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Les musulmans d’Europe et la citoyenneté

Le lundi 27 janvier 2003, les Facultés universitaires Saint-Louis (FUSL)1 organisaient, sous la direction de Ural Manço (FUSL), une rencontre autour du thème de lacitoyenneté et de l’islam européen.

01-08-2005 Alter Échos n° 135

Le lundi 27 janvier 2003, les Facultés universitaires Saint-Louis (FUSL)1 organisaient, sous la direction de Ural Manço (FUSL), une rencontre autour du thème de lacitoyenneté et de l’islam européen.

Jocelyne Cesari, l’une des intervenantes, spécialiste française de l’émigration musulmane, chercheuse au CNRS, est d’emblée entrée dans le vifdu sujet en évoquant les conséquences des attentats du 11 septembre sur l’ampleur de l’islamophobie en Europe occidentale. Considérant que ces attentatsn’avaient pas vraiment changé « qualitativement » l’islamophobie ambiante, Jocelyne Cesari a estimé que ceux-ci avaient plutôt contribué à« renforcer la jouissance d’un stéréotype » qui, de conflits en attentats, se trouvait ainsi réactivé.

Quelle gestion de l’islam ?

Certes l’approche qu’il convient d’avoir de l’islam en Europe se conjugue au diapason des États et de leurs particularismes. Il existe en effet desdifférences notables dans la gestion de l’islam entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, par exemple. Ainsi, le fait multiculturel qui marque l’approche descommunautés étrangères en Grande-Bretagne est-il inexistant en France. Il n’en reste pas moins que pour l’ensemble des musulmans européens se posent, selonJocelyne Cesari, deux défis majeurs, à savoir la problématique de la transmission générationnelle de l’islam et la question de la modernisation del’islam européen. Or, dans des pays comme les nôtres où la religion a quitté l’épicentre de la chose politique, sociale et culturelle, pour des populationsoriginaires de pays où le fait religieux (islamique) est encore central, le changement est important. Paradoxalement, dans un contexte où la compréhension du fait religieuxdiminue, certains de nos pays (Belgique, France) institutionnalisent des « Églises musulmanes » (Exécutif des musulmans de Belgique par exemple) dont la dynamique estinitiée non pas par les populations musulmanes concernées, mais bien par les États. Dans ce contexte où le religieux et l’ethnique s’imbriquent, on assisteégalement à une dynamique transnationale d’un islam européen qui se manifeste chez une partie des musulmans d’Europe par une approche fondamentaliste et radicale, et plusmoderniste dans un rapport plus dégagé des pays d’origine, pour une autre frange de cette population.

Catherine Withol De Wenden, également chercheuse auprès du CNRS français, estime, pour sa part, que le processus de « citoyennetisation » est plus ou moinsaffecté par des craintes vis-à-vis, par exemple, de la double nationalité dont bénéficient de nombreux allochtones qui sont originaires de pays oùprévaut le droit du sang et vis-à-vis desquels se pose encore, dans certains cas, la question du service militaire. La question de l’allégeance suscite ainsi parfois descraintes parmi les autorités des pays d’accueil qui affectent les politiques liées à l’acquisition de la citoyenneté. Par ailleurs, « l’islameuropéen, estime Catherine Withol De Wenden, se caractérise par une certaine inventivité dans un contexte où l’identité européenne est à peineen train de se construire, contrairement aux nationalismes européens du xixe siècle qui se définissaient toujours par rapport à un ennemi. Le risque, dans le contexteactuel, est donc que l’identité européenne ne se structure contre l’“Autre” qui serait en l’occurrence le “musulman” ».

Citoyenneté et nationalité

Meryem Kanmaz, de l’Université de Gand, a évoqué l’évolution en cours du cas néerlandais où le multiculturalisme qui caractérisait lagestion des populations d’origine étrangère est actuellement remis en cause par une partie de la classe politique qui estime que ce multiculturalisme communautariste, plutôtque de favoriser l’intégration, serait davantage source de marginalisation.

La question de la citoyenneté parmi les populations originaires de pays musulmans vivant en Allemagne (essentiellement des Turcs), a, quant à elle, évolué en fonctionde la tradition du droit du sang qui existe dans ce pays qui ne tolère pas, par exemple, la double nationalité. « Corollaire de cette situation, explique Dominik Hanf, quienseigne au Collège européen de Bruges, l’Allemagne a naturalisé moins d’immigrés que ses voisins d’Europe occidentale. Le code de la nationalitéa toutefois été réformé – le droit du sang n’est donc plus d’application pour les étrangers qui veulent se naturaliser – mais avec deseffets limités dans la mesure où la double nationalité est toujours refusée. » Par ailleurs, on assiste en Allemagne à une « judiciarisation »systématique des problématiques d’intégration qui, si elle débouche sur un certain pragmatisme (par exemple sur la question du voile), a tout de même seslimites jurisprudentielles en termes de cohérence. « Dans ce contexte, estime Dominik Hanf, la classe politique allemande ferait bien de reprendre l’initiative dans ce domaine.»

Mustapha Al Karouni, avocat et ancien conseiller juridique de l’Exécutif des musulmans de Belgique, a tenté une définition de l’islamophobie qui, outre laxénophobie de base, se manifeste parfois « insidieusement » par une démarche où le « racisme s’autolégitime ». L’approche du faitmusulman en Belgique est ainsi selon lui généralement dominé par une attitude instinctive qui n’a rien à voir avec le droit. Mustapha Al Karouni, qui intervenait entant qu’« homme de terrain » – et qui avait défendu le cas de Yacob Mahi, dont Pierre Hazette refuse la nomination en tant qu’inspecteur des cours de religionislamique – s’est fait interpeller par une personne du public sur le paradoxe qu’il y avait pour lui de se présenter aux prochaines élections sur les listes du MR dumême Pierre Hazette. Mustapha Al Karouni a répondu en refusant de considérer cela comme une contradiction.

En définitive, le panel présent ce soir-là a abordé dans leur globalité, en essayant de ne pas faire du cas par cas ou de trop segmenter par pays, les questionsposées par le processus de citoyenneté des Européens d’origine musulmane.

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