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Regard critique · Justice sociale

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Les Turco-Bruxellois dans un tourbillon identitaire

Des jeunes Turcs saccagent des magasins kurdes, scandent des slogans racistes 1… Epiphénomène ou symptôme d’un mal-être identitaire ? Le sociologueUral Manço2 décortique les « violences symboliques et dynamiques identitaires ». Sans langue de bois3.

27-02-2009 Alter Échos n° 268

Des jeunes Turcs saccagent des magasins kurdes, scandent des slogans racistes 1… Epiphénomène ou symptôme d’un mal-être identitaire ? Le sociologueUral Manço2 décortique les « violences symboliques et dynamiques identitaires ». Sans langue de bois3.

Le sociologue Ural Manço a mené une recherche-action à la suite des émeutes d’octobre 2007, commises à Schaerbeek et Saint-Josse, par des jeunes essentiellementd’origine turque. Si l’objet de son étude peut faire grincer les dents, le chercheur assume pleinement son sujet : oui, certaines violences symboliques peuvent s’expliquer endécortiquant les réflexes et dynamiques identitaires. « En fait, ça ressemblait plus à un carnaval qu’à des émeutes. Mais il y a effectivement eudes incidents, comme des saccages de magasins kurdes. Il y a eu une manipulation évidente des jeunes par les « Loups gris ». La commune de Schaerbeek a fait appel à moi pourétudier les raisons de ce nationalisme exacerbé et aider les travailleurs sociaux à prévenir ces phénomènes. » À côté de larecherche, un volet « action » consistait donc à organiser des groupes de discussion avec les travailleurs confrontés à ces publics, à valoriser leurexpérience et savoir-faire afin d’élaborer, avec eux, des recommandations de bonnes pratiques face à des violences similaires.

Une société dans la société

Comparant l’intégration des jeunes en provenance de Turquie et ceux du Maroc, Ural Manço note que les premiers se sont beaucoup moins intégrés au paysd’accueil. « Tout simplement parce qu’il existe un réseau très serré d’associations sociales, culturelles, religieuses, sportives, exclusivement turques.Les jeunes peuvent sortir entre eux dans des boîtes de nuit turques, écouter de la musique turque, lire des médias turcs – il existe pas moins de cinq journaux web turcs, enBelgique ! Il s’agit véritablement d’une société dans la société. Ces mécanismes permettent de surmonter le sentimentd’insécurité identitaire – peur de l’assimilation – et l’incertitude sociale – échec scolaire, difficultés socio-économiques,déni de droits. »

Une situation qui comporte des aspects très positifs pour les jeunes : ils peuvent parler et vivre leur langue, il y a un contrôle social et familial bienveillant ainsi qu’unbien-être individuel qui minimise fortement la délinquance et les assuétudes. Et le réseau permet de trouver du travail très rapidement (pas forcément dutravail déclaré, ceci dit). Les revers de la médaille sont néanmoins inquiétants. « Ces jeunes ont très peu de chances de réussite scolaire caron reproche à ceux qui réussissent de trahir. Dans la communauté, on réussit et on s’enrichit grâce aux affaires, à l’investissement immobilier,pas en s’impliquant dans de longues études… à moins de devenir comptable, avocat ou pharmacien et de travailler pour des Turcs. C’est un cercle vicieux confortable :on travaille entre soi, sans se confronter à la société d’accueil. Mais ce système ne peut pas fonctionner sans « chocolat » ».

Ce qu’Ural Manço appelle le chocolat, c’est la valorisation de l’ethnicité, de l’identité nationale, d’une religiosité rigideportée par des « pseudo-intellectuels qui dictent leur loi ici alors qu’ils sont méprisés en Turquie ». Leur tribune : les cafés, les sites web, lescours de religion et conférences qu’ils organisent. Ce nationalisme exacerbé fonctionne d’autant mieux que le pays de référence est un exemple deréussite dans le monde musulman : la Turquie est un carrefour culturel très riche, le niveau de vie est en progression constante, de même que les productions culturelles, etl’on y valorise un passé glorieux et conquérant. « Le pays n’a jamais été colonisé et, en revanche, il a colonisé le continentjusqu’à Vienne. C’est un élément de construction identitaire important. » C’est à partir de ces analyses que le chercheur tente de trouver despistes pour tordre le cou aux pratiques ultranationalistes et redorer le blason du métissage dans une communauté qui s’est trop repliée sur elle-même.

« Les ressources identitaires mobilisées par ces groupes visent en fait à obtenir des liens symboliques, comme la légitimité sociale, la reconnaissance culturelleet l’estime de soi, inaccessibles par d’autres voies ». L’objectif est donc de trouver ces autres voies, de les ouvrir afin de permettre, par exemple, à des parentsd’éduquer leurs enfants « avec autre chose que du gavage ethnico-culturel ». Ce qui devrait prendre sans doute encore une peu de temps…

1. Émeutes qui se sont déroulées à la fin octobre 2007, dans les communes de Schaerbeek et de Saint-Josse.
2. Sociologue et responsable de l’axe « multiculturalité, migrations et appartenances ethnoreligieuses » aux facultés universitaires Saint-Louis.
3. Cette étude fera l’objet d’une conférence-débat le 5 mars 2009 de 13h à 15h dans les locaux de l’asbl Bouillon de Cultures.
– lieu : Bouillon de Cultures asbl, rue Philomène, 41 à 1030 Schaerbeek
– réservation : 02 210 94 20
– info : www.bouillondecultures.be

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