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Ouvrir les yeux sur les centres fermés : exposition photographique urbaine

« Ni ici ni ailleurs, ni dedans ni dehors, ni morts ni vivants. Des gens qui ne sont nulle part. »1 Tel pourrait être résumé le message transmis par larécente campagne de sensibilisation du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers)2, du FAM (Forum asile migration)3 et duJRS Belgique (Jesuit Refugee Service)4.

19-05-2006 Alter Échos n° 208

« Ni ici ni ailleurs, ni dedans ni dehors, ni morts ni vivants. Des gens qui ne sont nulle part. »1 Tel pourrait être résumé le message transmis par larécente campagne de sensibilisation du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers)2, du FAM (Forum asile migration)3 et duJRS Belgique (Jesuit Refugee Service)4.

Campagne qui prend la forme d’un parcours à travers Bruxelles où 18 photographies géantes interpellent le public en français et néerlandais sur lesfaçades d’édifices privés ou publics. Afin de rappeler que chaque année en Belgique, 8.000 personnes, adultes comme enfants, sont privées de libertépour une question de papiers…

« Je me souviens d’avoir été terriblement ému et choqué par le décès de Sémira Adamu. Cet épisode, s’il est singulier par saviolence et son issue fatale, n’est pas isolé au rayon des initiatives inacceptables », commente Julien Phol, l’un des huit photographes professionnelssélectionnés pour rendre compte des atteintes aux droits fondamentaux vécues par les personnes contraintes de passer par l’un des six centres fermés du pays. Lecliché de Julien invite le citoyen belge à se glisser dans la peau d’un réfugié. Il met en scène des anonymes de tout âge « de typeouest-européen » placés derrière des barreaux avec, au centre, une case vide : « Et si c’était nous ? » sous-entend l’artiste.

Témoignages

Olivier : « Je suis parti de la RDC le 10 février 1994 et ai été embarqué au centre de transit 127 à Zaventem où j’étaiscensé ne rester qu’un mois. L’une des premières images qui me revient est celle du sac-poubelle que l’on vous tend avec le strict minimum : un rasoir, du shampoing etainsi de suite. Au bout d’un mois, j’avais compris que j’étais réellement en prison : pas le droit d’avoir ma mère au téléphone, desbarbelés tout autour et une ambiance lourde surtout lors de la « proclamation ». Le vendredi était le jour où le « roi des néga » – c’estainsi que les enfants présents appelaient le fonctionnaire du CGRA5 – venait proclamer les personnes acceptées comme demandeurs d’asile, soit une sur dix ! Lespersonnes déboutées étaient alors séparées du groupe et on ne les voyait qu’à travers une vitre […] ».

Extrait de la lettre d’adieu en russe d’un Arménien laissée à sa famille avant de mettre fin à ses jours : « Moi et mon frère noussommes seuls au monde et nous n’avons nulle part où aller. Le Commissariat et le Ministère nous ont ri au nez. Ils ne comprennent peut-être pas ou bien n’ontaccordé aucune attention et ont fermé les yeux, je n’accuse personne […] ».

(Extraits du dossier pédagogique, disponible sur demande ou sur www.ouvrons-les-yeux.be, réalisé parle Ciré sur les centres fermés et soutenu par le service de l’Education permanente – DG Culture – de la Communauté française6).

« Humaniser les centres fermés » : un non-sens

Pour Christophe Renders, juriste au JRS, la politique actuelle du ministère de l’Intérieur est aberrante : la criminalisation prime l’information qui devrait êtreofferte par toute personne arrivant sur le territoire. Il prend l’exemple des enfants qui ne devraient être retenus qu’exceptionnellement (voir Alter Echos n° 207) et le« temps strictement nécessaire pour l’exécution de la mesure d’éloignement ». Or, le centre 127 bis est entièrement occupé par des famillestandis que Vottem et Merksplas viennent d’ouvrir de nouvelles ailes à leur intention.

Par ailleurs, le juriste met en garde contre la banalisation de l’enfermement parfois dissimulée derrière un langage amidonné : résident plutôt quedétenu, maintien plutôt que détention ou éloignement plutôt qu’expulsion. « Nous ne cherchons nullement à asséner des vérités.Notre seule ambition, à travers cette campagne, est de susciter la réflexion et le débat public » insiste Frédérique Mawet, directrice du Ciré. Defaçon générale, le Forum asile et migration appelle à une action réelle sur les causes de l’exil – promouvoir la gouvernance démocratique et ledéveloppement durable plutôt que des actions one shot – , la mise en place d’une politique globale et durable en matière de migration, une meilleure informationdans les pays d’origine et la lutte contre le trafic d’êtres humains et non contre leurs victimes.

Revendications du Forum asile-migration concernant les centres fermés

• Interdire la détention des demandeurs d’asile en procédure et des mineurs non accompagnés ;
• Informer les personnes détenues sur leurs droits à travers une permanence juridique décentralisée dans chacun des six centres ;
• Contrôler les décisions d’enfermement en rendant automatique le contrôle de la décision par la chambre du conseil (jusqu’alors laissé àl’initiative de la personne souvent non informée de ce droit) ;
• Garantir l’effectivité du recours devant la commission chargée du traitement des plaintes (souvent classées sans suite ou… absentes, car obligation est faite de seplaindre à la direction du centre avec les risques éventuels de sanctions) ;
• Réduire à un mois, renouvelable une seule fois, la période de détention ;
• Donner la possibilité aux personnes de quitter volontairement le territoire avant tout enfermement ;
• Allonger l’ordre de quitter le territoire à trente jours (et non cinq) pour permettre aux personnes d’élaborer un projet de retour (ou un autre projetd’émigration) ou de faire valoir d’autres droits comme le regroupement familial, etc.) ;
• Favoriser des politiques de retour volontaire et d’aide à la réinstallation (via des microprojets).

1. Emprunt à la photographe Chloé Houyoux Pilar dans les témoignages annexés au dossier pédagogique du Ciré.
2. Ciré, rue du Vivier, 80-82 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 629 77 10 – fax : 02 629 77 33 – cire@cire.irisnet.besite de la campagne Ouvrons Les Yeux – Exposition destinée àtourner dans les grandes villes belges et à Bruxelles encore jusqu’au 25 juin.
3. Forum asile et migration
4. JRS Europe, rue du Progrès (Vooruitgangstraat) 333, first floor à 1030 Bruxelles – tél. : 02 250 32 20 -fax : 02 250 32 29

5. CGRA, North Gate I, Boulevard du Roi Albert II, 6 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 205 51 11 – fax : 02205 51 15 – cgra.info@ibz.fgov.be
6. Ministère de la Communauté française, Service de l’Éducation permanente, bvd. Léopold II, 44à 1080 Bruxelles

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