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Regard critique · Justice sociale

Patou Macaux, comédienne

Depuis plus de vingt ans, Patou Macaux met son talent de comédienne au service du théâtre-action, pour amener ceux qui n’ont pas voix au chapitre, à se faireentendre.

12-03-2010 Alter Échos n° 291

Elle a fait de sa passion un outil de résistance et de débat. Depuis plus de vingt ans, Patou Macaux met son talent de comédienne au service du théâtre-action.Pour amener ceux qui n’ont pas voix au chapitre, à se faire entendre.

En ce moment, elle est Johanne. Une pauvre femme, « allocataire sociale », qui a besoin d’un formulaire qui lui donnera accès aux soins de santé gratuits. A saprescription de somnifères. Johanne rumine dans une salle d’attente inconfortable d’un CPAS quelconque. On lui demande de revenir lundi1. Johanne parle vrai de samisère quotidienne. Des difficultés à joindre les deux bouts et des petites entourloupes pour améliorer l’ordinaire. Johanne est attachante. Elle est un peu chianteaussi. Avec son désarroi encombrant, son bon sens, son statut d’assistée. L’art des acteurs, c’est de vous faire avaler n’importe quel bobard: et quand Patou devient Johanne, on gobe eton l’aime sans condition.

Comédienne professionnelle, Patou Macaux a commencé par des études d’interprétation dramatique à l’IAD. A l’époque, elle a vingt ans. Duthéâtre, elle connait les grands classiques, qu’ils soient modernes ou antiques. Elle fait des études en plus, au cas où: une licence en italien à l’UCL. Avec unsujet de mémoire pour se faire plaisir, sur les marionnettes en Italie «Tout à fait par hasard, j’ai rencontré le grand marionnettiste Benedetto Ravasio qui travaillaitavec des masques de la Comedia del Arte. A l’origine, ces marionnettes avaient été conçues pour lutter contre l’oppression politique. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avecle personnage de Gioppino, un mythe, une des grandes figures du théâtre ». Homme du peuple, petit et humble, Gioppino incarne la victime du pouvoir et de l’exploitation. La jeunePatou part donc en tournée avec Ravasio et sa famille de poupées, dans les hameaux de la péninsule. Les pièces jouées sont directement inspirées duvécu des habitants et de l’actualité. « Ca créait des débats formidables avec les spectateurs. Nous sommes au début des années 1980, la plupart desgens n’ont pas la télé et on ne parle même pas de l’internet. Notre théâtre de marionnettes amenait les villageois à parler du monde, des rapports sociaux, desinjustices. Pour moi, ça a été une formidable révélation». Le processus lui plait, mais elle ne s’imagine pas jouer avec des marionnettes toute une vie,comme le maître Ravasio. Désormais, Patou trace sa voie, le théâtre a une fonction critique et politique qu’elle compte assumer pleinement.

Construire une parole universelle

De retour en Belgique, elle travaille un peu dans l’animation avant de découvrir la Compagnie du Campus2. Dans la mouvance de mai 1968, des étudiants del’Université libre de Bruxelles avaient décidé de créer une compagnie et d’intervenir dans les manifs. L’action précédait le théâtre enquelque sorte. La Compagnie s’est construite autour d’une devise : « Le théâtre ne peut être à l’abri du monde tel qu’il est et de l’injusticesociale qu’il produit ». Une philosophie qui colle aux idéaux de Patou. «Le théâtre action, c’est un métier que l’on n’apprend pas dans le cursusclassique. Le travail avec des non acteurs est très particulier. Il faut partir de la personne qui est en face de nous, de sa parole et sans la trahir, arriver à en faire quelque chosequi a une portée universelle. Voilà le moteur essentiel de notre métier », raconte Patou. « Aujourd’hui, le théâtre action n’est pas moins politique,mais on est à l’ère des formations, de la réinsertion, et on a parfois le sentiment que les publics sont ‘réquisitionnés’. De plus en plus, il y a unedemande de contrôler les personnes dans des projets de réinsertion. Ça nous éloigne de l’objectif premier, mais ce n’est pas pour autant qu’on baisse les bras :il faut aller chercher la parole autrement ». La réinsertion par la formation ? Patou y croit moyennement. « On invente régulièrement de nouveaux programmes deréinsertion, mais de toute façon, ce que les gens voient concrètement, c’est qu’il n’y a plus de boulot. La réalité est cynique avec de plus enplus d’argent d’un côté et de plus en plus de personnes niées, exploitées, de l’autre ».

Même si chaque spectacle est le résultat d’un processus singulier, la première rencontre commence souvent autour d’une table, pour faire connaissance. « Il ya plusieurs étapes qui ne se déroulent pas toujours dans le même ordre. Ce qui importe, c’est qu’à la fin du processus, on soit dans une parole tout à faitassumée par le collectif. » Le processus n’est évidemment pas si simple à construire avec un public qui a souvent été réifié et çademande une patience infinie de faire émerger une parole. «Nous sommes dans un monde de plus en plus individualiste où l’on ne considère plus les gens que comme desconsommateurs. Il faut du temps pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont un point de vue, un sens critique, une parole, une esthétique. Qu’ils se disent, tout simplement : moi, jene suis pas rien, je pense, je peux donner du sens.»

Démonter les mécanismes de l’injustice sociale

La Compagnie travaille notamment avec Lire et écrire Charleroi. Avec des personnes qui n’ont jamais fait de théâtre. Avec des personnes qui ont des parcours très lourdsd’exclusion qu’elle soit sociale, économique ou psychologique. Mais aussi avec des personnes qui sont économiquement « du bon côté ». Un jour, la troupe estinvitée à aller parler avec des étudiants en sciences sociales, un autre, elle travaille avec des avocats qui collaborent avec ATD Quart Monde, là, elle vient de bouclerun spectacle Ailleurs c’est ici avec un public de travailleurs sociaux. Parfois encore, elle bosse avec des mômes. « Lors d’une rencontre, un gamin de 11-12 ansm’a dit qu’il n’aimait pas porter des trucs lourds. En fait, ce petit travaillait le matin très tôt, avant d’aller à l’école, àdistribuer des toutes boîtes pour aider ses parents. On sait intuitivement que ça existe. Et puis un jour, on découvre ces choses horribles, racontées comme sic’était naturel.». Patou ne se dérobe pas pour autant, refuse de perdre le contact avec le réel, avec le monde tel qu’il est. Même s’il estdégueulasse. Elle garde en tête ses objectifs.

« Nous avons différentes manières d’amorcer les ateliers. Attention! Nous ne sommes pas des thérapeutes. Bien sûr, on n’échappe pas à des choses,parfois très violentes, que les gens livrent, mais on doit toujours revenir aux rapports sociaux, à la manière dont les hommes vivent, à ce qui
ne fonctionne pas dans lasociété et à ce qui crée débat. On démonte les mécanismes de l’injustice sociale. » Le thème du monde du travail et celui sous-jacent desrevenus ont ainsi soulevé des débats passionnés et émotionnellement chargés. Parfois, les personnes se trompent de cible. Une dame, après quarante ans delabeur, était choquée de voir « que ceux-ci qui viennent d’arriver en Belgique » recevaient autant voire plus d’allocations sociales que cequ’elle-même percevait comme retraite. Un autre, sans emploi depuis de nombreuses années, pestait contre l’ouvrier roumain chargé d’entretenir les jardinscommunaux. « Il est important de remettre les choses en perspective pour arriver à démonter les systèmes et les expliquer, rappelle la comédienne. Lethéâtre action n’a pas la prétention de changer le monde. Pourtant lorsque l’on parvient à changer sa perception des choses, son regard sur les évènements,cela crée du débat entre les gens et notre action devient politique. En ce sens, le théâtre action peut changer des trajectoires individuelles. Oui, je crois auxrencontres. D’ailleurs, celle avec Benedetto Ravasio a réellement modifié le cour de ma vie ».

Eveiller à la conscience critique

Le prochain spectacle sera un peu particulier. Il marquera les quarante ans d’existence de la Compagnie du Campus. Pour l’occasion, tous les membres, qu’ils soientcomédiens ou non, monteront sur scène. L’équipe est en train d’écrire le spectacle… qui portera sur la crise. Autant dire que les sourcesd’inspiration ne manquent pas ! « Au-delà du vécu des gens, on relit aussi la Convention internationale des droits de l’homme, les lettres d’excuses des banques.On devrait aussi revoir le film de Dino Risi, Les monstres où il fait dire à l’un des personnages : « le capitalisme fait de nous des monstres ou nous mèneà disparaître ». Le réel est tellement cynique et arrogant qu’on aimerait que le texte soit à la hauteur, très provocateur ! ». Pour la troupe, cespectacle anniversaire est un enjeu important à plus d’un titre. D’abord parce que ce sera une première de faire jouer tous les membres ensemble qu’ils soientcomédiens, graphistes, régisseurs ou animateurs. Ensuite parce que ce sera une manière de réaffirmer son identité sur le mode collectif. «Malheureusement, onn’échappe pas aux contradictions. Au départ, nous sommes tous des militants, mais à partir du moment où on obtient une reconnaissance officielle, cela implique desobligations légales, des impératifs. Peu à peu, chacun doit se spécialiser, mais on tente tout de même de rester le plus collectif possible, pour nous, c’estprimordial. »

Au bout de vingt-trois ans d’aventures à la Compagnie du Campus, Patou ne semble ni blasée, ni apaisée quant à l’injustice. «Tellement de gens sont‘parlés’ ! Le Théâtre action, c’est apprendre à dire ‘je’ et à dire ‘nous’. Mon objectif, ma satisfaction dans cemétier, c’est lorsque les gens se reconnaissent comme faisant partie d’une classe sociale et trouvent des forces pour agir collectivement. Parce que ce n’est pas naturel, cen’est pas une fatalité le monde comme il va. »

1. Revenez lundi, est une pièce de théâtre co-réalisée par la Compagnie du Campus et le Théâtre Parminou (Québec). Le texte, en partieécrit par Patou Macaux, a été publié par les éditions du Cerisier.
2. La Compagnie du Campus :
– adresse : place de la Hestre, 19 à 7170 La Hestre
– tél. : 064 28 50 47
– site : www.ciecampus.be

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