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Santé

Les autistes et leur famille à la recherche de solutions

Il y aurait environ 66 000 autistes de tous types en Belgique. Mais le syndrome implique et touche bien plus de personnes. Coup de projecteur sur la face immergée de l’iceberg.

03-02-2012 Alter Échos n° 331

Il y aurait environ 66 000 autistes de tous types en Belgique. Mais le syndrome implique et touche bien plus de personnes. Coup de projecteur sur la face immergée de l’iceberg.

En 2004, l’autisme s’est vu octroyer la mention de handicap spécifique en Belgique francophone. Syndrome à part entière, cette reconnaissance a permis de faire un pas en direction d’une prise en charge plus adaptée.

Jusqu’alors, on considérait l’autisme comme une maladie mentale. « On l’envisageait comme une maladie à soigner au niveau psychiatrique », se remémorent Flavio et Cinzia Tolfo1, parents d’un enfant autiste depuis 26 ans et fondateurs de l’association Inforautisme2. « On est passé d’un accompagnement caritatif et de charité dans la gestion d’un problème social à une revendication de droits dans le respect de la dignité », se réjouissent-ils de concert, précisant que « l’autiste a besoin d’être éduqué, pas soigné. »

L’éducation, un droit

« Selon la législation, l’enseignement spécialisé offre un cadre, des formations et une méthodologie adaptés », signale Flavio Tolfo. Le principe est louable mais, « dans sa réalisation concrète, de nombreux parents éprouvent un sentiment d’inadaptation », poursuit-il. Les parents de Juliano soulèvent le manque de moyens, de places dans les écoles spécialisées et de personnel enseignant formé à l’autisme. Avec pour conséquence que nombre d’autistes sont soit scolarisés dans un système inadapté, soit gardés chez eux et donc déscolarisés. Or « l’éducation est obligatoire », souligne Cinzia Tolfo. Le problème est structurel. « Aujourd’hui, on manque de tout », réagit tout de go le couple Tolfo, évoquant tant la prise en charge scolaire qu’extrascolaire des autistes, enfants mais surtout adultes. Et pour cause, « tout est soumis à l’initiative privée », regrettent-ils en chœur. Et d’oser une comparaison : « Le patient atteint d’un cancer ne doit pas mettre sur pied l’institution qui le prendra en charge… »

Quel système éducatif ?

Comme en Communauté germanophone, l’idéal serait d’organiser des couplages entre les écoles spécialisées et générales, en y introduisant un système de modulation, en fonction des capacités de chaque autiste : Inforautisme plaide pour l’insertion de classes spécifiques pour enfants autistes au sein d’établissements d’enseignement général ou, pour certains, l’intégration directe au sein des classes. « L’intégration doit être collective », souligne Inforautisme, « cela afin d’éviter la mise à l’écart d’un côté et la ségrégation de l’autre. »

Inforautisme mentionne l’existence du programme éducatif mondial TEACCH. Arrivé il y a 20 ans en Belgique, il fait partie, depuis 2009, de la pédagogie adaptée pour enfants autistes.

Un système inadapté

« Comme tout un chacun, la personne autiste a besoin d’apprentissages pour grandir », entame Flavio Tolfo. En bénéficie-t-elle pour autant ? Pas à en croire les associations de parents, fers de lance de la lutte en faveur d’une meilleure prise en charge des autistes. Inforautisme, se faisant le relais des dizaines de familles que l’association bénévole et indépendante accueille chaque semaine, tape sur le manque de prise en charge adaptée à l’autisme, souvent inclus dans des structures plus globales « où l’on ne fait pas de distinction de handicap ».

Si l’autisme est inné et « à vie », il n’est pas pour autant figé dans le béton. « La déficience neurologique existe et est fondamentale, mais un environnement adéquat permet l’éducation », souligne Flavio Tolfo.

En effet, l’autisme est déterminé par la déficience neurologique et l’adaptation au milieu. L’un influence l’autre et les deux déterminent le tout. Dès lors, grandir dans un environnement adapté et stimulant permet à tout type d’autistes d’exploiter ses capacités. « Il faut travailler l’éducation, en tenant compte de la différence, et non pas uniquement le côté relationnel », plaide Inforautisme.

La personne autiste éprouve des difficultés de communication et de socialisation. Il a une manière particulière de rentrer en contact avec l’autre et le monde. « Il faut l’accepter, s’adapter et adapter le système éducatif en fonction de lui, parce que le contraire est impossible », explique Cinzia Tolfo. Des propos relayés au niveau politique. « Ce sont les méthodes qui doivent être adaptées à la personne et non le contraire », réagissait Eliane Tillieux (PS), ministre wallonne responsable de la Santé et de l’Action sociale.

« L’état et la société me font défaut »

« Le système d’aide ne s’occupe que d’une partie de la population et laisse le plus grand nombre sur le carreau. Ces derniers s’enfoncent alors dans des comportements inadaptés. Ce qui augmente leurs troubles et leur isolement », explique Flavio Tolfo. L’asbl Susa (Service universitaire spécialisé pour personne avec autisme)3 confirme cet état de fait et explique que « la présence de ces troubles provoque dans de nombreux cas des situations d’exclusion. » Loin de n’être néfaste qu’à la personne handicapée, l’absence de réponses aux besoins spécifiques touche aussi son entourage. « Celui-ci conditionne sa vie autour de lui. Sans alternative, la famille tout entière s’enferme. Se précarise », tant socialement que financièrement.

On comprend la spirale négative dans laquelle sont embarquées bon nombre de familles. Du manque de structures d’accueil découle la prise en charge souvent inadaptée ou la déscolarisation. L’aggravation des troubles et l’isolement de l’autiste et de sa famille s’ensuivent. Et les empêchent de s’intégrer dans la société.

D’une aide pour soulager le quotidien à une prise en charge permanente, les besoins des familles sont pluriels. « Elles cherchent des alternatives à des situations qui deviennent, par leur absence, catastrophiques voire infrahumaines, les parents ne sachant plus comment agir », s’indigne Inforautisme. La plate-forme d’aide et de soutien précise que ses membres « portent à bout de bras des familles au bord de la rupture ».

« Un cas de maltraitance nous a été signalé récemment. L’enfant a été pris en charge par la Région wallonne », raconte-t-on au cabinet d’Eliane Tillieux. « Il faut souvent attendre que la situation devienne dramatique pour que le pouvoir public agisse », déplore Flavio Tolfo. Selon lui, « les parents prennent le rôle que la société s’est refusée d’assumer ». Il estime que « le pacte social est brisé. Aujourd’hui, l’Etat ne répond plus à ce que je suis en droit d’attendre de lui. »

Les pouvoirs publics aux abonnés absents

Entre la Région wallonne et l’Awiph, la Région de Bruxelles-Capitale, la Cocof, la Cocom, l’État fédéral et l’Inami, les acteurs responsables sont nombreux. « Le saucissonnage des institutions et la répartition de leurs compétences sont néfastes à la mise en place d’un plan cohérent pour les personnes atteintes d’autisme, puisqu’ils ne permettent pas la rationalisation des aides », regrette Flavio Tolfo. Il dénonce un « encadrement balbutiant » et regrette qu’« aucun plan à long terme ne soit mis en place par les pouvoirs publics », l’autisme n’étant pas considéré comme un problème de santé publique.

La Région wallonne n’est pas muette pour autant puisqu’elle subventionne, via l’Awiph, le Susa. A Bruxelles, cette asbl créée à l’initiative de parents et de professionnels a été agréée par la Cocof.

Pour pallier les manques criants, les associations de parents ont proposé un « plan autisme » aux différents pouvoirs publics. Leur voix se fera-t-elle entendre ? « Notre pouvoir d’influence est limité. Notre lutte est perçue comme celles d’individus isolés et non comme une problématique large et collective », explique Flavio Tolfo. Pourtant, ils mettent en garde : « On est assis sur une bombe à retardement. »

Malgré tout, Flavio et Cinzia Tolfo préfèrent voir le verre à moitié plein. « Avant, nous avions un mur comme interlocuteur. Aujourd’hui, nous entrevoyons des pistes pour améliorer l’avenir », disent-ils optimistes. Celle du lobbying et de la pression sur les pouvoirs publics en est une. Tout comme les recours en justice. Ainsi, la Fédération internationale de la Ligue des Droits de l’Homme (FIDH) a intenté une action auprès de la Cour européenne de justice (soutenue par dix-sept associations belges dont le GAMP – Inforautisme en est membre) contre l’État belge, lui intimant de respecter la charte sociale et son devoir d’assistance aux personnes handicapées de grande dépendance. « Nous taperons sur le clou dans l’espoir d’un avenir plus radieux », insiste Inforautisme.

1. Flavio et Cinzia Tolfo :
– adresse : clos du Bergoje, 20 à 1160 Bruxelles
– tél. : 0476 94 65 18
2. Inforautisme – CPAS d’Auderghem :
– adresse : avenue du Paepedelle, 87 à 1160 Bruxelles
– tél. : 02 673 03 12
– courriel : info@inforautisme.be
– site : http://www.inforautisme.com
3. Fondation Susa :
– adresse : rue Brisselot, 11 à 7000 Mons
– tél. : 065 55 48 60
– site : http://www.susa.be

Valentine Van Vyve

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