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Regard critique · Justice sociale

Réalisatrice et animatrice artistique en prison, Valérie Vanhoutvinck a réalisé un film à partir d’ateliers avec des détenues de la prison de Mons. Elle s’est penchée sur les gestes et rituels du quotidien de ces femmes. Une façon intime et singulière de raconter l’univers carcéral et de tisser des liens entre le dedans et le dehors.

Des mains aux ongles rouges jouent sur des percussions. Le plan suivant nous emmène au bord de mer. On y entend une voix, récitant une lettre «adressée aux filles». Ces «filles» sont des détenues de la prison de Mons, protaganistes d’Ongles Rouges. Ce documentaire raconte le trajet que font ensemble sept femmes, l’une, la réalisatrice qui est au-dehors, et les six détenues, à l’intérieur d’une prison. «Ongles rouges est né d’une histoire très accidentée», explique la réalisatrice. En 2011, un animateur d’atelier de percussions lui demande de filmer son stage dans le quartier femmes de la prison de Mons. Elle y rencontre deux femmes, Stella et Loredana, ce qui lui donne envie de faire un atelier-laboratoire avec des femmes détenues, autour des notions de geste, de corps et de mouvement. «Je trouvais ces questions porteuses dans un espace de privation du mouvement. Le geste est la plus fondamentale expression de soi», explique-t-elle. Au bout d’un an, l’idée de faire un film éclot. «Mais pas question de faire un film sur ces femmes, mais avec elles, précise-t-elle, mon ambition est de ramener le langage dans des territoires où l’accès au langage est complexe.» 

Mémoire du corps 

«L’idée de base était de faire un film vraiment collaboratif, et que les femmes se filment leurs gestes avec une caméra GoPro sur la tête mais je n’ai pas eu l’autorisation de la prison», explique Valérie Vanhoutvinck. La réalisatrice, habituée aux contraintes et ajustements nécessaires au milieu de la détention, propose alors aux femmes de décrire, face cam’ devant un fond noir, leurs gestes quotidiens, mais aussi leurs marques et traces – cicatrices, piercings, tatouages – qui composent leur mémoire du corps. «Durant les ateliers, on a ramassé de la matière sur les gestes de la prison, de la liberté, de la privation. Ces gestes, comme le maquillage, la cuisine ou le nettoyage sont, en prison, des précipités d’humanité, car le geste offre une prise concrète sur le réel», souligne la réalisatrice. Cultiver des gestes anodins, évoquer ses cicatrices, c’est une manière pour ces femmes en détention de préserver leur identité, de se dévoiler, de raviver des souvenirs joyeux ou douloureux du passé. C’est une manière de se singulariser aussi. Entre leurs rencontres, espacées sur quatre années, les femmes et Valérie s’échangent des lettres, dans lesquelles elles se donnent des nouvelles et se racontent leurs gestes, «pour maintenir le lien de façon vivante et intime, et poursuivre nos apprivoisements malgré les murs».

Gestes qui unissent

La réalisatrice se filme elle aussi, mais uniquement ses mains, en train d’exécuter ses rituels comme le repassage ou la vaisselle. «Une manière, souligne-t-elle, d’interroger comment les gestes et les actions quotidiennes nous rassemblent et nous unissent, elles dedans moi dehors.» Un lien qui se manifeste aussi à travers les ongles rouges qu’elles portent toutes. «Ces ongles rouges permettaient de faire ressortir les mains des participantes au film quand je filmais les séances de percussion, mais le vernis rouge a aussi été choisi parce qu’il est ressorti des ateliers que les ongles rouges étaient symboliques de l’injonction à devoir plaire, à être séduisante», précise-t-elle.

Ongles rouges peut désarçonner par son aspect décousu. Mais cet assemblage spontané de matières visuelles, textuelles, sonores et dessinées, donne un autre regard sur l’univers carcéral, qui s’avère, à travers ces sept femmes, bienveillant et mouvant. Pas de bruit de menottes ici, mais celui, discret, de l’eau qui coule, ou du mascara qui se pose sur les cils. Habituellement décrites par leur condition de «détenue» ou leur situation «de condamnée», les femmes se dévoilent ici en plusieurs couches et nuances, rendant plus poreuses les frontières entre elles et nous. La réalisatrice a aussi voulu entretenir ce lien à travers des projections et des débats, organisés dans les établissements pénitentiaires et au-dehors, dans des cinémas de la région.

 

En savoir plus

Ongles Rouges, Écrit et réalisé par Valérie Vanhoutvinck, 2017, Hélicotronc.

  • Projection le 15 janvier à 20h au cinéma Le Parc, rencontre avec la réalisatrice après la projection.
  • Projections en collaboration avec Culture & Démocratie au cinéma Aventure le mercredi 17 janvier à 19:30, rencontre après la projection avec Baptiste De Reymaker (coordinateur Culture & Démocratie), Pierre Hemptinne (membre CA C&D, médiateur PointCulture) et la réalisatrice.
  • Projections en collaboration avec l’émission Danger! Cinéma! de radio Campus et PointCulture, le samedi 20 janvier au PointCulture-Botanique à 16:30, rencontre après la projection avec Nicolas Grolleau, journaliste cinéma, des membres de l’équipe du film et la réalisatrice.
  • La suite des projections et toutes les infos sur www.helicotronc.com/Ongles-Rouges
Manon Legrand

Manon Legrand

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