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Les écoliers malades de la peste (publicitaire)

Le « loup publicitaire » est-il déjà entré dans la « bergerie scolaire » ? C’est en tout cas l’opinion de Nico Hirtt et BernardLegros1 à qui l’on doit l’essai récemment publié chez Aden, L’école et la peste publicitaire. Une centaine de pages engagées,parfois caricaturales, souvent pertinentes.

30-11-2007 Alter Échos n° 241

Le « loup publicitaire » est-il déjà entré dans la « bergerie scolaire » ? C’est en tout cas l’opinion de Nico Hirtt et BernardLegros1 à qui l’on doit l’essai récemment publié chez Aden, L’école et la peste publicitaire. Une centaine de pages engagées,parfois caricaturales, souvent pertinentes.

Les exemples les plus ahurissants d’intrusion publicitaire dans les écoles américaines, sont connus : des cours citant explicitement des marques aux activités de loisirssponsorisés, le phénomène est presque devenu banal outre Atlantique. A priori, on pourrait penser qu’il y a peu de risques de voir de telles dérives enBelgique puisque l’article 41 du pacte scolaire (1959) interdit les activités commerciales dans les écoles. À en croire les auteurs de L’école et la pestepublicitaire, cela fait pourtant déjà belle lurette que la loi a été malmenée. Faute de statistiques officielles, Nico Hirtt et Bernard Legros se sont surtoutattachés à décortiquer le système publicitaire, son impact dans la société et son intrusion à peine camouflée en milieu scolaire,favorisée par le « définancement de l’enseignement ».

«Nul n’est censé ignorer la loi, pourtant, dans les faits, l’intrusion publicitaire est laissée à la libre appréciation des directeursd’école et certains craquent pour des raisons financières : la manne publicitaire arrive à point nommé pour joindre les deux bouts », insiste Bernard Legros.« Les seules écoles qui ne connaissent pas ce risque, car elles reçoivent des financements suffisants, ce sont les écoles à discrimination positive et lesécoles dites ‘de riches’». Et les auteurs de dénoncer la technique de gradation et du fait accompli.

La publicité colonise l’école, en commençant par des moyens détournés, qui passent presque inaperçus : les distributeurs de sodas et de sucreriesinstallés depuis de nombreuses années dans les écoles – il y en aurait 24 200 dans les établissements de Wallonie et de Bruxelles – , le logo sur le journal declasse sponsorisé par une entreprise, la casquette « brandée » offerte aux gamins qui partent en classe verte, les « colis de bienvenue » donnés àla sortie des cours à la sauvette, quand ils ne sont pas carrément envoyés à l’école par coursier, le matériel pédagogique « offertgracieusement » aux professeurs…

« Si on les laisse faire, nous aurons bientôt des publicités pour les voitures dans les salles de classe ! », prédit Bernard Legros. Irréaliste ? Àvoir : en moyenne, les enfants sont prescripteurs d’achat pour leurs parents à hauteur de 50%. Si l’alimentaire, le textile et les jouets sont les secteurs où les enfantspeuvent se montrer les plus influents, ils donnent aussi le la dans des matières qui les concernent moins : « En France, les 4-11 ans (…) influencent 18% des achats de voiture et40% des lieux de vacances. »2 Mais la prophétie n’en est plus une : en Belgique, de nombreuses écoles sont déjà envahies par des affichesciblées (voir encadré).

Les enfants, une « cible » idéale

Les auteurs analysent de façon éclairante les différentes stratégies développées par les agences de publicité afin d’atteindre ces «prescripteurs d’achat » qui présentent le double avantage d’être une « cible captive » – un élève a l’obligation de se trouver àl’école – et d’être plus sensibles au message véhiculé par la pub. « Les enfants sont les premières victimes de la publicité, parcequ’ils manquent d’outils intellectuels pour y voir clair : les lobes frontaux et préfrontaux, zones cérébrales du raisonnement, sont immatures chez les enfants et lesadolescents »3, écrivent les auteurs. Et de citer quelques chiffres affolants : « Aujourd’hui, un enfant, entre l’âge de deux ans et quinze ans, voità la télé quelques 50 000 spots par an. »4.

La deuxième partie du livre s’attache à décortiquer les soubassements idéologiques du système publicitaire et partant, aborde les dérives de lasociété de consommation, et comme allant de pair, la « marchandisation » de l’enseignement. Si la démonstration de la « morbidité » de nosmodes de consommation hypertrophiés est convaincante, celle de « l’idéologie marchande » pêche parfois par une approche idéologique trèstranchée avec ses envolées utopistes. « Le rôle premier de l’école devrait être de faire acquérir les compétences essentielles pourcombattre la globalisation capitaliste et bâtir des rapports sociaux fondés sur l’égalité, la justice, le développement durable, le respect del’environnement et l’assouvissement des besoins les plus fondamentaux de l’humanité souffrante. »5

Même si tout le monde ne souscrira pas forcément à 100% à la philosophie des auteurs, leur essai – qu’ils auraient également pu titrer Manifestepour guérir l’école de la peste publicitaire… – mérite amplement de se retrouver dans les casiers des professeurs et autres formateurs. Il propose une base deréflexion pertinente avant d’envisager une éducation aux médias dans les écoles. « Face à des enfants qui sont confrontés à lapublicité quotidiennement, il est plus que jamais nécessaire de replacer les choses dans leur contexte. Plus un objet est inutile, plus la publicité pour le vendre sera massive», conclut Bernard Legros. « Il faut donc expliquer le cheminement de l’objet : qui l’a fabriqué, où, dans quelles conditions de travail, comment est-ilarrivé jusqu’ici, et qu’adviendra-t-il quand il sera usé. »

Petites et grandes manœuvres des marketteurs

«Le School Poster vous permet de cibler les 12 à 19 ans dans leur environnement. Ce réseau d’affichage, avec ses (sic) panneaux publicitaires de 1 m2,se trouve dans les bâtiments des écoles secondaires (…), plus précisément dans les halls d’entrée, bibliothèques, réfectoires et couloirs.». L’agence Campus Media6 a au moins le mérite d’annoncer la couleur sans fausse pudeur : « cibler les 12-26 ans sur leur lieu d’études ».Au besoin, elle offre des gadgets comme des calendriers, considérés comme « un moy
en excellent d’atteindre l’étudiant à la maison !». Un cynismeque l’on attribuerait d’instinct à une agence américaine… Raté. Campus Media officie en Belgique, et plus précisément dans les écoles deFlandre et les écoles flamandes de Bruxelles. « Il faut croire que la législation de la Communauté flamande permet de rentrer en contradiction avec l’article 41 du pactescolaire (1959) qui prévoit l’interdiction des activités commerciales dans les écoles. »

« La loi reste d’actualité en Communauté française, mais cette agence de pub a trouvé la parade et déjà commencé son travail de sape endistribuant des tapis de souris publicitaires aux étudiants du supérieur, en Wallonie et à Bruxelles », précise Bernard Legros.
Autre motif d’inquiétude pour les auteurs : « l’offensive Media Smart » qui devrait se redéployer dans les écoles cette année. Pour rappel, ceprogramme avait été mis en place par le Conseil de la publicité, il y a deux ans, afin de « permettre aux enfants de 8 à 12 ans de décrypter les messagespublicitaires et de sensibilisation ». Pour contourner les critiques alors émises par la ministre Marie Arena, jugeant « inadmissible que les enseignants et les éducateurssoient instrumentalisés en tant que vecteurs de diffusion de la publicité », le Conseil de la publicité avait revu sa copie en y associant l’Institut belge de lasécurité routière. La manœuvre avait réussi puisque selon le Conseil de la publicité, près de 2 000 packs « éducatifs » avaientété commandés par les enseignants. On peut évidemment s’interroger sur la pertinence d’une sensibilisation aux dangers de la publicité, concoctéepar les principaux artisans et bénéficiaires de la publicité… Le seul recours face à cet entrisme subtil reste la commission de l’article 42, supposéeveiller au respect de l’article 41 du pacte scolaire, et que tout directeur d’établissement peut saisir s’il l’estime opportun.

1. Bernard Legros (membre de RAP : Résistance à l’agression publicitaire et du Réboc : Réseau belge des objecteurs de croissance) et Nico Hirtt (membre del’APED – Appel pour une École démocratique) sont tous deux enseignants.
www.aden.be/editions/index.php?aden=ecole-et-la-peste-publicitaire

2. L’école et la peste publicitaire, éditions Aden, 2007, p. 22.
3. Op. cit., p. 62.
4. Op. cit., p. 80.
5. Op. cit., p. 112.
6. Leur site : http://www.campusmedia.be

aurore_dhaeyer

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