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Se former pour faire face aux violences

Elles s’intitulent «Gérer l’agressivité dans le travail social» ou «Faire face à la violence des usagers». Une série de formations invitent les travailleurs sociaux à s’outiller, pour prévenir et désamorcer les situations de violence. Dans ces espaces s’expriment aussi les expériences enfouies, l’isolement et les violences institutionnelles. Des formations qui, parfois, permettent de resolidariser les équipes et de repenser l’organisation de l’accueil des usagers.

© Bertrand Dubois

Elles s’intitulent «Gérer l’agressivité dans le travail social» ou «Faire face à la violence des usagers». Une série de formations invitent les travailleurs sociaux à s’outiller, pour prévenir et désamorcer les situations de violence. Dans ces espaces s’expriment aussi les expériences enfouies, l’isolement et les violences institutionnelles. Des formations qui, parfois, permettent de resolidariser les équipes et de repenser l’organisation de l’accueil des usagers.

«À la suite d’agressions verbales, de menaces… et malgré les mesures de prévention déjà en place, un climat d’insécurité et d’inquiétude régnait au sein de l’équipe, raconte Stéphanie Petrov, directrice de l’action sociale au CPAS de Namur. J’ai alors demandé à l’autorité de proposer au personnel une formation en gestion de la violence, pour rassurer les travailleurs et désamorcer les conflits éventuels avec les bénéficiaires. C’était une plus-value pour les travailleurs, pour notre travail social et pour les bénéficiaires.» En tout, plus de 150 travailleurs, en ce compris le personnel administratif en contact direct avec les publics, ont suivi cette formation coordonnée par l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW). Trois jours durant, ils ont tenté de comprendre les causes de la violence et d’en détecter les signes avant-coureurs. Au programme également, des techniques pour apaiser les tensions et limiter les dérapages, pour gérer la crise et l’après-crise. «Les retours étaient positifs, même si la violence existe toujours. Les travailleurs sont repartis avec des outils, notamment en communication assertive. Ça a aussi fait beaucoup de bien aux membres du personnel administratif, qui, dans leur formation initiale, sont peu outillés à faire face à ce genre de situation.» Par ailleurs, le CPAS de Namur a répondu positivement à une demande émanant de certains travailleurs sociaux en déplacement sur des sites extérieurs. «Lors de leurs visites à domicile, ils sont parfois seuls, poursuit Stéphanie Petrov. Ils avaient besoin d’être rassurés et ont demandé de suivre une formation en autodéfense, pour pouvoir réagir en cas d’attaque physique. Je touche du bois, ils n’ont pas dû avoir recours à ces techniques jusqu’à présent. Par chance, nous avons un taux d’agressions physiques nul, ici, au CPAS de Namur.»

Identifier les violences

«Il y a peu de coups portés, souligne Vincent Libert. Ce qui est usant pour les travailleurs sociaux, c’est la multiplicité des petits gestes et des situations de violence.» Vincent Libert est formateur. Il a derrière lui près de quatre décennies de travail de terrain dans le secteur social. Son asbl Praxis développe, via Praxis Plus, des programmes de formation pour «faire face à la violence des usagers». Des CPAS, maisons médicales, maisons d’hébergement et organisations syndicales font appel à Praxis Plus afin de former et d’outiller leurs travailleurs. «Nous sommes souvent appelés pour un problème qui embarrasse la direction, pour lequel plusieurs tentatives ont peut-être été tentées sans succès. Nous sommes des ‘magiciens sans magie’», partage le formateur.

La méthode adoptée par Praxis Plus mêle théorie et mises en situation. Elle est adaptable selon les contextes, les réalités de l’institution commanditaire et ce qui se vit, en formation, avec et entre les participants. Pour Vincent Libert, il s’agit surtout de créer «un espace de discussion en commun» au sein duquel le formateur adopte une «position basse»: «Nous ne nous présentons pas comme des spécialistes de la violence, mais comme des travailleurs sociaux qui ont été confrontés dans leur vie professionnelle à la violence et, tout comme les participants, nous avons tenté diverses stratégies qui ont plus ou moins fonctionné.» Dans cet espace, doté d’un «cadre sécurisant», chacun vient, s’il le souhaite, déposer ses expériences et partager ses stratégies, de prévention, de protection, de repli, de défense.

«Laisser entendre que la violence des usagers fait partie intégrante du travail et que les professionnels doivent savoir gérer les crises, c’est laisser sous-entendre que ces violences sont acceptables. Cela surresponsabilise le seul travailleur, voire ça le culpabilise et ça l’isole davantage.» Vincent Libert, Praxis Plus

Au cours de la formation, une partie du travail consiste à mettre des mots sur le terme violence. «Il y a souvent autant de mots que de participants… Chacun vient avec son histoire et ses représentations personnelles.» Vincent Libert tient cependant à distinguer la violence d’autres notions communément assimilées comme l’agressivité, la colère, le conflit. «La violence a ceci de distinctif qu’elle vise à prendre le contrôle de la relation, à installer un rapport inégalitaire.» Une autre étape de la formation invite à identifier les différentes formes de violence: verbale, psychologique, économique, physique… qui peuvent se traduire par une large palette de comportements: intimidation, vol, propos à connotation sexuelle… «Prendre conscience de ces différentes violences permet de se rendre compte qu’on les subit et que, parfois, on a tendance à les minimiser», souligne pour sa part Nadia Zotto, responsable du CPAS de Beyne-Heusay, qui a récemment suivi, avec une dizaine de ses travailleurs, une formation de trois jours avec Praxis Plus. 

Isolement et «risques du métier»

Des outils pour désamorcer une scène de violence et pour éviter de monter en escalade figurent également au programme de la formation de Praxis Plus. «Nous proposons évidemment des outils pour prévenir des situations de violence, mais force est de constater que, bien souvent, il nous faut d’abord remédier, prendre soin des victimes, jusque-là, invisibles…, partage Vincent Libert. La violence isole les individus et, souvent, le silence s’installe autour des agressions vécues.» Le formateur sortira alors de sa boîte à outils des astuces pour «se recentrer et prendre soin de soi». Des techniques d’intelligence émotionnelle, aussi, pour que les émotions circulent entre les participants, pour prendre le «pouls émotionnel» ou encore la «distance émotionnelle». «De nouvelles solidarités se nouent dans le groupe, constate le formateur. C’est souvent ce qui est relevé dans les évaluations de la formation: ‘Vous nous avez resolidarisés’.»

«Les métiers du travail social s’exercent dans des conditions de plus en plus déplorables. Les budgets sont insuffisants, les travailleurs sociaux doivent faire du contrôle social… Tout cela a aussi des répercussions sur le comportement de l’usager.» Salim Megherbi, HELMo

Parfois, il faudra aussi déconstruire certaines représentations propres au secteur social. «Ce sont les risques du métier» ou «Cela fait partie du travail», deux exemples de ritournelles qui irritent Vincent Libert: «Laisser entendre que la violence des usagers fait partie intégrante du travail et que les professionnels doivent savoir gérer les crises, c’est laisser sous-entendre que ces violences sont acceptables. Cela surresponsabilise le seul travailleur, voire ça le culpabilise et ça l’isole davantage.» Le formateur de mentionner l’«onde de choc» suscitée par une agression, qui s’étendra aux autres collègues et usagers, à la direction… «D’où la nécessité de mettre en place une véritable politique institutionnelle pour développer des conditions de travail sécurisantes, pour gérer les questions de violence avant, pendant et après.» Un travail qui demande l’appui et l’investissement de la hiérarchie.

Repenser l’organisation

Du côté du CPAS de Beyne-Heusay, la formation avec Praxis Plus a donné lieu à une volonté de renforcer la politique de prévention. «J’ai saisi mon comité de direction, explique Nadia Zotto. Avec les chefs de service, nous allons mettre en place une série de procédures.» Bernard Dutrieux, conseiller en formation à l’UVCW, le constate lui aussi: «Parfois, ce genre de formation permet d’aboutir à une réflexion plus large au niveau organisationnel, sur la manière dont les services et l’accueil sont organisés, afin de limiter les manifestations d’agressivité. Permanence ou accueil sur rendez-vous, temps d’attente, agencement des salles d’attente… Tout cela influe sur le comportement des personnes.»

Il arrive aussi qu’en formation d’autres formes de violence au travail soient évoquées par les participants. Institutionnelles, celles-là. La surcharge de travail, le manque de moyens, la pression de la hiérarchie… «Il y a beaucoup de violences institutionnelles, poursuit Bernard Dutrieux. Les CPAS ont moins de budget et sont donc plus stricts. Ils sont davantage dans des formes d’activation et moins dans des formes d’aide sociale. Tout cela complique la vie des travailleurs sociaux et leur relation avec les usagers.»

«Entre théorie et réalité, il y a un monde…»

Sur les bancs de l’école, comment la violence des usagers est-elle abordée avec les futurs travailleurs sociaux? Salim Megherbi, professeur de sociologie et directeur de la section assistants sociaux, survole le programme de l’HELMo de Liège. «Le comportement d’un usager est appréhendé à travers une série de cours. En psychologie, par exemple, on va fournir aux étudiants des outils théoriques pour comprendre dans quel état psychique, voire dans quel désarroi peut se retrouver un usager. Les cours de sociologie et d’anthropologie appréhendent le contexte sociétal dans lequel les individus vivent. Ce contexte sociétal, extrêmement pressurisant, peut expliquer les réactions parfois agressives de certains usagers. On ne demande pas à nos étudiants d’accepter ces réactions, mais on leur donne des outils pour essayer de les comprendre.»

Évoquant les évolutions du secteur social, l’enseignant a bien conscience des violences à l’œuvre et en parle à ses étudiants. «Plus personne ne nie que les travailleurs sociaux souffrent. Cette souffrance est potentiellement due à des formes de violence venant des usagers, mais je suis attentif à la manière d’aborder cela avec mes étudiants… L’amalgame serait beaucoup trop rapide de présenter les usagers comme des personnes violentes en puissance. Il y a, aussi et surtout, la souffrance institutionnelle. Les métiers du travail social s’exercent dans des conditions de plus en plus déplorables. Les budgets sont insuffisants, les travailleurs sociaux doivent faire du contrôle social… Tout cela a aussi des répercussions sur le comportement de l’usager. Il faut donc que l’on conscientise nos étudiants aux dangers du secteur. En tant que prof, j’essaie d’être le plus transparent possible sur ce que je pressens de ce qui les attend. Je n’ai pas envie de leur vendre du rêve…»

Salim Megherbi ne s’en cache pas, au sortir de leur période de stage, certains étudiants confient: «Entre la théorie que vous nous donnez ici à l’école et la réalité, il y a un monde.» L’équipe enseignante accompagne les étudiants stagiaires. «Un dispositif prévu structurellement permet aux étudiants de partager, en groupe et individuellement, leur vécu de stage, et donc aussi les moments compliqués ou les situations éventuelles de violence. Si la situation est grave, on se met en contact avec le lieu de stage, pour comprendre et prendre les mesures nécessaires. Par contre, jamais on ne se permettra de juger le quotidien des services, déjà suffisamment en souffrance.»

Céline Teret

Céline Teret

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