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""Rapport Supiot" : des politiques d'emploi à celles du travail et de la citoyenneté sociale"

24-01-2000 Alter Échos n° 67

Le débat sur la fin de la valeur travail et du salariat est vif en Europe et dans le monde francophone depuis une dizaine d’années. Il est périodiquement relancé par lapublication d’un ouvrage qui marque le paysage, tels «Les métamorphoses de la question sociale» de R. Castel ou «Le travail, une valeur en voie de disparition» de D.Méda en 95.
Un ouvrage publié au printemps dernier est en train de faire date de la même manière : «Au-delà de l’emploi. Transformations du travail et devenir du droit du travailen Europe» 1, baptisé dès avant sa publication «Rapport Supiot», du nom du juriste français qui l’a dirigé.
Commandé par la Commission européenne à un groupe pluridisciplinaire de chercheurs de différents pays européens, cet ouvrage décrit sur base d’un travailcomparatif les évolutions récentes du travail et leurs incidences prévisibles ou souhaitables sur le doit du travail. Il s’en dégage des éléments deréflexion originaux sur la construction d’un modèle social européen.
«Ce rapport, qui prend acte de la fin du fordisme, modèle de régulation des décennies d’après-guerre, récuse l’idée de la fin du travail face audéveloppement du chômage et de la précarité. Il s’oppose également à l’idée que mondialisation et mutations technologiques rendraient à la foisnécessaire et souhaitable une dérégulation du marché du travail. Pour les auteurs, (…) l’enjeu est en réalité de redéfinir des droits sociaux quipermettent de créer ou de recréer des conditions d’intégration stables dans un monde devenu très flexible.» 2
L’ouvrage va assez loin puisqu’il propose de nombreuses pistes : l’institution d’un «statut professionnel» (appellation qu’il préfère à «contratd’activité») comme extension du statut de salarié; l’ouverture de droits de tirage sociaux (tels les titres-services, les crédits-formation ou certains types d’aides audémarrage d’entreprises, p.ex.); la reconnaissance et la rémunération du travail socialement utile effectué hors salariat; l’élaboration de principes juridiquesconcrets d’articulation des différents types de temps (en particulier professionnel et privé); l’élargissement de l’objet et des acteurs des négociation collectives,etc.
L’ambition est donc de redéployer les politiques d’emploi en «politiques du travail», et la protection sociale en «citoyenneté sociale».
L’ouvrage, dense mais se prêtant bien à une lecture par morceaux, ne tombe jamais dans les modes, les allégeances, les dogmes ni les simplismes, cherchant plutôt des voiesde synthèse. Il en va ainsi par exemple de la question de l’allocation universelle ou du revenu de citoyenneté, argument trop souvent rouleau compresseur des débats qui s’ouvrentdès qu’on dissocie travail et emploi. Ecartant «le choix de la déconnexion du social et de l’économique d’une part via la promotion d’une flexibilisation nonencadrée par l’acteur collectif et l’Etat, et d’autre part via la proclamation de droits sociaux intégralement déconnectés de l’insertion des individus dans lasphère économique», le rapport, entre l’ «Etat minimal» et la conservation de l’»Etat providence», propose un modèle de réarticulation desdroits sociaux individuels et collectifs en quatre «cercles» : «Les droits propres au travail salarié (l’emploi), les droits communs de l’activité professionnelledépendante ou indépendante (hygiène, sécurité, etc.), et les droits fondés sur le travail non professionnel (charge de la personne d’autrui, travailbénévole, formation de soi-même, etc.) constituent ensemble les trois cercles de droits devant être liés à la notion de statut professionnel. Les droitssociaux universaux, garantis indépendamment de tout travail (soins de santé, aide sociale minimale, etc.), échappent à cette notion. Ils méritent d’êtreprotégés par une législation spécifique.»
1 Sous la direction d’A. Supiot, Flammarion, 321 pp. Dont une bien utile «Synthèse» d’une vingtaine de pages.
2 Repris de la revue Travail/Alternatives économiques, n° 174, octobre 99, pp. 12-15.

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