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Environnement

LEZ: la zone qui cache la forêt

Depuis le 1er janvier, les vieux diesels n’ont plus droit de cité dans les 19 communes de la capitale. Pour les défenseurs de l’environnement, cette mesure est insuffisante. La ministre Fremault ouvre la porte à une interdiction totale du diesel après 2025.

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Depuis le 1er janvier, les vieux diesels n’ont plus droit de cité dans les 19 communes de la capitale. Pour les défenseurs de l’environnement, cette mesure est insuffisante. La ministre Fremault ouvre la porte à une interdiction totale du diesel après 2025.

Un nouveau panneau a fait son apparition dans les rues de Bruxelles. La low emission zone (LEZ) est entrée discrètement en vigueur depuis le début de l’année. En 2018, seuls les plus vieux moteurs (norme euro 1) sont concernés et les premières amendes ne commenceront à tomber qu’en octobre. La mesure s’élargira jusqu’en 2025, date à laquelle les diesels les plus modernes (norme euro 6) seront les seuls autorisés. Et après? Dans une intervention du 16 mars au parlement, la ministre bruxelloise de l’Environnement, Céline Fremault (cdH), s’est déclarée favorable à une interdiction totale. Une note de Bruxelles Environnement sur les conditions de sortie du diesel est en cours d’analyse, confirme son attachée de presse.

Si cela se concrétise, les défenseurs de l’environnement s’en réjouiront. Sans doute moins les consommateurs qui ont investi dans un diesel flambant neuf… Pendant des années, des primes ont été octroyées pour favoriser le diesel, perçu comme une technologie moins polluante que l’essence, car émettant moins de CO2, un gaz inoffensif pour la santé mais propice au réchauffement climatique. Le hic, c’est qu’il produit des particules fines et, plus encore, des oxydes d’azote (NOx). «En raison de décisions historiques favorisant la technologie diesel, l’Europe est devenue une île diesel sans égale dans le monde entier. En conséquence, pratiquement tous les citoyens européens respirent de l’air jugé nocif pour la santé», peut-on lire dans une étude publiée par la VUB en janvier[1].

À défaut d’être jugées très efficaces pour l’environnement, les zones basses émissions le sont au moins pour l’économie.

Des effets difficiles à estimer

En 2016, la Commission européenne adressait une mise en demeure concernant la violation répétée des valeurs limites en matière de dioxyde d’azote (NO2) en Belgique et, particulièrement, à Bruxelles. Pour sortir de l’ornière, les pouvoirs publics misent gros sur la zone basse émission. Selon Bruxelles Environnement, parallèlement au renouvellement «naturel» du parc automobile, la mise en place de la zone contribuera à une réduction située entre -21,3% et -28,3% des concentrations de NO2 dans l’air d’ici à 2025, et entre -38,2% et -46,3% pour les black carbon. Pour les particules fines, l’étude a évalué la réduction des émissions à -39,5% pour les PM 2,5 et -25,4% pour les PM 10.

Ces objectifs ambitieux feront l’objet d’une évaluation annuelle. Mais estimer précisément l’impact des zones de basses émissions semble un exercice aussi périlleux que prédire l’avenir dans une boule de cristal embuée par les pots d’échappement. À ce jour, 227 zones étaient recensées dans 12 pays d’Europe. Dans les cas les meilleurs, ces mesures ont permis d’atteindre des réductions de 12% des concentrations de NO2 et de PM10, de 15% pour les PM 2,5, et de 52% pour le black carbon, d’après un rapport de l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe)[2]. Ces zones peuvent être ponctuelles ou permanentes, s’appliquer à un quartier ou à une ville. Et souvent, les camions sont les seuls véhicules visés. Comparer les expériences est impossible, mais de nombreux observateurs font remarquer que les réductions obtenues sont souvent en dessous des prévisions. À Anvers, la zone basse émission existe depuis un an. Thomas Goorden, initiateur du Conseil des citoyens d’Anvers, a pris le temps, à titre personnel, de comparer les résultats enregistrés par les stations de mesures officielles avec les projections. «On voit que, sur la majorité des stations, les réductions sont moins élevées qu’annoncé. Dans le port d’Anvers, la pollution dans certaines stations a même augmenté.»

Plusieurs éléments comme l’industrie avoisinante ou la présence d’une autoroute en périphérie peuvent compromettre les résultats d’une zone basse émission. Depuis le scandale du dieselgate, on sait aussi qu’entre les émissions déclarées par les constructeurs et ce qui sort effectivement du pot d’échappement, le fossé peut être grand. «Les voitures diesel d’aujourd’hui émettent encore autant de NOx que les modèles d’il y a 20 ans. Par conséquent, pour la qualité future de l’air, il y a un certain nombre de questions importantes: la prochaine génération de voitures diesel sera-t-elle nettement plus performante sur la route ou seulement en laboratoire?», s’interrogent les chercheurs de la VUB. Du côté de Bruxelles Environnement, on précise que ce paramètre est pris en compte dans les prédictions.

LEZwashing ?

À défaut d’être jugées très efficaces pour l’environnement, les zones basses émissions le sont au moins pour l’économie. «Les études récentes sur le sujet montrent que l’instauration d’une LEZ n’a pas d’impact significatif sur la diminution du parc roulant mais qu’elle accélère son renouvellement par des véhicules plus récents», note l’Ademe dans son rapport. Bruxelles Environnement ne s’y est d’ailleurs pas trompé, misant sur un trafic stable dans ses projections.

En 15 ans, le poids moyen d’une voiture vendue en Europe est passé de 1.268 kg en 2001 à 1.392 kg en 2016 – soit une augmentation de 10%, selon un rapport de l’ONG Transport & Environnement. «Une autre possibilité aurait été de travailler sur la puissance des véhicules et leur consommation. La question des SUV et des 4×4 n’est pas du tout abordée», argue Mathieu Brale, docteur en géographie à l’Institut de gestion de l’environnement et d’aménagement du territoire de l’ULB. «La LEZ est intéressante, mais insuffisante. On est dans une logique de substitution. L’objectif n’est pas de diminuer le trafic, mais juste d’en retirer les vieilles voitures», regrette pour sa part Arnaud Pinxteren, député écolo au parlement bruxellois. «On a l’impression que le gouvernement s’est contenté de cette mesure parce qu’elle fait l’affaire de certains partenaires au pouvoir, comme le VLD, qui est très proche de la Febiac (NDLR: Fédération belge de l’automobile)», estime encore le député, qui a, par ailleurs, interpellé le ministre bruxellois des Finances, Guy Vanhengel (Open VLD), sur la présence d’experts de la Febiac dans les réflexions menées sur la fiscalité automobile.

Le plan stratégique 2015-2020 de la Région bruxelloise en matière de mobilité prévoyait une réduction du trafic automobile de 20% à l’horizon 2018. Good Move, le nouveau plan régional en préparation, ne fixera plus d’objectif chiffré, reconnaît l’attaché de presse de Pascal Smet, le ministre bruxellois de la Mobilité (sp.a): «Plutôt que d’avancer des objectifs irréalistes, on se concentrera plutôt sur des mesures concrètes.» La route semble encore longue pour changer les comportements en matière de mobilité, plutôt que les voitures.

Lire l’ensemble de notre dossier «Pollution, l’air de rien», Alter Échos n° 464, mai 2018.

[1] «Review of the European passenger car regulations – Real driving emissions vs local air quality», Nils Hooftman, Maarten Messagie, Joeri Van Mierlo, Thierry Cooseman, Electrotechnical Engineering and Energy Technology, MOBI Research Group, Vrije Universiteit, janvier 2018.

[2] «Zones à faibles émissions à travers l’Europe, Déploiement, retours d’expériences, évaluation d’impacts et efficacité du système», mise à jour 2017, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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