, Ana Cristina Mestre Pereira

étudiantes du MIAS1 de l’IESSID, catégorie sociale de la Haute École Bruxelles-Brabant

[1] Durkheim É., Le Suicide: étude de sociologie, Paris, Félix Alcan, 1897, p. 462.

[2] Wilkinson R., Pickett K., Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, Paris, Éditions Petits Matins, p. 335.

En savoir plus

Alter Échos n°434, «David Van Reybrouck: ‘La paix mentale contribue à la paix sociale’», Manon Legrand, 14 novembre 2016.

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