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"Réforme de l'enseignement qualifiant : un nouvel apport à la refonte de la formation professionnelle"

04-03-2002 Alter Échos n° 115

Depuis 1995, la Commission communautaire des professions et des qualifications1 – CCPQ – travaille à la réorganisation complète du répertoire d’options del’enseignement technique et professionnel. Ce travail trouve sa place dans le mouvement global de réforme qui se centre sur la pédagogie des « compétences » (notion qui fait encorel’objet de bien des débats). Le décret sur les missions de l’école de 1997 a ainsi décliné cette approche en « socles de compétences » qui sontéchelonnés de 5 à 14 ans et en « compétences terminales » à atteindre au terme des humanités. Pour les « humanités techniques et professionnelles », unenjeu spécifique était poursuivi par la CCPQ : celui de la revalorisation. Elles organisent en effet des formations vers lesquelles les élèves s’orientent enréalité à la suite d’échecs dans les « humanités générales et technologiques » et rarement par choix « positif ». Alors que ce processus deréorganisation arrive à son terme, les attentes, les inquiétudes et surtout les questions s’accumulent. Outre le passage de la réforme de la conception àl’application sur le terrain, cet article envisage le sort réservé aux options « sociales » ainsi que l’articulation – ou non – avec le reste du paysage de la formationprofessionnelle, à l’heure où celui-ci entame le chantier de la validation des compétences.
1. Objectifs et critiques
La CCPQ poursuit le double objectif de « vérifier l’adéquation des formations qualifiantes par rapport aux besoins professionnels actuels et futurs et, le cas échéant, deprocéder aux ajustements nécessaires » ainsi que de « redéfinir la formation dans une perspective qui met davantage l’accent sur les compétences à acquérir quesur le volume des contenus enseignés ». Cette optique suscite un certain nombre de difficultés (soulignées par la CCPQ elle-même) qui nourrissent des critiques. Parmi lesécueils que doit affronter ce genre de démarche, le CEF a notamment mis en évidence, dans son avis 61 du 5 février 1999, la difficulté d’atteindre un degrésuffisant de généralité, le risque d’obsolescence rapide et le caractère délicat des découpages à opérer. D’autres ont regrettél’absence de débat élargi et de période d’expérimentation de la réforme ; ainsi qu’une philosophie qui ferait croire qu’il n’existe qu’un seul mode d’articulationpossible entre l’école et le monde du travail, celui “valorisant l’entreprise” et « instrumentalisant la formation générale au service des besoins à court termede l’économie » (A. Deprez, dans Les cahiers du Cerisis, 2001/17). Notons toutefois que, sur ce plan, le représentant de la CGSP-enseignement, R. Mercier 2, rejoint la satisfaction deP.-A. Duart (UWE et président de la CCPQ)3, vis-à-vis de la démarche, du moins sur « les principes » et « si les objectifs légitimes d’optimalisation de l’entrepriseparviennent à être tempérés par l’expérience de l’enseignement ».
2. Fonctionnement de la CCPQ
Globalement, le processus respecte le timing prévu : il devrait bien être bouclé pour 2003. Mis à part un ou deux cas très particuliers encore en suspens, ilresterait, selon Joseph Michelin du cabinet Hazette4, 36 options réformées à appliquer à la prochaine rentrée, sur un total de plus de 80 options (contre 130auparavant). Ce « rendement » démontre une certaine efficacité du fonctionnement même de la CCPQ. A y regarder de plus près, la participation effective de l’ensemble desacteurs n’a pas toujours été assurée. Ainsi, les syndicats interprofessionnels semblent peu présents dans les groupes de travail. Les syndicats enseignants admettentégalement rencontrer des difficultés à assurer que leur voix soit exprimée ailleurs qu’en assemblée plénière. R. Mercier explique ainsi « ne paspouvoir examiner et négocier techniquement chaque document dans le détail ». Le banc patronal a connu pour sa part des difficultés en termes de représentativité deses différents membres (par exemple les PME, invoquant la nécessité de la polyvalence, n’étaient pas nécessairement d’accord avec la scission du profild’électro-mécanicien, défendue par Agoria pour des raisons de technicité grandissante des métiers de l’industrie).
En fait, dans les groupes de travail, ce seraient les différents chargés de mission, enseignants détachés pour la plupart, qui auraient assuré l’ouverturenécessaire des travaux et leur rencontre avec la réalité scolaire.
3. Articulation au terrain
Mais au vu des premiers profils, une des critiques les plus souvent entendues du côté enseignant réside dans les exigences « démesurées » du résultat destravaux de la CCPQ : « de niveau graduat ». Les enseignants « s’inclineraient devant la réforme mais une évaluation de leur travail en fonction du niveau exigé montreraittrès vite qu’il ne peut être atteint ». L’évaluation « permanente » prévue par la CCPQ semble plus se référer à la mise à jour des profils dequalification qu’au vécu scolaire… Selon B. Duelz (Fesec)5, la profondeur des changements et donc la difficulté d’adaptation diffèrent selon les secteurs mais « quand lesenseignants font le pas, ils sont satisfaits ». Pour les y aider, des séances d’informations et, sur demande, des formations peuvent être mises sur pied. Pour lui, la principaledifficulté réside dans l’intégration beaucoup plus importante de la théorie et de la pratique qu’implique la réforme, ce qui accroît la tension entre lesobjectifs de qualification et d’éducation à la citoyenneté de cet enseignement, et ce qui implique aussi de nombreux investissements dans l’équipement. Le fonds mis enplace à ce dernier effet par la Région wallonne y pourvoit mais « les sous sont lents à venir »… Plus globalement, l’adaptation de l’offre actuelle à la nouvelle donnes’avère parfois compliquée. Le cabinet Hazette semble avoir tenté de répondre au maximum de cas concrets qui lui étaient soumis, tout en précisant que »l’objectif est bien d’atteindre une réelle qualification et non de satisfaire les structures scolaires telles qu’elles existent ». Illustration dans le domaine social.
4. Le secteur « social »
Dorénavant, dans le 3e degré (5-6), trois formations qualifiantes seront organisées dans le technique – agent(e) d’éducation, animateur(trice) etesthéticien(ne) – et trois autres en professionnel – auxiliaire familial(e) et sanitaire, coiffeur(se) et patron(ne) coiffeur(se). La formation de puéricultrice se poursuitjusqu’à une 7e professionnelle.
Une quatrième option technique « technique social » a finalement été gardée mais elle sera… non qualifiante : elle prendra la relève des actuelles optionssciences sociales appliquées et technique social. Ces options (comme celles de l’ensemble du secteur) ont vu leur fréquentation exploser ces dernières années. Pour B.
Duelz, cela correspond à différentes évolutions : la tertiarisation accrue de l’économie et la diffusion d’un « modèle lycéen » (les élèves quise réorientent – ou sont réorientés – vers le qualifiant choisissant plus facilement des options sociales qui permettaient la transition vers le supérieur). Lanouvelle option ne se clôturant plus sur une qualification, elle exigera des élèves une formation ultérieure (7e et/ou supérieur). Il s’agit d’une option dequalification « à vertu transitive », explique T. Auquier (Fesec). Une 7e « agent d’accueil médico-social » débouchant sur un CQ technique sera mise sur pied mais « selon toutevraisemblance peu d’écoles l’organiseront », toujours selon Mme Auquier. Si pour certains profils (tel celui d’agent d’éducation) des difficultés ont surgi pourréunir des professionnels du secteur susceptibles d’aider à la définition des compétences requises, le milieu « social » n’a pas désiré participer à ladéfinition de cette 7e et le milieu hospitalier a clairement expliqué qu’il préférait former « sur le tas » les personnes qui occuperont cette fonction existante…
De manière générale, il semblerait d’ailleurs que le secteur social (ou plus largement les « services aux personnes ») éprouve quelques difficultés en termes dereprésentation. Pour R. Mercier, ce serait notamment dû à son manque de structuration au niveau patronal. Cette situation explique en partie que la CCPQ ait pu passer outre ausouhait des professionnels du secteur social de trouver une autre appellation qu’agent d’éducation (trop purement technique, voire « policière »), lorsqu’il a fallu désigner les »A2″ par un autre terme qu’éducateur réservé aux « A1 » (selon les appellations encore en vigueur dans la pratique et dans certains textes légaux).
Notons aussi que la règle « intangible » selon laquelle ne doit plus subsister qu’une seule filière par formation a notamment débouché sur l’élimination de laformation de coiffeur(se) en technique. Elle n’est à présent plus organisée qu’en professionnel. A l’IET Notre-Dame à Charleroi (touché par d’autres suppressionscomme celle de la section « éducation physique et animation socioculturelle »), on a par exemple jugé cette évolution assez regrettable (mises en disponibilitéd’enseignants, appauvrissement de la formation…) au point de mettre en place un petit module « coiffure » dans le second degré technique esthéticien(ne) pour permettre auxélèves de continuer de bénéficier de certains cours généraux, à ce niveau du moins.
5. Quel impact sur le paysage de la formation ?
Cette dernière règle a par exemple aussi provoqué la suppression de sections de boucherie et boulangerie dans le technique. A l’IT de la CFWB de Suarlée, qui organise desformations en boulangerie en alternance et dans le professionnel, on constate que cette dernière filière a effectivement vu sa fréquentation augmenter et presque compenser lafermeture de l’option technique. Mais, au vu de la difficulté de convaincre de la valeur de l’enseignement professionnel, on attend de connaître les chiffres sur une ou deuxannées pour voir si cette tendance se confirme.
Sans que ces phénomènes soient à rapprocher par une quelconque relation de cause à effet, il faudra suivre cette évolution au regard de la mise sur pied d’uneformation de boulanger(ère) par le Cefor (Promotion sociale de la CFWB) à l’initiative de la Mission régionale de Namur. Si le public concerné n’est pas le même,certains craignent malgré tout que ces mouvements d’opérateurs de formation en amont et en aval du même secteur puissent se voir amplifiés : la formation de boulangerdésertant définitivement l’enseignement.
C’est d’ailleurs parce qu’une même personne passe successivement par « les statuts d’étudiant finissant, de travailleur débutant et enfin de travailleur accompli » que le CEF – dontla Chambre de la formation est composée en patie des membres que ceux de la CCPQ – avait proposé que ces différents opérateurs se concertent. Dans son avis 61 datant de1999, il proposait de « redéployer la CCPQ sur l’ensemble du champ de la formation professionnelle » afin de construire un système de certification évitant les ruptures. Il n’a pasété entendu vu le scénario proposé par l’accord de coopération du mois de janvier sur la validation des compétences professionnelle, mais gageons quel’enjeu reviendra prochainement sur la table.
1 Voir http://www.agers.cfwb.be/pedag/textes/ccpq /index.htm
2 CGSP, place Fontainas, 9-13 à 1000 Bruxelles.
3 UWE, chemin de Stockoy, 1-3 à 13000 Wavre – tél. : 010 47 19 40.
4 Cabinet du ministre de l’enseignement secondaire, boulevard du Régent, 37-40 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 213 17 00.
5 Fesec, rue Guimard, 1 à 1040 Bruxelles – tél. 02 507 06 11.

Donat Carlier

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