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Regard critique · Justice sociale

Economie

On peut avoir la carte ?

Créée en 1927, l’entreprise de travail adapté «l’Ouvroir» a récupéré de vieilles cartes de l’Institut géographique national – dont l’origine remonte à 1871 – pour en faire des cahiers qui surfent quant à eux sur une vague bien plus récente: l’économie circulaire.

12-02-2021

– «Vous avez fait les scouts?»

– «Oui»

– «Alors vous devez vous souvenir des cartes de l’IGN…»

Au téléphone, la voix de Michael Lans, le chargé de relation à la Febrap (Fédération bruxelloise des entreprises de travail adapté) se charge d’une pointe d’amusement alors qu’il lâche cette dernière phrase. Quiconque a effectivement passé ses dimanches, ses week-ends et une partie des vacances d’été à arpenter en short les routes, chemins et sentiers de Belgique se souvient des cartes topographiques produites par l’Institut géographique national (IGN). Des cartes qui, aujourd’hui encore, permettent aux citadins venus s’aérer les poumons et l’esprit dans les forêts ardennaises de ne pas se perdre et leur évitent ainsi de passer la nuit à la belle étoile. Pourtant, depuis des années, certaines d’entre-elles prenaient la poussière dans les locaux de l’IGN, sous la forme de rouleaux sortis d’imprimerie ou de grandes feuilles non encore pliées. «Il s’agissait principalement de cartes anciennes, à l’échelle 1/10 000, la plus précise», explique Johan Ponsaerts, de l’IGN.

Comme tous les opérateurs dépendant du fédéral, l’Institut géographique national a vu son personnel se réduire ces dernières années. Un phénomène qui a poussé l’Institut à ne plus produire ces cartes de précision «qui demandent beaucoup de travail au niveau de la collecte des données» et a aussi libéré de l’espace dans les locaux gigantesques que l’institution – précédée de ses ancêtres – occupait depuis 1871 au sein de l’abbaye de la Cambre, à Bruxelles. «On avait donc beaucoup de bureaux vides, ce qui nous a permis de stocker les cartes invendues, qui étaient encore parfois demandées par des urbanistes souhaitant savoir comment tel ou tel coin était aménagé dans les années 80», continue Johan Ponsaerts.

Pourtant, en 2020, l’IGN déménage vers des locaux plus petits, situés près du Cinquantenaire. Fini les bureaux vides où l’on peut entasser les rouleaux. L’IGN va devoir se débarrasser de tout ce papier qui, entre-temps, a aussi été numérisé et est donc disponible en ligne. Johan Ponsaerts commence alors à chercher d’éventuels repreneurs. «On pouvait bien sûr envoyer tout ça au recyclage, mais on a d’abord préféré voir si quelqu’un était intéressé par le fait de faire de la réutilisation», raconte-t-il.

Reliure artisanale vs «Control+F»

C’est ici que l’ETA L’Ouvroir entre en jeu. Elle aussi d’âge vénérable – L’Ouvroir a été créée en 1927 -, l’entreprise de travail adapté a dû s’adapter au fils des ans à l’évolution du marché afin de trouver de nouveaux secteurs d’activité. «Mais il y a une activité qui est présente depuis le début: c’est la reliure artisanale», explique Damien Logghe, directeur de L’Ouvroir. Un secteur qui a souffert ces derniers temps du passage au tout numérique. «Nous travaillions à la réalisation de gros imprimés pour le SPF Justice ou pour des bureaux d’avocats, pour des périodiques de jurisprudence. Mais depuis quelques temps, les juristes ont compris que pour chercher quelque chose au sein d’un texte, il était parfois plus facile de faire ‘control + F’ sur un PDF…», continue Damien Logghe.

Pour l’ETA, l’existence du gisement de l’IGN sonne donc comme une promesse: «Nous donner des opportunités nouvelles sans nier les compétences acquises par nos travailleurs», affirme Damien Logghe. Active dans l’économie circulaire, l’ETA voit en effet dans les vieux rouleaux de cartes l’occasion de surfer sur cette vague du réemploi et de produire toute sorte d’objets nouveaux en utilisant son savoir-faire historique, notamment des «cahiers accordéon». Le verso des cartes est ainsi recouvert d’une trame sur lequel les acheteurs peuvent venir déposer leurs écrits. Pour donner un peu plus de gueule à sa production, l’ETA a fait appel à un graphiste afin de créer un objet insolite qui joue aussi avec les éléments graphiques issu des cartes.

À l’heure actuelle, l’ETA a déjà produit 600 carnets avec seulement un mètre cube de rouleaux, alors qu’elle a récupéré 10 mètres cubes au total… «C’était tellement lourd que les essieux de leur camionnette ont commencé à plier», se souvient Johan Ponsaerts. Les carnets sont déjà en vente chez Yuman, Färm Uccle, et seront bientôt disponible sur le site «Handymade». D’autres types d’objets – également fabriqués grâce aux cartes – comme des emballages cadeaux, des kits pour envoyer du courrier (composé d’enveloppes, de papier) sont aussi disponibles.

Si la mise sur pied du projet «n’a rien à voir avec la crise du Corona» dans un secteur de l’économie sociale qui souffre beaucoup de la pandémiece qui a poussé certaines ETA à chercher d’autres débouchés – , il permet néanmoins, selon Damien Logghe, de prouver que les entreprises de travail adapté, souvent cantonnées au rôle de sous-traitantes, peuvent aussi vendre leur production directement aux consommateurs.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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