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Santé

Les rails trop courts du train de l'héroïne

Le projet-pilote de sevrage Tadam entame sa seconde et dernière année d’expérience. Bilan à la mi-parcours d’un projet qui a adopté son rythme de croisière et dont les fondateurs déplorent, déjà, la trop courte durée.

16-03-2012 Alter Échos n° 334

Le projet-pilote de sevrage Tadam1 entame sa seconde et dernière année d’expérience. Bilan à la mi-parcours d’un projet qui a adopté son rythme de croisière et dont les fondateurs déplorent, déjà, la trop courte durée.

Projet TADAM, mode d’emploi

 Projet-pilote, effectif dans l’arrondissement judiciaire de Liège, courant sur deux ans (du 17 janvier 2011 au 16 janvier 2013), Tadam est un traitement assisté par diacétylmorphine, c’est-à-dire par héroïne pharmaceutique. Délivrant de l’héroïne sous contrôle médical, il est destiné aux personnes dépendantes à l’héroïne depuis cinq ans au moins et ayant échoué au traitement de sevrage de substitution par méthadone (en plus de conditions d’ordre administratif). Tirés au sort, ils entrent alors dans un processus de traitement de 12 mois. Un groupe contrôle, soigné par méthadone, a par ailleurs été constitué. Au départ au nombre de 74 (36/38), ils sont encore 24, deux personnes ayant mené l’expérimentation à son terme.

« Tadam », à l’image de ce qui se fait en Suisse, a été proposé au départ d’un consensus entre les autorités publiques locales, médicales, pharmaceutiques et le Parquet de Liège, tous sensibles à la cause et ouverts à de nouvelles alternatives au traitement de substitution existant. Refusé à plusieurs reprises dès 1995 par les autorités fédérales, le gouvernement accordera finalement une licence d’expérimentation scientifique au projet en 2007.

Le « train de l’héroïne » est le fruit d’une coopération entre Tadam, gestionnaire du traitement, l’Université de Liège (ULg), qui en a réalisé le protocole clinique et qui en fera, à terme, l’évaluation, et quatre centres hospitaliers du bassin liégeois (publics et privés). Des centres psychosociaux sont partenaires et s’occupent du suivi « ponctuel et volontaire » des patients. Huit infirmiers, une infirmière en chef, trois médecins généralistes, un psychologue, une assistante sociale et un éducateur composent le personnel de Tadam.

Le financement (1 million d’euros/an) provient de l’Etat fédéral (SPF Santé publique) de la Ville de Liège et de la Région wallonne.

Il est 15 h 50 et Guy attend devant la porte blindée ultrasécurisée de l’enceinte du centre Tadam, rue Florimont, dans le centre de la principauté de Liège. Une visite de courtoisie à ceux qui, engagés dans les 12 mois de processus, y viennent encore trois fois par jour. Ce quarantenaire est le premier sorti du projet-pilote en l’ayant mené jusqu’à son terme. C’était le 16 janvier. Un an plus tôt, il avait frappé à la porte de l’asbl. Remplissant les conditions et ayant ensuite bénéficié de la chance du tirage au sort, il avait engrangé son sevrage à l’héroïne pharmaceutique.

Ce jour-là, il vient dire bonjour, plaisante avec Marylène Tommaso, l’infirmière en chef, tout en lui assurant, tout sourire, que « ça va ». Stijn, Roger, Michel et vingt-et-un autres sont encore enrôlés dans l’expérience. Pourquoi ont-ils postulé pour cet essai clinique ? « Au noyau dur de l’héroïne, en échec au traitement par substitution, quelle solution apporter ? », questionne a posteriori Dominique Delhauteur1. « Il y avait une nécessité d’alternative, de diversifier l’aide et les soins », poursuit l’initiateur du projet Tadam, par ailleurs coordinateur général de la fondation homonyme. « La question des toxicomanies est un puzzle. Il est constitué d’une somme d’expériences de personnes au passé particulier. Il existe de nombreuses subtilités liées à leur parcours, à leurs fragilités. La linéarité n’existe pas dans ce domaine. »La » solution n’existe pas non plus », explique Jacques Van Russelt, qui endosse la double casquette de président de la Fedito2 (Fédération bruxelloise des institutions pour toxicomanes) et du centre psychosocial partenaire Alfa3.

Qui sont-ils, ces patients ?
Marié avec enfants, actif professionnellement, SDF, au chômage, en stage. Homme ou femme. Il n’y a pas de profil type. Si parmi les 24 patients encore en lice, il n’y a que six femmes et que la moyenne d’âge est de 40 ans, là sont les seules grandes « tendances » que l’on retire du groupe cible.

Huilé, le train de l’héroïne lancé à grande vitesse

S’il a fallu un peu de temps pour que Tadam se mette en marche, il semble aujourd’hui qu’il ait trouvé sa vitesse de croisière. « C’est réglé comme du papier à musique », se réjouit Marylène Tommaso. « Il n’y a d’ailleurs jamais eu de problème, ni avec le voisinage ni avec le personnel. La police n’a jamais dû intervenir non plus », poursuit-elle, satisfaite.

La procédure de traitement, scrupuleusement étudiée, en est certainement une des causes. Le large volet du bâtiment, adjacent au poste de police, s’ouvre sur une imbrication de containers. Les entrées séparées du personnel et des patients sont sécurisées, caméras à l’appui. N’y entre pas qui veut. Toutes les dispositions ont ainsi été prises pour éviter les dérapages puisque les livraisons d’héroïne médicale pourraient attiser les convoitises.

L’infirmière en chef est fière de présenter, une à une, avec force détails et conviction, le centre Tadam. De la salle d’accueil aux salles d’inhalation (6 cabines aux parois transparentes) en passant par le comptoir de distribution du traitement et du matériel (chacun a le sien : éthylotest, garrot, seringue, pipette d’inhalation et cuillère). Tout a été minutieusement réfléchi. Tout y est méticuleusement rangé et ordonné. Les locaux sont comme neufs et sentent le désinfectant. « On insiste pour que les conditions sanitaires soient correctes », justifie-t-elle. Au-delà de l’aspect de santé publique, « la propreté est une forme de respect : des lieux que l’on met à la disposition des patients, du matériel, de nous et… d’eux-mêmes ».

Tadam est un centre médicalisé et son personnel fait tout pour se détacher de l’image qui lui collait jadis à la peau ; celle de « délivreur de plaisir ». Il entend casser la dimension de gratuité qui lui est corollaire pour s’inscrire dans l’« essai clinique à usage humain ». Le vocabulaire se veut dès lors en adéquation avec sa nature : ne dites pas « dose », mais « traitement ». Ne dites pas « criminel », mais « patient ». Marylène Tommaso précise que « le traitement est adapté sur décision médicale ».

Aussi, « le règlement d’ordre intérieur est contraignant et connu de tous les patients, qui le respectent. On ne joue ni de la carotte et du bâton ni des sanctions, mais prenons en considération les symptômes : si nous estimons qu’une personne n’est pas dans l’état de recevoir son traitement, nous ne le lui donnons pas. Aucun risque n’est encouru », expliquent en chœur Marylène Tommaso et Dominique Delhauteur. L’encadrement est par ailleurs assuré de manière constante. Jamais un patient n’est seul.

Le sevrage ? « Aussi court que possible, aussi long que nécessaire »

En tant que dirigeant d’Alfa, un des centres partenaires ayant pour rôle d’assurer un suivi psychosocial des patients, Jacques Van Russelt appuie sur les bienfaits d’une telle méthode de sevrage. « Elle apporte de la stabilité au niveau social et de la santé. » « Les patients doivent venir trois fois par jour, doivent se lever le matin, respecter des horaires, renchérit Marylène Tommaso. C’est un traitement contraignant, mais ces obligations les réinscrivent dans la vie active, les rééduquent et leur donnent des repères ». « On sait que la dépendance, ce n’est pas idéal, mais la plupart des patients de Tadam ont des dépendances multiples et chroniques », prévient Jacques Van Russelt. « Nous essayons donc de les rendre les plus autonomes possible ».

« « Je me sens mieux dans ma peau », nous ont souvent dit les patients », raconte ce jeune infirmier présent au comptoir de délivrance, quelques minutes avant l’ouverture de la deuxième permanence de la journée. « On remarque rapidement des changements physiques », renchérit sa supérieure. Réinsérés dans la vie, ils retrouvent le goût de ces « petits riens » : des loisirs pour leurs enfants, l’ouverture d’un compte en banque, une soirée au restaurant.

« La relation se crée, on s’attache aux patients », glisse l’infirmière en chef. Le 16 janvier a sonné le glas de la fin du projet pour les deux premiers participants. Et la séparation a été difficile, tant pour eux que pour le corps infirmier. « Le centre va nous manquer », ont dit les premiers. « On a eu la boule », disent les seconds. Il est surprenant de soulever que « c’est la relation plus que le produit qu’ils ont dit regretter », remarque Marylène Tommaso.

Malgré son enthousiasme, Jacques Van Russelt émet quelques critiques de poids. « On ne peut les sevrer en un tour de moulin à bras. Le traitement par substitution devrait par essence s’inscrire dans le long terme. C’est une lente reconstruction. » Cet argument soulève le paradoxe qu’est cette obligation imposée par les autorités de sevrer en une année. « Certains auraient besoin de 20 ans notamment parce qu’ils combinent différentes pathologies », souligne-t-il. Volontaire mais réaliste, il dit vouloir le sevrage « aussi court que possible, aussi long que nécessaire ». La critique est également soulevée par Marylène Tommaso et Dominique Delhauteur. Tous trois considèrent, de plus, superflue la mise sur pied d’un groupe de contrôle à la méthadone et déplorent « la loterie du tirage au sort ». Le président du centre Alfa émet une recommandation : « Il serait mieux de favoriser l’intégration des services au sein de Tadam. »

Quand viendra le 16 janvier 2013

Une année de sevrage, et après ? Si, à regret, Tadam ne traitera plus ses patients (qu’ils soient sevrés ou non), le centre Alfa se tiendra quant à lui encore à leur disposition. « Ils pourront retourner à un traitement à la méthadone s’ils le veulent », précise Jacques Van Russelt.

Tous les acteurs locaux espèrent que le projet sera reconduit : qu’une nouvelle phase d’inclusion et de traitement sera mise sur pied. Mais l’investissement est conséquent. Pourtant, si le projet est stoppé net, le train de l’héroïne risque bien de ne pas arriver à destination : celle de l’offre diversifiée qui permet à chaque malade de monter dans le bon wagon. Celui-ci même qui le mettra sur le chemin du sevrage. Le dossier devrait être remis sur la table des ministres dans les mois à venir. Une décision sera prise à la lumière de l’évaluation qu’en aura faite l’ULg.

Ce que le secteur en pense

Jacques Van Russelt endosse la double casquette de président de la Fedito et de président du centre psychosocial Alfa. A ces titres, deux discours : l’un plus policé, prudent ; l’autre plus engagé, convaincu.

« La Fédération n’a pas pris position : elle n’y apporte ni soutien particulier ni opposition farouche », explique-t-il. Cela dit, « elle reste prudente et mitigée par rapport à la banalisation d’une telle pratique ». Le projet, s’il a connu à ses débuts une « opposition vive et radicale de la part des autorités médicales, judiciaires et politiques (au fédéral) », selon Dominique Delhauteur, n’a pas rencontré de « réelle opposition de la part du secteur », poursuit Jacques Van Russelt. Ces propos corroborent ceux du président de Tadam : « Le milieu associatif comme politique liégeois étaient favorables au lancement de ce projet », dit-il, précisant que la ville nécessitait un plan particulier, en lien avec ses réalités puisqu’elle connaît des problèmes de dépendance à l’héroïne lourds et visibles dans l’espace public. Sur la seule commune de Liège, plus de 1 % des personnes entre 15 et 64 ans seraient dépendantes de l’héroïne.

1. Fondation Tadam :
– adresse : boulevard Piercot, 2 à 4000 Liège
– tél. : 04 220 65 20
– courriel : info.tadam@skynet.be

2. Fedito:
– adresse : rue du Président, 55 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02  514 12 60
– site : http://www.feditowallonne.be
– courriel :feditowallonne@skynet.be
3. Alfa :
– adresse : rue de La Madeleine, 17 à 4000 Liège
– tél. : 04 223 09 03
– site : http://www.centrealfa.be
– courriel : contact@centrealfa.be

Valentine Van Vyve

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