En septembre dernier, la librairie Librebook ouvrait ses portes. Elle est le résultat de la rencontre avec le Rotor, un collectif de jeunes architectes. En intégrant le réemploi au cœur de leur démarche architecturale, ils espèrent rencontrer les aspirations de l’époque : une approche architecturale qui s’associe à l’environnement et au local.
En multipliant les projets d’envergures, les designs modernes et élégants, Rotor s’est attiré une certaine réputation. Depuis 2005, le collectif s’est illustré à Venise (Pavillon belge de la Biennale d’architecture 2010), Milan (Fondation Prada, projet Ex Limbo, 2011) ou encore chez nous, à Bruxelles : lors du Kunsten Festival des arts (2010), puis en s’associant avec Vplus pour proposer la rénovation du MAD Brussels (Mode and Design Center)
Rien ne se perd, tout se transforme
Dés 2012, les jeunes architectes établissent les bases de ce que deviendrait Opalis et Rotor Déconstruction. Respectivement, un réseau de collecte et de revente de matériaux de construction aux professionnels et une asbl qui promeut le réemploi et effectue les démontages de composants d’architecture sur chantiers.
Rotor participe à de nombreuses déconstructions dont celle du siège de la Société Générale des banques, construit en 1974 et signé – entre autres – par l’architecte Julien Wabbes. « C’était un chantier assez exceptionnel. Et il y a de gros avantages à cette méthode. On vide déjà partiellement les locaux, la structure, ce qui fait moins de déchets pour le maître d’ouvrage. Et s’il a des intentions écologiques, ça a d’autant plus de sens ! », explique Benjamin Lasserre, membre de Rotor. « On se rend compte que, de plus en plus, les gens ont un intérêt pour l’environnement », ajoute-t-il. « Même parmi les décideurs, dans les grosses boites, il y a des jeunes qui ont une sensibilité pour ça. Il y a un changement de mentalité assez générationnel. Ça se sent. ». Mais surtout, le plus important pour ce jeune architecte est :
« que cette philosophie ne devienne pas une mode. On veut sortir des égo-trip d’architecte. Ce n’est pas seulement une esthétique visuelle, style palette en bois recyclé. C’est une démarche durable ».
Le réemploi pour contrer le gaspillage. « Le gros coût de cette démarche, c’est la main d’œuvre. Les matériaux, eux, étaient destinés à la déchèterie. En revanche, il faut les nettoyer, les poncer, les redécouper, les peindre… En un mot, les réadapter. Le Réemploi force à une autre philosophie ».
La réputation de Rotor est arrivée aux oreilles d’Antonio Parodi, propriétaire de la librairie Librebook, entre Matongé et le quartier européen. « J’ai entendu parler de ce collectif par des amis. C’est surtout par sensibilité environnementale, écologique que j’ai fait appel à eux ».
Entre librairie et galerie d’art
« Ceci n’est pas une librairie ». Voilà un clin d’œil belgo-belge pour introduire les internautes à son concept. Pourtant, ce n’est pas aux seuls Belges qu’Antonio Parodi s’adresse mais bien aux Européens. « Il y a tellement de langues pour une si petite partie du globe. C’est une grande richesse. C’est ce que j’ai voulu mettre en avant. » Le libraire a donc disposé entre 20 et 30 livres dans les 20 langues sélectionnées pour agrémenter son espace. Pour Antonio Parodi, l’inspiration vient elle-même d’une autre librairie. Un concept original tout droit venu de Tokyo. Le « One Book Shop ». Décrit par ce simple slogan : « A single book in a single room ». Il a fait son petit buzz entre 2015 et 2016. Dans l’idée de Yoshiyuki Morioka, le « Morioka Shoten » (« La librairie de Morioka ») propose un livre, présenté sur une table. Un livre. Un seul. Changé toutes les semaines dans une simple pièce. D’un minimalisme radical.
Cette radicalité se retrouve dans les démarches des deux acteurs de ce projet. Rotor a fourni 80%, sinon 90%, des matériaux réutilisés. Pour la plupart, sauvés de la casse, soit directement sur chantier de destruction, soit issus par des apports extérieurs. Ces objets acquièrent une histoire, un supplément d’âme.
« Les étagères viennent de l’université de Gand, les présentoirs étaient des faux plafonds dans la société Générale des banques, le plancher venait d’un chantier précédent à 200m de la librairie actuelle. »
Au menu des prochains projets, Rotor s’associe à la rénovation du nouveau bâtiment de l’asbl Zinneke. La Région Bruxelles-Capitale et le Fond Feder sont venus en aide pour la « sédentariser » dans l’ancien Atelier Général du Timbre du quartier Masui. Les priorités de cet aménagement sont le souci du réemploi et le respect de l’infrastructure d’origine. Autrement dit, les principes mêmes de la démarche de Rotor. La fin des rénovations du bâtiment est estimée pour 2021.
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« Construire la déconstruction », Alter Échos, novembre 2015, Olivier Bailly