Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Philippe Gérard, architecte : « Il y a une violence dans la rénovation »

Le trajet de Philippe Gérard en tant qu’architecte pourrait passer, à première vue, comme classique. Quoique ? En y regardant bien et en prenant le temps de discuter avecl’homme, on se rend compte qu’on a affaire à un observateur assez fin du logement social ou assimilé.

19-06-2010 Alter Échos n° 297

Le trajet de Philippe Gérard en tant qu’architecte pourrait passer, à première vue, comme classique. Quoique ? En y regardant bien et en prenant le temps de discuter avecl’homme, on se rend compte qu’on a affaire à un observateur assez fin du logement social ou assimilé.

En 1985, Philippe Gérard sort de l’Institut d’architecture Lambert Lombard à Liège. Rien ne semble le porter à s’intéresser au logementsocial a priori. D’ailleurs, d’où lui vient cet intérêt ? Lorsqu’on lui pose la question, il sourit. « Je m’étais préparé à cettequestion », reconnaît-il. Il répond, modestement, que la plupart des architectes le deviennent parce qu’ils veulent d’abord dessiner leur maison. « On ne construitpas du logement par intérêt pour le logement social, admet-il en toute franchise. Il s’agit plutôt d’un intérêt professionnel. L’architecture, c’est un dialogue. Onrentre dans l’intimité des gens, c’est un travail sur l’habitat. Il n’y a pas seulement une maison à construire, il faut penser à l’habiter ensemble. Avec le logement social, onperd le lien individuel propre à la maison pour travailler sur le rapport entre les gens. » Un défi certes, mais que n’hésite pas à relever cet ancienlauréat de la première édition d’Europan, le concours européen d’architecture et d’urbanisme. « Comment construit-on pour que les gens habitent ensemble etdéveloppent une relation à l’environnement ? » Il aurait pu utiliser l’expression « s’intégrer à l’environnement », mais il ne l’aimepas : « Je n’aime pas le mot « intégration », je préfère « être attentif » à l’environnement humain et à l’environnement bâti. »

Une approche collective

Loin de fonctionner en autarcie, Philippe Gérard aime à travailler de manière collective pour développer des projets. En 1991, lors de la deuxième éditiond’Europan, il participe à un groupe de travail constitué des lauréats des autres pays organisateurs sur le thème « habitat et reconversion des sitesurbains ». En 1994, lui et l’ingénieur-architecte François Lemaire associent leurs bureaux respectifs pour l’étude du plan-masse de l’îlot Saint-Michel, placeSaint-Lambert à Liège. Cinq ans plus tard, ils jettent les fonts baptismaux du bureau des architectes Gérard-Lemaire & associés1. Celui-ci se niche dans lequartier Saint-Jacques de Liège, à deux pas de la Meuse. Un troisième larron, Jonathan Renson, les rejoint en 2002 avant de devenir leur associé en 2009.

L’approche reste résolument collective. « On essaie de développer ensemble les différents projets, insiste Philippe Gérard. Ce n’est pas une associationd’opportunités. » Ils travaillent sur le logement social, le logement d’insertion, mais aussi sur d’autres projets. « Nous avons obtenu le prix d’Urbanisme deLiège pour la construction d’une clinique privée près du Jardin botanique. C’est important de ne pas se cantonner dans un seul domaine, estime l’architecte avant d’ajouter :c’est même une richesse de passer de l’un à l’autre. Nos activités, c’est le logement, les activités de bureaux et d’entreprises et les espaces publics. » Et desouligner que ce dernier point est essentiel dans une approche de logement social : « Il faut savoir ce qu’on est prêt à partager, à individualiser. Il fautcréer des espaces potentiels de socialisation. On ne sait pas qui va s’approprier les espaces (les jeunes, les personnes âgées…). Nous, on crée des possibles,après… » Après, les lieux vivent par eux-mêmes. Et Philippe Gérard est parfois curieux de savoir ce qu’ils sont devenus : « C’estintéressant de retourner des années plus tard, pour voir comment cela a évolué. Il n’y a pas de solution toute faite. C’est amusant de voir comment les gens ontaménagé l’espace. On n’est pas dans une revue d’architecture et de design. »

Acteurs différents, approches différentes

« Dans le logement dit social, on bosse avec des acteurs qui ont des approches très différentes », constate Philippe Gérard. Comment s’en sortirdès lors ? « On fait la synthèse de ce qu’on a appris des uns et des autres », répond-il très simplement. De manièregénérale, le bureau mène des opérations innovantes assez variées avec le Fonds du logement wallon et l’AIS (agence immobilière sociale). Pour chaque cas, ily a toujours une réunion avec l’Aide locative du Fonds. « On y rencontre l’architecte du Fonds, la personne qui va gérer le logement (CPAS, Fonds, etc.), l’assistant socialqui va accompagner le locataire, décrit Philippe Gérard. Nous recevons les remarques de chacun. C’est important d’avoir ce genre de réunion, parce que ces personnes sont encontact permanent avec les publics. On est très dans le concret. C’est cette méthode de travail qui permet cela. Je me rappelle que le Fonds du logement a conçu un modèlede meuble de cuisine à partir de ce type de réunions. Il les installe partout et ces meubles sont fonctionnels par rapport aux besoins des occupants. De ces collaborations, nous avonsretiré des enseignements que nous avons pu apporter aux sociétés de logement public où l’on voit davantage les choses en termes de budget. »

Pour l’architecte, il importe de connaître le locataire pour apporter des solutions fonctionnelles. Lorsqu’il se voit confier par le Fonds du logement wallon des immeubles àcaractère patrimonial à rénover, Philippe Gérard sait qu’il faut les adapter à leurs publics, c’est-à-dire des familles nombreuses qui ont besoin d’espace.Or le budget est restreint et il faut faire petit. « Mais si on veut faire des logements tout petits, observe l’architecte, il ne faut pas oublier que les gens viennent avec leurs bagages,leurs meubles de brocante qui ne rentrent pas forcément dans ces logements. C’est pour cela que les petits logements hyper-équipés constituent un luxe. Ils coûtent cher etne correspondent pas aux attentes des publics. »

Violence de la rénovation

Entre 2003 et 2008, Philippe Gérard a été expert auprès de la Société wallonne du logement dans le cadre du PEI (Programme exceptionnel d’investissement)visant à la mise en conformité du parc locatif social. Un poste d’observation privilégié en quelque sorte. De là, il a eu le temps de regretter que le PEI soitarrivé trop tôt par rapport aux normes de performance énergétique des bâtiments. « C’est dommage, dit-il, parce que c’est important de faire les travauxdans l’ordre. Il faut travailler sur l’enveloppe d’abord avant de travailler sur le reste. » De plus, cela permet d’amortir l’investissement pour le propriétaire, de faire deséconomies pour les locataires et de faire un bilan écologique. Mai
s il faut convaincre le maître d’ouvrage d’investir au bénéfice du locataire. « Or cen’est pas l’objectif du logement social pour lequel il faut d’abord offrir un logement à loyer abordable, déplore l’architecte. Pour moi, dans le logement social, tout doit rentrer enligne de compte, y compris les charges. »

Depuis son poste d’observateur privilégié, il a pu aussi constater à quel point la rénovation était violente : « La rénovation du logementsocial est rarement vécue comme un plus par les locataires. C’est un peu « Allez-y, vous êtes propriétaires, faites vos travaux ». Et c’est vrai, pendant six mois, leslocataires vont subir les nuisances du chantier. Même si on leur dit « Vous allez avoir un nouveau chauffe-eau, on va isoler… » C’est difficile de leur faire entendre que cela vaaméliorer leur confort. Ils s’inquiètent aussi d’une hausse de loyer et certains préfèrent partir. La communication est très importante lors des rénovations,mais les sociétés de logement sont démunies. En fait, cela dépend du dynamisme des gérants. Mais il faut une proximité », insiste-t-il.

Le PEI a heureusement introduit une volonté d’accompagnement social des locataires. Heureusement, car les travaux se font alors que les gens sont là, quand il ne faut pas lesdéplacer. Avant, tout se faisait sans accompagnement social, les locataires recevaient un courrier type. « La rénovation est très invasive, insiste une fois encorePhilippe Gérard. Les gens sont censés déplacer des meubles qu’ils ne savent pas déplacer. Très souvent, les chefs d’équipe de plombiers etd’électriciens qui rentrent au cœur des appartements doivent faire face à des gens en colère. Au fur et et à mesure que le chantier évolue, le chefd’équipe connaît tous les locataires : il sait qui est malade, qui part en vacances… Sur le chantier, le chef d’équipe devient le référent des locataires. C’estpar lui qu’ils ont des infos. »

Un des gros défauts lors des interventions est que les frais de peinture et de tapisserie ne sont pas pris en charge par les sociétés de logement, observe l’architecte.« Du coup, il n’y a pas de finition. C’est à charge du locataire. Quand on tombe dans un logement nickel, c’est délicat. Peut-être les sociétés delogement pourraient-elles trouver des solutions avec des Régies de quartier », suggère Philippe Gérard.

Des habitants très présents

Rénover le logement social n’est pas une sinécure. Les occupants sont peu demandeurs, fatalistes aussi. Depuis le temps qu’on leur promet de rénover, ils n’y croyaient plus.Mais ce n’est pas le seul défi pour les architectes. Philippe Gérard voit qu’aujourd’hui, dans le logement social, les gens ne travaillent pas. Et il faut être attentif au tempspassé à « habiter » : « Au niveau ventilation, il faut leur expliquer le fonctionnement du logement : c’est très difficile d’expliquerà la personne qu’il faut laisser entrer de l’air froid pour ventiler. Or, comme les gens sont là tout le temps, ils produisent de la vapeur tout le temps. Les gens ne le savent pas etils se plaignent de la condensation. »

L’interview s’arrête là. Il y aurait encore beaucoup à dire. Par exemple sur le fait que le logement moyen est plus subsidié que le logement social. « Lesgens devraient avoir droit au même confort, non !? », s’étonne Philippe Gérard. Mais notre homme a un autre rendez-vous. Il nous raccompagne un bout de chemin.Nous passons devant un immeuble de maître que son bureau a transformé en cabinet d’avocats. « On est loin du logement social », sourit-il. Devant le Jardinbotanique, nos chemins se séparent : « Désolé de ne pas avoir pu vous consacrer plus de temps », s’excuse-t-il. Il me dit qu’en poursuivant tout droit,j’arriverai à la gare en passant devant la clinique privée pour laquelle son bureau a obtenu le prix de l’Urbanisme. Le logement social paraît, là aussi, bien loin. Maiscomme il le dit lui-même : « C’est important de ne pas se cantonner dans un seul domaine. »

1. Bureau d’architecture Gérard-Lemaire & associés :
– adresse : rue Rouveroy, 9 à 4000 Liège
– tél. : 04 221 26 23
– courriel : info@gerard-lemaire.be
– site : www.gerard-lemaire.be

Baudouin Massart

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)