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Médiateurs de terrain en matière de pauvreté : un colloque évalue

Des médiateurs de terrain, ayant connu des situations d’extrême pauvreté, aident à faire le lien entre personnes précarisées et services publics. Cetteexpérience, unique en Europe, est encore actuellement à l’état de projet pilote1. Un peu plus de deux ans après son lancement, un colloque faisait lepoint ce 11 février sur les apports et les écueils de ce nouveau métier.

15-02-2008 Alter Échos n° 245

Des médiateurs de terrain, ayant connu des situations d’extrême pauvreté, aident à faire le lien entre personnes précarisées et services publics. Cetteexpérience, unique en Europe, est encore actuellement à l’état de projet pilote1. Un peu plus de deux ans après son lancement, un colloque faisait lepoint ce 11 février sur les apports et les écueils de ce nouveau métier.

Pour beaucoup de personnes en pauvreté (et d’autres citoyens), le fossé les séparant de la politique et des administrations est grand : elles ne savent pas toujoursoù s’adresser pour tel ou tel type de questions, trouvent difficilement les informations utiles, craignent les lettres officielles ou ne les comprennent pas, sont échaudéespar l’expérience d’avoir été remballées d’un service à un autre… Afin de contribuer à résorber ce fossé, le SPPIntégration sociale coordonne depuis 2005, avec le soutien du Fonds social européen (FSE), un projet pilote dans le cadre duquel seize médiateurs de terrain en matière depauvreté et d’exclusion sociale (huit néerlandophones et huit francophones) ont été engagés pour être détachés vers neuf servicesfédéraux et organisations de sécurité sociale2. Ces médiateurs de terrain ont pour mission d’apporter dans ces services l’expérienceet le vécu des personnes en pauvreté, et de contribuer ainsi à une meilleure accessibilité pour tous et à la réalisation des droits sociaux fondamentaux.

Augmenter le nombre de médiateurs

Leurs tâches sont très variées (accueil, collaboration au niveau du service social, amélioration de la communication, réalisation d’enquêtesauprès des usagers, formulation de recommandations politiques, etc.). Ils ont un contrat à temps plein au SPP Intégration sociale, suivent une formation deux jours parsemaine3 et travaillent les trois autres jours dans les services et organismes cités plus haut.

Après plus de deux ans de fonctionnement, le recul est à présent suffisant pour tirer quelques conclusions et dresser des pistes pour l’avenir. Ainsi Julien Van Gertsom,président du SPP Intégration sociale se montre confiant : “Un nouveau projet FSE, qui démarrera en septembre 2008, devrait garantir le financement du projet jusqu’en2013.” Reste à l’élargir, seize médiateurs pour plus de 80 000 fonctionnaires, on peut faire mieux… Encore faut-il savoir s’il vaut mieux engager cesmédiateurs via le SPP Intégration sociale comme c’est le cas actuellement, mais avec pour corollaire le risque qu’ils soient perçus comme un ‘corpsétranger’ au sein du service dans lequel ils travaillent ou s’il vaut mieux les faire engager directement par le service auquel ils sont attachés, ce qui comporteégalement un risque, celui de les voir complètement assimilés, ce qui gommerait toute la spécificité de leur fonction. “La question n’est pastranchée, les discussions sont en cours”, précise Julien Van Geertsom.

Le diplôme ne doit plus être un tabou

À plus long terme, l’objectif du projet est de développer une nouvelle filière emploi et d’étendre ce type d’initiative à d’autresniveaux de la société. Pour ce faire, de nombreux défis devront encore être relevés dont notamment l’adaptation continue de la formation des médiateurs,la reconnaissance de cette formation et du métier même de « médiateur de terrain ».

La question du diplôme reste toutefois problématique. Les médiateurs sont en effet engagés sous le niveau D de la Fonction publique. Pour éviter que ceux-ci nesubissent de plein fouet les pièges à l’emploi vu leur salaire très bas, le ministre de l’Intégration sociale, Christian Dupont (PS), avaitdécidé sous la précédente législature de leur octroyer une prime mensuelle en cas de réussite de l’examen à l’issue de la formation, cequi portait leur salaire au niveau C. Il s’agissait là d’une mesure transitoire en attendant la reconnaissance du diplôme par les différentes communautés,reconnaissance qui n’est toujours pas d’actualité.

Barbara Demeyer de l’Hiva (KUL) et Andrea Rea du Germe (ULB) qui ont été sollicités par le SPP Intégration sociale pour évaluer le projet pilote etétablir un certain nombre de recommandations, voient deux solutions possibles à ce problème. Tout d’abord, une stratégie à court terme : la formation actuelleplus un module « formation générale » permettrait, en passant des examens pour obtenir le certificat du secondaire supérieur, d’accéder au niveau C.Ensuite, la stratégie à moyen et long terme, plus ambitieuse : introduire la diversité au niveau de la politique du personnel. « Ce qui nécessite, explique BarbaraDe Meyer, qu’on change les règles dans une administration publique qui repose encore très fort sur la reconnaissance du diplôme. Il faut pouvoir lever le tabou dudiplôme et qu’on s’axe davantage sur les compétences liées à l’expérience ». Et il faut bien constater, regrettent les chercheurs,qu’il existe sur cette question « une faible stratégie structurelle de création d’une nouvelle fonction ».

Ce problème d’acquisition du diplôme illustre, pour Ann De Meulemeester, secrétaire générale de l’ACW (pendant flamand du Mouvement ouvrierchrétien), un problème plus vaste : sommes-nous disposés à travailler autrement ? « Un système aussi hiérarchisé que l’administration neva pas fonctionner avec un corps extérieur. Il faut adapter le système aux gens et pas l’inverse. L’asbl Flora a fait à cet égard un travail remarquable chezVolvo à Gand où les femmes avaient du mal à s’adapter parce que le cadre de référence pour le travail, c’était l’homme de quarante ans sanscharge de famille. Flora a renversé les mentalités. Pourquoi ne pas faire ça au sein des administrations ? Pourquoi ne pas changer la perspective ? » « Des pistespeuvent sans doute être trouvées dans la rencontre avec d’autres métiers très proches comme ceux de médiateurs interculturels, interprètes sociaux,médiateurs collectifs, suggère Christine Mahy, présidente du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Le décloisonnement dégagerait unevolonté de changement plus radicale. »

Une question reste toutefois en suspens, elle a été soulevée par Wim Coumans, chef de cabinet de la ministre de la Fonction publique, Inge Vergotte : « Combien de tempspeut-on rester médiateur de terrain ? Avec le tem
ps, l’ ‘expert pauvreté’ perd de sa pertinence, ne faut-il pas dès lors, prévoir, après unecertaine période, de reclasser le médiateur dans un job dans l’administration ? »

Pions ou pionniers ?

Autres problèmes soulevés par l’Hiva et le Germe, un impact modéré des médiateurs sur le plan du travail et une implication parfois très minime desadministrations dans le projet mais aussi, de manière plus générale, dans la politique de lutte contre la pauvreté. « Ce qui fait craindre aux médiateurs,rapporte Andrea Rea, d’être davantage des pions que des pionniers. » Ann De Meulemeester, critique de son côté la méthode de lutte contre la pauvreté,qu’elle qualifie de « hasardeuse » et qui consiste à introduire des médiateurs de terrain dans les administrations pour en révolutionner la méthodologie.« Il faut plus que des médiateurs de terrain pour cela. Seuls, ils seront effectivement davantage des pions que des pionniers. » Et de suggérer dans la foulée quedans les perspectives futures, on se penche aussi sur les utilisateurs des services et des administrations.

Si les critiques sont nombreuses, personne ne remet en cause le bien-fondé du travail des médiateurs de terrain qui permettent aussi, selon les évaluateurs «d’éclaircir, humaniser, intégrer et collaborer », notamment en faisant appel aux réseaux qu’ils ont pu tisser à travers leur expérience. «Ils sont davantage axés sur les questions des utilisateurs et sur ce qui peut se cacher derrière, ils s’identifient aux personnes et permettent de trouver des solutions‘humanistes’. Ils ont ainsi pu intégrer le vécu de la pauvreté dans leurs administrations respectives et auprès de leurs collègues. »

Andrea Rea terminera son intervention par ces mots : « Nous avons noté une grande évolution depuis les deux ans que nous suivons le projet. Nous sommesépoustouflés par le travail réalisé par les médiateurs sur eux-mêmes. Un progrès plus rapide en ce qui les concerne qu’en ce qui concerne lesadministrations. Notre souhait est que le travail politique soit maintenant à la hauteur de celui réalisé par ces médiateurs. »

1. De plus amples informations concernant ce projet peuvent être trouvées sur le site du SPP Intégration sociale : www.mi-is.be (lien médiateurs de terrain), dans le Plan national inclusion (pages 36-41) ou encore dans la Revue belge de sécurité sociale (2etrimestre 2006, pp. 293-304).

2. L’Office national pour l’emploi (Onem), la Caisse auxiliaire d’assurance maladie invalidité (Caami), l’Office national des pensions (ONP), la Banque carrefour dela sécurité sociale (BCSS), L’Office national d’allocations familiales pour travailleurs salariés (Onafts), le SPF Justice (Maison de justice de Bruxelles), le SPFSanté publique (Service des soins psychosociaux) et le SPF Finances (Service des créances alimentaires et recettes de Schaerbeek II).

3. Les médiateurs de terrain néerlandophones ont suivi la formation « Experts en vécu de pauvreté et en exclusion sociale », organisée par De Link encollaboration avec plusieurs centres de formation pour adultes (CVO) et l’ont terminée en juin 2007. Ils suivent actuellement la formation « Graduat en travail social »organisée par Ipsoc Bijscholing. La formation des médiateurs francophones est assurée en partenariat avec l’Institut Roger Guilbert à Bruxelles.

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