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"Peines de travail : mutations dans le champ des mesures judiciaires alternatives"

18-11-2002 Alter Échos n° 131

Instaurée par la loi du 17/04/2002, la peine de travail (PT) est entrée en vigueur le 07/05/2002. Son arrivée dans l’arsenal des mesures judiciaires alternatives a eu uncertain nombre d’effets, entre autres de remplacer à terme le travail d’intérêt général (TIG). Ce 18 octobre, elle faisait l’objet d’un colloque1 qui setenait à l’ULg et qui exposait un premier bilan de l’application de la nouvelle loi après six mois d’application. Par ailleurs, les services2 qui organisent les formationssocio-éducatives, une autre de ces mesures judiciaires alternatives, organisaient le même jour une conférence de presse, à Liège également, pourdénoncer le rabotage de leurs moyens financiers et les menaces qui pèsent sur l’avenir de leur service. Ces événements sont autant d’occasions depréciser ce que recouvre cette nouvelle mesure de PT, à resituer par rapport au TIG duquel elle s’inspire.
1. Les objectifs multiples de la peine de travail
La Loi du 17 avril 2002 sur la PT s’inscrit en fait dans la continuation de la mouvance de la création des TIG et formations. La nouvelle loi prévoit d’ailleurs une périodede transition durant laquelle TIG et PT coexisteront. Dans les textes, il est prévu que le TIG sera supprimé au plus tôt le 1ER novembre 2003 et au plus tard le 1e mai 2004.
La PT peut s’appliquer à tout fait de nature à entraîner une peine de police ou correctionnelle. En sont toutefois exclu diverses préventions3.
La PT est dite « autonome » en ce qu’il n’est plus nécessaire de passer par la médiation ou par la probation pour condamner à des heures de travail pour lasociété, explique M. Dantinne, chercheur à la Faculté de droit de l’ULg. Elle est aussi dite « de substitution » par rapport à l’amende ouà l’emprisonnement, car elle viendrait « en place de ». Sur ce second aspect, le chercheur reste attentif à l’usage qu’il sera fait concrètement dece nouvel outil.
Après moult débats, la loi met principalement l’accent sur le caractère rétributif de la peine de travail, et insiste sur le caractère de souffranceajoutée et de restriction de liberté d’une mesure de PT. Le législateur confère à cette peine de multiples objectifs particuliers: la lutte contre lessentiments d’insécurité et d’impunité, la répartition symbolique au profit de la victime et de la société, un effet responsabilisant etconscientisant sur le condamné par sa participation active à la peine, un caractère réintégratif, un remède à la surpopulationcarcérale…
Attribuant à la PT son autonomie, le législateur paraît vouloir bousculer les raisonnements jusque-là centrés sur l’emprisonnement. Il ambitionne que la peinede prison ne soit plus la référence, mais que la PT devienne le premier choix de la réaction sociale. Il ressort toutefois que les parlementaires se soient surtout satisfaits del’idée que la PT contribue à combattre un certain sentiment d’impunité.
Une place à trouver dans le système
Selon M. Dantinne, dans un certain sens, la création de la peine de travail pourrait être comprise comme une reconnaissance du potentiel des peines et mesures dans la communauté(TIG et Formations). Pour lui, la richesse de ces mesures de travail repose notamment dans la diversité des lieux de prestation, l’insertion du justiciable dans un environnementnon-délinquant, un accompagnement dans la préparation tant du lieu de prestation que du prestataire, ainsi que dans son maintien de ce dernier dans son milieu de vie. Cela dit, àla lecture de l’article4 que M. Dantinne a co-rédigé sur la question, il ressort que le législateur a hésité tant par rapport à la fonction que parrapport à la sévérité de cette peine et il aurait in fine fait l’économie de cette question.
En six mois, 300 décisions de PT ont été prises sur le territoire belge. Toutefois, on relève que les Flamands prononcent davantage plus cette peine en matièrecorrectionnelle, d’une gravité sensible, alors que la partie francophone prononce surtout cette peine dans le cadre d’affaires de roulage.
Le chercheur insiste sur l’importance que la peine soit effectivement exécutée. Sinon, le système perdrait en cohérence, comme dans le cas des courtes peines deprison qui ne sont pas exécutées. Il apparaît essentiel que la mesure soit réalisable. Il revient au magistrat d’évaluer la faisabilité de la mesure etle nombre d’heures qu’il impose. Il faut ajouter à cela
> qu’un risque réside aussi d’engorgement des Services d’encadrement de mesures judiciaires alternatives (SEMJA) et des lieux de prestations. Le chercheur rappelle que lelégislateur ne fait aucunement mention des SEMJA. Ces services communaux collaborent pourtant à la mise en place concrète des TIG et des PT. Or, aucune augmentation de leursbudgets n’est prévue.
> Les risques de blocage résident également au niveau des lieux mêmes de prestation qui, tant par le nombre de mesures prises que par le nombre d’heures imposées,pourraient bien arriver rapidement à saturation.
Et d’aucuns d’agiter le spectre de « camps de peine-de-travaillistes », sortes de chantiers de travaux forcés pour remédier à cette carence. Cetteorientation viderait indéniablement la PT de son sens.
De ce séisme au sein des mesures judiciaires, il faudra voir quelle forme l’agencement du nouvel arsenal prendra dans les mois et surtout les années à venir. Du temps seraen effet nécessaire avant que les pratiques évoluent et qu’elles ne se stabilisent dans ce nouveau paysage en construction.
2. Mesures socioéducatives: des moyens en moins, des dossiers en plus
Avec l’arrivée de la nouvelle loi sur les PT, on ne parlera plus de TIG dans le cadre de la probation ni de la médiation pénale5. La mesure de formation ainsiisolée, les services qui organisent des formations socio-éducatives6 dénoncent les menaces qui pèsent sur l’avenir des mesures qu’ils organisent.
Depuis le début, en 1995, ces services constatent qu’ils n’ont jamais obtenu que des conventions annuelles, plaçant les associations dans l’incertitude. Tout enreconnaissant l’augmentation régulière de l’enveloppe budgétaire allouée aux formations socio-éducatives, les services ne comprennent pas que leursubvention soit rabotée alors qu’ils constatent une croissance constante des décisions de formation par les magistrats. Pour leur activité 2002-2003, les services recevront6,5 % de subsides en moins. La crainte est évidemment que le système se grippe et que les services ne soient plus capables de répondre aux demandes de formation, faute de moyenssuffisants. Pour les services, le ministre donne ainsi un coup de frein aux mesures alternatives, contrairement à ce qu’il annonçait en 1999 dans son plan fédéral desécurit&eac
ute;. En ce qui concerne ce rabotage budgétaire de 6,5 %, M. Dantinne, chercheur à la Faculté de Droit de l’ULg, mentionne que le ministre auraitinvoqué une erreur au niveau budgétaire. Dans le contexte actuel, le chercheur pense que l’idée pourrait bien être de renvoyer cette matière auxCommunautés. Si la Flandre est prête à prendre en charge les projets flamands, du côté francophone, on n’en a pas nécessairement les moyens.
En ce qui concerne l’augmentation croissante des dossiers, à titre d’exemple, Patrick Fonck, formateur à Praxis, explique que son service est passé de 6 dossiers lorsdu lancement en 95-96 pour arriver, en 2001-2002, à 235 dossiers. Outre la sensibilisation des magistrats à ce type de mesure, l’augmentation de ce type de décisionsrésulte aussi de la diversification croissante de l’offre de formations par Praxis ainsi que du nombre croissant d’arrondissements judiciaires sur lesquels le service opère.L’intervenant précise que le nombre de décisions de condition de formation socioéducative est très variable d’un arrondissement à l’autre.
Petit détour historique
En 1994, l’inscription de la formation et du TIG dans le champ des mesures judiciaires alternatives répondait à une volonté sécuritaire. Ces mesures ont pourobjectif de lutter surtout contre la petite délinquance, qui serait à l’origine du sentiment d’insécurité. Elles visent aussi à éviter leclassement sans suite, afin de limiter le sentiment d’impunité. Parallèlement, l’idée est de développer une justice alternative en évitant lesinconvénients de l’emprisonnement, une justice orientée vers la réparation. Les critères de subvention des projets, dits nationaux, sont précisés dansun arrêté royal du 6 octobre 94. Nationaux dans le sens où, au départ, le projet du ministre était d’apparier les projets du Nord et du Sud du pays. Ils onttoutefois, par la suite, évolué de façon propre. Trois associations sur le territoire francophone répondent d’abord à l’appel à projet(l’IBSR qui s’adresse aux auteurs d’infractions routières, Arpège qui effectue de la sensibilisation au point de vue de la victime et à la gestion de conflits et Praxis quise préoccupe de délinquance liée à la consommation de produits), dont l’objet de la formation continuera à évoluer de manière plus ou moinsimportante au fil du temps pour s’adapter à la demande.
Les projets se voient assigner une double mission:
> organiser des formations socioéducatives
> et sensibiliser les instances judiciaires compétentes à ces projets de formation.
En 1997, Médiante qui effectue de la médiation auteur/victime obtient une subvention sous le même arrêté dans le cadre de l’accompagnement de l’auteur etde la victime à tous les stades de la procédure, en envisageant de gérer le conflit de manière consensuelle, projet atypique par rapport aux autres. Plus récemment,en 1999, une formation a été mise en place par un cinquième opérateur, Triangle, via la Ligue wallonne pour santé mentale, à l’égard des auteursd’infractions à caractère sexuel.
1 Colloque « La peine de travail: premier bilan après six mois d’application », organisée le 18 octobre 2002 à la Faculté de Droit del’Université de Liège par l’Union belgo-luxembourgeoise de droit pénal, le Service de droit pénal et de procédure pénale et le Service decriminologie de l’Université de Liège.
2 Arpège-Prélude, Praxis, Triangle et Médiante.
3 Prise d’otage; viol et attentat à la pudeur qualifié; corruption de la jeunesse, prostitution, outrage public aux mœurs, si les faits ont été commis sur desmineurs ou à l’aide de mineurs; homicides volontaires, meurtres commis pour faciliter le vol.
4 « La peine de travail – Commentaires de la loi du 17 avril 2002 », par A. Jacobs et M. Dantinne, à paraître dans la Revue de droit pénal et de criminologie,septembre-octobre 2002, pp. 815 à 888.
5 Précision: de façon à lever une ambiguïté fréquente, quand l’autorité mandante (juge ou magistrat) prescrit une formation dans le cadre de laloi sur le TIG, elle fait uniquement référence à des formations socioéducatives spécifiques organisées par des services qui sont subventionnésdirectement par le Service Public Fédéral – Justice pour organiser lesdites formations. Dans ce cadre, il ne s’agit donc pas, par exemple, de formations d’insertionsocioprofessionnelle. Les injonctions judiciaires dans le domaine de la formation socioprofessionnelle ou de l’emploi s’inscrivent dans le cadre de conditions spécifiquesliées à une mesure probatoire, à une libération conditionnelle ou encore à une mesure alternative à la détention préventive.
6 Lois relatives aux formations socioéducatives: loi du 10/02/94, organisant la procédure de médiation pénale; loi du 22/03/99 modifiant la loi sur la suspension, lesursis et la probation du 29/06/64.

Agence Alter

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