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Le REDI, un logiciel plus équitable qu’un assistant social?  

De quels revenus faut-il disposer pour vivre dignement? Pour se loger, se déplacer, se nourrir, assurer les dépenses scolaires… Peut-on définir objectivement le budget dont a besoin un ménage? C’est ce qu’entend faire le REDI, un nouvel outil mis à la disposition des CPAS. Rien à redire? Si, quand même…

Dans le secondaire, «il n’y a aucune approche formelle et systémique, aucune notion de ce qu’est l’informatique en tant que science: ce qu’est une ligne de code, un algorithme…» Olivier Goretti, coordinateur du SI2

Tout au long de ce printemps, les travailleurs sociaux des CPAS ont appris à se former à un nouvel outil, un logiciel qui calcule le budget nécessaire pour l’octroi d’aides complémentaires aux ménages aux revenus insuffisants. La cible est large: les bénéficiaires du revenu d’intégration mais aussi les chômeurs, les travailleurs précaires qui demandent une aide au CPAS, pour payer une facture de gaz par exemple. Ou encore les personnes surendettées qui ont besoin d’une guidance et d’un coup de pouce financier du CPAS pour faire face aux dépenses de base. Le public le plus visé est sans aucun doute celui des familles monoparentales qui ont souvent un faible revenu du travail et ne s’en sortent pas, même avec les allocations familiales.

Le REDI, comme REvenu DIgne, compare les revenus du ménage aux budgets de référence et suggère, sur cette base, aux CPAS le montant de l’aide sociale complémentaire à accorder. Les budgets de référence ont été établis sur la base de recherches scientifiques et «définissent le revenu minimum dont une famille a besoin pour participer pleinement à la société», explique le SPP Intégration sociale qui a introduit cet outil et forme les CPAS à son utilisation. Ces budgets de référence sont déterminés par région. Exemples? En Wallonie, le budget de référence pour un couple sans enfants est de 1.880 euros s’il vit dans un logement privé (1.652 dans un logement social). Pour une famille avec plusieurs enfants, de 2.808 (2.512). On estime qu’une personne âgée seule a besoin de 1.477 euros si son logement est privé. Pour Bruxelles, les budgets de référence sont plus élevés pour ces catégories de ménages (2.020 euros pour un couple, 2.982 pour la famille avec enfants) en raison, notamment, des coûts du logement privé.

Le REDI, comme REvenu DIgne, compare les revenus du ménage aux budgets de référence et suggère, sur cette base, aux CPAS le montant de l’aide sociale complémentaire à accorder.

Ces budgets de référence tiennent aussi compte de certaines caractéristiques territoriales: se déplacer dans la province de Luxembourg coûte plus cher que si on habite dans le centre de Liège ou de Namur. Ces budgets de référence sont des sortes de paniers de biens et de services tarifés. Ils comprennent la nourriture, les vêtements, le logement, les loisirs. Ils sont établis par le Cebud, centre de recherche budgétaire et de conseil budgétaire qui collabore notamment avec les universités d’Anvers et de Liège. Très régulièrement, assure le Cebud, les budgets de référence sont adaptés en fonction de l’évolution du coût de la vie.

Un outil payé par le fédéral

Comment cela fonctionne-t-il? Toutes les données relatives à la personne qui demande une aide sociale (revenus, charges, âge des enfants, loyer, voiture…) sont introduites par l’assistant social dans le programme. Sur la base de ces données, le logiciel, qui a en mémoire un référentiel du prix des biens et des services, calcule le montant de référence à octroyer à la personne qui a introduit la demande. Ce transfert inquiète certains, comme l’Association de défense des allocataires sociaux (ADAS), qui rappelle que le Cebud est un organisme privé qui va encoder ainsi un nombre important de données personnelles.

Le REDI, élaboré par le Cebud n’est pas une nouveauté. L’outil existe depuis une dizaine d’années et a été adopté par une petite vingtaine de CPAS, tous flamands. Ce qui est nouveau, c’est le fait que l’outil soit financé par le fédéral et mis à la disposition de tous les CPAS. La ministre chargée de l’Intégration sociale, Karine Lalieux (PS) et le SPP Intégration sociale ont conclu un marché-cadre avec le Cebud, soit 70 millions d’euros sur deux ans. Libre aux CPAS d’y adhérer ou pas, mais, a prévenu la ministre, il fallait y adhérer avant le 31 mars pour obtenir la subvention qui se présente sous la forme d’une enveloppe fermée, un peu comme le fonds «énergie». Après, c’est trop tard. Karine Lalieux n’a pas ménagé ses efforts pour convaincre les CPAS. Il est vrai que les trois fédérations – bruxelloise, wallonne et flamande – n’étaient pas enthousiastes. La ministre a donc manié la carotte et le bâton.

«Le point le plus positif, explique Alain Vaessen, directeur de la Fédération des CPAS wallons, c’est qu’avec le REDI, le fédéral a dégagé un budget important pour les aides sociales complémentaires. On parle souvent de l’augmentation des revenus d’intégration sociale, mais ce sont surtout les aides complémentaires qui ont explosé au cours de ces dernières années et pour un nouveau public. Ces aides complémentaires ne sont remboursées que partiellement par le fédéral, elles sont surtout payées sur les fonds propres des CPAS. Ce budget va donc aider les pouvoirs locaux. Le point négatif, c’est d’avoir lié le remboursement des aides complémentaires à l’utilisation de l’outil REDI.»

 

Pas de REDI, pas de remboursement de ces aides. Au total, 424 CPAS (sur 582) sont entrés dans le système: 16 à Bruxelles, 249 en Flandre mais seulement 159 en Wallonie (sur 262). Pour convaincre, la ministre a pourtant joué la carte de la sacro-sainte autonomie des CPAS. «Il appartient à chaque CPAS de déterminer le périmètre de son utilisation, poursuit Alain Vaessen. Certains CPAS vont l’utiliser surtout pour les personnes en médiation de dettes, par exemple.» Les travailleurs sociaux ne sont pas obligés non plus de s’en tenir au montant proposé par le REDI. Si celui-ci propose une aide de 500 euros à un ménage, libre au CPAS de décider qu’il accordera finalement 300 euros.

Harmoniser ou standardiser les aides sociales?

On voit pourtant l’utilité du logiciel: harmoniser l’octroi des aides sociales. Introduire plus d’équité entre les usagers. Une première étude menée par le Cebud en 2012 auprès des CPAS montrait qu’en Flandre, le budget de référence proposé par le REDI pour un ménage était quasi systématiquement plus élevé que celui estimé par le travailleur social. Et qu’à situation égale, le budget calculé par les assistants sociaux variait non seulement d’un CPAS à l’autre mais au sein d’un même centre, d’un assistant social à l’autre. Cette harmonisation rebaptisée «standardisation» par ses opposants, ne plaît ni à l’ADAS ni à certains CPAS et assistants sociaux qui parlent d’une «déshumanisation du travail social».

«Le point le plus positif c’est qu’avec le REDI, le fédéral a dégagé un budget important pour les aides sociales complémentaires. On parle souvent de l’augmentation des revenus d’intégration sociale, mais ce sont surtout les aides complémentaires qui ont explosé au cours de ces dernières années et pour un nouveau public. Ces aides complémentaires ne sont remboursées que partiellement par le fédéral, elles sont surtout payées sur les fonds propres des CPAS. Ce budget va donc aider les pouvoirs locaux.»

Alain Vaessen, directeur de la Fédération des CPAS wallons

«Il est vrai que les pratiques d’octroi d’aides sociales diffèrent d’un CPAS à l’autre et ce n’est pas anodin, constate Alain Vaessen. Les CPAS de la province de Luxembourg accordent plus facilement des aides sociales liées à la mobilité (remboursement des frais de transport, coût du permis de conduire) que les CPAS urbains. C’est lié à la fois aux priorités de chaque CPAS et de la réalité socio-économique de sa zone. Le budget de référence est censé couvrir tous ces postes mais l’utilisation du REDI ne doit pas faire en sorte que la machine remplace l’homme. Il faut que l’appréciation reste dans le chef du travailleur social. Avec cette part de subjectivité qui est issue de la relation de confiance entre le travailleur social et l’usager.»

«Un.e assistant.e social.e va tenir compte du contexte social, ce que ne fera pas la machine», nous dit un travailleur social. Et si celui-ci propose d’accorder plus que le budget de référence du REDI, il y a peu de chance qu’il soit suivi par les conseilleurs CPAS. Bernadette Schaeck, pour l’ADAS, a aussi une autre lecture de l’équité promise, même si elle ne nie pas les différences de traitement parfois considérables parmi les usagers demandeurs d’une aide sociale complémentaire. L’harmonisation est factice, souligne-t-elle.

Cette harmonisation, rebaptisée «standardisation» par ses opposants, ne plaît ni à l’ADAS (Association de défense des allocataires sociaux) ni à certains CPAS et assistants sociaux, qui parlent d’une «déshumanisation du travail social».

 

D’abord parce que les CPAS restent libres d’accorder ou non le montant proposé par le logiciel et, «s’ils accordent une aide sociale moindre, ils seront quand même remboursés du montant moindre accordé. Rognée à sa base sous prétexte d’autonomie des CPAS, la promesse d’équité n’est pas tenue. Si l’autonomie communale est un principe constitutionnel, l’égalité des citoyens l’est aussi». Selon Bernadette Schaeck, pour lutter contre la précarité des usagers du CPAS, il aurait été préférable d’augmenter le revenu d’intégration, de maintenir le tarif social élargi. «Ce fatras d’aides ponctuelles (fonds Covid, énergie) distribuées aux CPAS au cours de ces dernières années coûte cher à l’État sans jamais répondre au problème du sous-financement de l’institution.»

Le REDI a en effet une durée de vie limitée et c’est ce qui explique, selon Alain Vaessen, le fait que certains CPAS n’aient pas voulu entrer dans le processus. «L’incertitude qui règne sur ce qui va arriver après deux ans a joué un rôle. Comment va-t-on financer l’outil et sa maintenance? On aura mis en place des pratiques nouvelles en matière de travail social dont le financement pourrait s’éteindre lui aussi.» Après 2024 (et les élections), le projet peut en effet être poursuivi ou abandonné. Des présidents de CPAS nous disent tabler plutôt sur l’abandon de la subvention. Mais les CPAS pourront-ils revenir en arrière et ne plus octroyer ce qu’ils ont accordé pendant deux ans? Ils ont demandé et obtenu une évaluation quasi immédiate de l’utilisation du REDI. Cela pourrait peut-être influencer la décision politique après 2024.

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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