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Le projet « parentalité » d’Éclats de rire, un an après : un échec ?

À quelques pas de Liège, la cour de récréation de l’école fondamentale Xhovemont1, colorée de dessins d’enfants, crée unétonnant contraste avec le quartier un peu laissé à l’abandon dans lequel l’asbl Éclats de rire2 et son ambitieux projet ont vu le jour.Destiné à nouer un dialogue entre l’institution scolaire et les parents issus de l’immigration, le projet « parentalité » a connu, malgré sonapproche novatrice, des difficultés révélatrices de la complexité de la tâche.

18-05-2007 Alter Échos n° 229

À quelques pas de Liège, la cour de récréation de l’école fondamentale Xhovemont1, colorée de dessins d’enfants, crée unétonnant contraste avec le quartier un peu laissé à l’abandon dans lequel l’asbl Éclats de rire2 et son ambitieux projet ont vu le jour.Destiné à nouer un dialogue entre l’institution scolaire et les parents issus de l’immigration, le projet « parentalité » a connu, malgré sonapproche novatrice, des difficultés révélatrices de la complexité de la tâche.

Reconnue depuis janvier comme organisme d’intégration sociale, « Éclats de rire » est une association qui s’investit depuis plus d’une dizained’années dans des projets d’accompagnement scolaire, de guidance et d’aide aux devoirs pour des enfants de l’enseignement primaire. Comme explicité dans unarticle paru il y a un peu moins d’un an (cfr. Alter Éduc n°127, « Dialogue familles – écoles: réflexions à partir de deux expériences approfondies« ), l’asbl a lancé un projet destiné à briser les barrières entre l’institutionscolaire et les parents issus de l’immigration, primo-arrivants pour bon nombre. Gregory Voz, un des instigateurs du projet, chercheur à l’ULg àl’époque3, précise : « Nous avions constaté les problèmes d’échec de ces élèves et les difficultés de certainsparents à s’intégrer à la vie scolaire de leurs enfants. » Ces parents sont souvent, dans le discours ambiant, accusés d’être «démissionnaires ». « Il s’agissait pour nous de dépasser ce discours classique en recherchant les causes véritables de cette dissension »,ajoute-t-il.

Dialogue : un moyen, pas une fin

Pour rappel, l’objectif du projet n’est « pas de faire du dialogue une fin en elle-même », insiste Fabienne Laterza, administratrice de l’asbl. « La miseen place d’un dialogue stérile ne nous intéressait pas. Il s’agissait de s’assurer d’une base de départ commune aux discussions entre parents etenseignants, de dépasser les préjugés en permettant une compréhension mutuelle et concrète du rôle et des attentes des enseignants, d’une part, et desparents, d’autre part. Au travers du questionnaire réalisé par Gregory Voz, nous avons pu nous apercevoir que ces attentes étaient moins distantes les unes des autresqu’on ne pouvait le croire. Cette enquête nous a, dans un premier temps, permis de mettre deux éléments importants en évidence. D’une part, la réussitescolaire, la discipline et le travail sont les vertus essentielles désirées par les deux camps pour ces petites têtes blondes. Elle a toutefois mis en lumière l’appelde chacune des parties à réclamer de l’autre une plus grande implication dans le processus éducatif des enfants.»

Dans un second temps, la recherche a permis de dégager un « angle d’attaque » pertinent pour aborder le problème avec les deux parties simultanément. Encollaboration avec l’école Xhovémont, des rencontres parents-enseignants ont été organisées. Le but ? « Entreprendre une discussion dans laquelle lesdifférents protagonistes sont appelés à prendre la place de l’autre dans sa perception et dans sa fonction, afin d’amener à une prise de conscience mutuelle dutravail qui peut être entrepris de concert ». Depuis son bureau à l’Université du Luxembourg, Gregory Voz se souvient : « L’expérience s’estavérée enrichissante pour tous. Nombre de parents se sont montrés sensibles à cette volonté de les impliquer un peu plus dans la vie scolaire de leurs rejetons autravers de ce processus de désacralisation de l’institution scolaire. C’est un projet qui me tenait à cœur, je regrette de le voir s’arrêter. »

Un contexte difficile

Depuis octobre 2006, Éclats de rire a dû en effet mettre un terme au projet parentalité. Les causes de cette mort prématurée sont légion. « Lesmoyens sont insuffisants », explique la représentante de l’asbl. « Nous fonctionnons avec une équipe de volontaires et nous recevons des fonds de la Régionwallonne, mais ils nous permettent à peine de tourner et, même si l’on y croit, sans fonds suffisants, le projet s’essouffle. » Les questions pécuniairesn’expliquent toutefois pas complètement l’abandon du projet.

Tout en regrettant ce manque de moyens financiers qui a freiné la bonne marche de l’expérience, Jean-Claude Detrixhe, directeur de l’école fondamentaleXhovémont, avance d’autres éléments d’explication : « Le public de primo-arrivants visé par l’appel de l’association est trop ciblé.Seuls 5 % des enfants de mon établissement sont concernés. De plus, le discours de l’asbl était peut-être plus tourné vers les professionnels del’éducation que vers les parents. L’association recherche à rétablir le dialogue parents-école… Mais c’est vers les parents qu’il faut setourner ! Le « code de traduction parents-école », c’est très chouette, mais les enseignants ne sont pas des animateurs, et l’école offre des moyens de communication etun message similaires pour tous. Je conçois qu’il y ait des problèmes d’interprétation du message, et que, selon les cultures, l’implication dans la viescolaire peut varier, mais c’est à l’enfant de faire passer le message. Si ces parents désirent s’intégrer à la vie scolaire de leurs enfants, nous leurdonnons une structure préexistante avec laquelle ils peuvent composer. »

« L’institution scolaire est réfractaire au changement, pense de son côté Fabienne Laterza. Il est très difficile de faire appel au corps enseignantdès qu’il s’agit de modifier certaines pratiques, par manque de temps ou de volonté. Le projet est une initiative prise par l’asbl, le corps enseignant n’est pascontraint de participer à notre action – qui, admettons-le, représente du travail supplémentaire. »

L’après « projet parentalité »…

Loin d’avoir découragé Éclats de rire, l’abandon du projet dans sa forme première a ouvert de nouvelles perspectives de travail. Ainsi, l’asblorganise, depuis octobre 2006, les « vendredis pas comme les autres ». Au travers de discussions et de jeux de rôles, les parents y sont amenés à prendre conscience duquotidien de leurs e
nfants et de la part qu’ils peuvent y prendre, malgré les barrières linguistiques ou culturelles. « Nous désirons mettre en place des habitudesafin que l’action continue même après notre intervention. Il s’agit d’un travail de conscientisation qui nécessite l’appui de toutes les partiesconcernées… ou qui devraient se sentir concernées. » Le directeur explique aussi de son côté que des contacts avec l’asbl restent présents, maisque le projet en tant que tel a bel et bien été abandonné. Une illustration parmi d’autres de la difficulté du dialogue entre l’école et les parents,via la médiation d’une association.

1. École fondamentale Xhovémont, rue Xhovémont, 145 à 4000 Liège –
tél. : 04 226 81 99.
2. Éclats de rire, rue Xhovémont, 172 à 4000 Liège – tél. : 04 224 09 34.

3 Grégory Voz est actuellement chercheur à l’Université du Luxembourg.

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