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Le Pacte associatif : on en parle…

Ce 10 juillet, les trois exécutifs ayant lancé le processus du Pacte associatif – Communauté française, Cocof et Région wallonne – invitaient pour lapremière fois les acteurs consultés à exprimer publiquement leur point de vue à la tribune du Parlement de la Communauté française.

24-08-2006 Alter Échos n° 212

Ce 10 juillet, les trois exécutifs ayant lancé le processus du Pacte associatif – Communauté française, Cocof et Région wallonne – invitaient pour lapremière fois les acteurs consultés à exprimer publiquement leur point de vue à la tribune du Parlement de la Communauté française.

Ce sont ainsi pas moins de 25 acteurs qui se sont succédé pour dire (en huit minutes maximum) leurs attentes et leurs revendications quant à la forme et au contenu quedevrait revêtir ce Pacte, voire pour questionner la légitimité même du terme ou du concept.
Quatre ministres, issus des trois exécutifs – et des trois partis politiques qui y sont représentés – étaient là pour les écouter et esquisserleur propre vision du processus : Marie Arena, ministre-présidente de la Communauté française (PS), Elio Di Rupo, ministre-président de la Région wallonne (PS),Benoît Cerexhe, président du Collège de la Cocof (CDH), et Évelyne Huytebroeck, ministre en charge du Budget, du Tourisme et de l’Aide aux handicapés àla Cocof (Écolo).

D’après de nombreux participants, l’après-midi s’est révélé à la fois instructif, statique et frustrant.
Instructif puisque, de l’aveu de nombreux responsables associatifs, la réflexion sur le Pacte n’a pas été au centre de leurs préoccupations récentes,pris qu’ils sont dans l’urgence de la gestion quotidienne. Ce moment de prise de recul collectif était donc salutaire dans la mesure où il a permis à chacun de sefaire une meilleure représentation des positions en présence, des points de contention et des possibilités d’accord, bref d’instruire et de clarifier les enjeux dudébat.
Statique dans la mesure où la succession d’une trentaine d’intervenants sommés de déclarer leur position sur un sujet identique avait forcément unje-ne-sais-quoi de répétitif.
Frustrant puisque si certaines positions ont été répétées, elles ne vont pas nécessairement toutes dans le même sens, et qu’aucun débat nesuivait les prises de position. Autrement dit, sur des questions aussi essentielles et litigieuses que le périmètre du Pacte (qui concerne-t-il, qui ne concerne-t-il pas ?),l’association au processus des partis politiques d’opposition (du parti, en fait, puisque seul le MR n’est représenté à aucune des entitésrégionales et communautaires), la possibilité d’une espèce de parlement des associations, ou encore la place des piliers, on en est resté à la simpledéclaration d’intention et au seul positionnement, sans qu’aucun échange n’ait lieu qui puisse permettre à chacun de déployer ses arguments.

Ainsi, Dan Van Raemdonck, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, déclarait-il « On va nous dire – en fait, on nous a déjà dit cetaprès-midi – que bien des choses ont été dites, qu’elles sont parfois contradictoires, qu’il va bien falloir trancher, et que c’est au politique de lefaire. »
Reste donc à voir en quoi les « tables rondes » qui ont été annoncées, et dont les associations ne connaissent encore ni le calendrier ni lesthématiques qui y seront abordées, permettront d’entamer véritablement le débat, et de ne pas le résumer à une somme d’oppositions figées».

Qui est invité à participer ?

Le processus de consultation dont la journée du 10 juillet marquait la première étape publique concerne bien plus d’acteurs que les seules associations. Voici la liste desentités invitées à se prononcer sur la question et qui ont donc reçu un questionnaire en huit points portant sur l’opportunité d’un tel Pacte, sa forme,son caractère contraignant, etc. :
• Pas moins de quarante-cinq Conseils supérieurs, Conseils consultatifs et Conseils sectoriels allant du Conseil consultatif des Organisations de Jeunesse (CCOJ) de la Communautéfrançaise au Conseil supérieur de la pêche en Région wallonne, en passant par la Commission consultative francophone Formation-Emploi-Enseignement (CCFEE) pour la Cocof. Ilest bien sûr impossible de tous les citer ici.

Également invités à répondre au document, mais aussi à constituer le panel consulté pendant la suite du processus, trois types d’acteurs :
• Les conseils économiques et sociaux de la Région wallonne (CESRW) et de la Région de Bruxelles-Capitale (CBCES) ;
• Les partenaires sociaux interprofessionnels : FGTB, CSC, CGSLB côté syndical ; Union wallonne des entreprises (UWE), Union des entreprises bruxelloises (UEB), Union des classesmoyennes (UCM), Fédération wallonne des agriculteurs (FWA), Union des fédérations des employeurs du non marchand (UFENM), côté patronal ;
• Vingt-sept associations considérées comme « illustratives de la diversité du monde associatif : Ligue des familles ; Lire et écrire Wallonie – Bruxelles; Union nationale des mutualités socialistes (UNMS), Mouvement ouvrier chrétien (MOC-Ciep) ; Plate-forme francophone du volontariat ; Conseil bruxellois de coordination socio-politique(CBCS) ; Alliance nationale des mutualités chrétiennes (ANMC) ; Présences actions culturelles (PAC) ; Inter-environnement Wallonie – Bruxelles ; Fédérationdes centres de jeunes en milieu populaire (FCJMP) ; Association interfédérale du sport francophone (AISF) ; Centre national de coopération au développement (CNCD) ;Conseil de la jeunesse catholique (CJC) ; Fédération des institutions hospitalières (FIH) ; Fédération des centres de service social (FCSS) ; Syndicat deslocataires bruxellois ; Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI) ; Centre d’action laïque (CAL) ; ATD Quart Monde ; Secrétariat général del’enseignement catholique (Segec) ; Association de la ville et des communes bruxelloises (AVCB) ; Union des villes et communes wallonnes (UVCW) ; Ligue des droits de l’homme (LDH) ;Fédération des arts de la scène (FAS) ; Association des services d’accompagnement des personnes handicapées (Asah) ; Aide à domicile en milieu rural (ADMR) ;Fédération bruxelloise des opérateurs de l’Insertion socioprofessionnelle et de l’économie sociale (Febisp) ; Plate-forme Associations 21.

Bien entendu, toute contribution d’une association non sollicitée était également bienvenue.

S’il est évidemment impossible de résumer le contenu de toutes les interventions, le sentiment exprimé par Bruno Vinikas pour le CBAI (Centre bruxellois d’actioninterculturelle) résume assez fidèlement la posture plutôt attentiste de bon nombre de participants :
« Les positions des associations et des conseils consultatifs pourraient se modifier considérablement lors des prises de position politiques, notamment sur la nature du Pacte. On nousrépète qu’elle est ouverte, mais le terme même de Pacte – ainsi que certaines des formules utilisées dans les documents préparatoires laissent entendrequ’il s’agirait d’un texte cosigné par le politique et par l’associatif (ou une partie représentative de celui-ci). »
Et Bruno Vinikas d’ajouter : « Nous préférerions une déclaration commune des partis francophones, concrétisée par des décrets et un organe desuivi, avec comme modèle le Pacte scolaire – à la différence que les écoles n’avaient pas été consultées lors de son élaboration.» Pour le CBAI, cet organe de suivi constitue bien la dimension essentielle d’un Pacte associatif à venir : il devrait s’agir d’un organe unique, valable pourl’ensemble des entités politiques de l’espace francophone. Pour le composer, mieux vaudrait viser la diversité que la représentativité. Quant auxmatières qu’il aurait à traiter, Bruno Vinikas en propose une liste ouverte centrée autour des questions de complémentarité et de confrontation del’associatif avec le secteur public.

L’avis du Conseil supérieur de l’éducation permanente

Dans son avis, le Conseil questionne la méthode adoptée par les trois exécutifs.
Concernant le choix des associations sollicitées, il estime que « le dispositif ne donne pas suffisamment la place aux différents acteurs pour s’exprimer ». Ildénonce l’absence d’association ou de coordination de femmes dans le panel.
Au niveau du contenu, le Conseil « ne souhaite pas se positionner de manière générale sur la nature du ‘Pacte’ ». Vu les différences de point devue au sein du secteur, le Conseil encourage plutôt les associations à se positionner sur les différentes questions que soulève l’adoption d’un Pacte. Et ildemande que des moyens soient mis en place pour permettre aux associations qui le souhaitent d’exprimer leur point de vue.

Le Conseil se montre toutefois attentif à préserver l’autonomie des associations en particulier « au niveau du choix de leurs orientations idéologiques et de leurspublics ».
Il veut également que le Pacte soit décliné à tous les niveaux de pouvoirs, qu’il soit avalisé par l’ensemble des partis démocratiques etqu’il se distingue clairement du Pacte culturel, de la concertation sociale et des organes de consultations existants.
À propos de l’idée de la représentation, il rejette l’idée d’une instance unique pour tout l’associatif et préfère «l’utilisation optimale des différents organes représentatifs existants ».
Enfin, si le Pacte associatif est la marque de « l’engagement de l’État vis-à-vis des associations », il doit « se marquer prioritairement par unfinancement du secteur à la hauteur de ses missions et par le respect des pouvoirs subsidiants des engagements pris dans la liquidation des aides publiques ».

Quelques craintes

Parmi les craintes exprimées, on retiendra notamment celles de Benoît Van der Meerschen, secrétaire général du CNCD, qui a souhaité avoir des garantiesquant au fait que l’adhésion au Pacte ne constitue en rien une condition sine qua non de subventionnement pour les associations. De même, il souhaiterait aussi que soientassociés à la démarche les niveaux fédéral (duquel le CNCD reçoit la majorité de ses subsides) et communal. Ce dernier point constitueégalement un des chevaux de bataille du MOC (Mouvement ouvrier chrétien).
Du côté syndical, c’est principalement la confiscation du dialogue social qui fait l’objet de craintes – face auxquelles les quatre ministres présents se sontvoulus entièrement rassurants. Au-delà de cette peur, c’est l’utilité même du processus qu’ils remettent en question : avant de se lancer dans uneconsultation aussi vaste, débouchant peut-être sur un nouvel organe de représentation ou de consultation, il faudrait peut-être s’interroger sur le faibleinvestissement dont font l’objet les nombreux Conseils consultatifs déjà existants – une position d’ailleurs défendue par plusieurs des interlocuteursprésents. Enfin, de manière plus offensive, les syndicats se prononcent en faveur d’un dialogue social interprofessionnel au sein de la Communauté française,espèce de monstre du loch Ness de la concertation sociale belge.
Dans leurs interventions de clôture, les quatre ministres présents sont quant à eux restés plutôt prudents dans leur déclaration et refusant d’abattreleurs cartes à ce stade du processus.
C’est sans doute Marie Arena qui a été la plus explicite et la plus précise à propos des positions qu’elle défendra dans les négociations quisuivront. D’abord, les objectifs mêmes du Pacte, Marie Arena les voit triples : « reconnaître et valoriser la citoyenneté qui s’exprime dans l’action civilecollective », « visibiliser et compléter les efforts très importants réalisés ces dernières années quant au soutien au monde associatif »,et « jeter les bases, voire arrimer dans la loi, une alliance entre les services publics et les associations prestataires de services à la collectivité […] pourrépondre par un projet alternatif bétonné à la marchandisation des services. »
Un triple objectif dans lequel la ministre-présidente ne voit rien de contradictoire avec le maintien d’une concertation à la belge – rappelons que c’est notamment lacrainte du côté syndical. Au contraire, il faudrait considérer le Pacte comme un élargissement, une « extension à de nouveaux acteurs sur de nouveaux champs» de cette concertation.

Sur cette question sensible du périmètre, c’est la prudence qui domine : « Si on étreint large et que des spécificités justifient desdifférences de traitement, ces différences seront identifiées et il y sera répondu positivement. » De même, sur la création d’un droit de recoursquant à des décisions considérées comme enfreignant les principes du Pacte. En effet, après avoir rappelé le rôle pivot du Conseil d’Étaten la matière, Marie Arena se déclare « attentive » aux éléments qui pourraient justifier l’élargissement du droit de recours. Quant à laparticipation de l’opposition au processus de rédaction du Pacte, c’est l’ouverture relative qui prime puisque, si elle reste partisane de confier le processus auxgouvernements, Marie Arena est également prête à aller ensuite plus loin que la seule discussion dans les différents Parlements (sans toutefois préciser en quoiconsisterait exactement ce « plus loin ») si cette ouverture peut s’avérer utile. Enfin, c’est le rôle moteur de la Communauté françaisequ’elle met en avant : ses compétences la placent en effet au cœur des ambitions associatives.

Alliés ou concurrents

Parmi les motifs invoqués en faveur de la conclusion d’un Pacte associatif, l’un des plus fréquemment évoqués est la lutte contre l’offensivemarchande.
Face à l’ennemi commun que constituerait le secteur privé à but lucratif, les secteurs public et associatif pourraient enfin oublier leurs vieilles et vaines querelles– dont le social, et en particulier l’enseignement et la santé, constituait le champ de bataille privilégié.
Mais, ailleurs, c’est aussi – et surtout – le concept de nouvelle gouvernance et de crise de la démocratie représentative qui constituent les points de départdes différents pactes. Un livre récent, issu de travaux réalisés dans le cadre d’un projet initié par les Centres de droit international et de philosophie dudroit de l’ULB, permet de se faire une idée plus précise de la façon dont se modèlent, au niveau supranational, les relations entre ONG, et État – maisaussi entreprises, puisque ces dernières se trouvent associées à la démarche du Global Compact, espèce de Pacte associatif pour les institutionsinternationales.
Les approches sociologiques, juridiques et politologiques convergent vers le même diagnostic de recul de la légitimité étatique : « Dans ses différentsaspects, écrivent les auteurs, la gouvernance conduit également à relativiser le fondement représentatif de la légitimité démocratique del’État à la faveur d’une nouvelle relation gouvernants-gouvernés. C’est désormais la participation de la société civile au processusdécisionnel qui est promue comme critère indispensable à la prise de décision légitime. »
C’est donc une tout autre approche et de tout autres fondements idéologiques que ce qui présiderait à la conclusion d’un pacte en Wallonie et à Bruxelles.

1. Nicolas Angelet et alii, Société civile et démocratisation des organisations internationales, Academia, coll. « Science et société », 2005.

Suite du programme

Après la phase de consultation générale, la seconde phase sera plus ciblée et concernera des thèmes particuliers – choisis par le comité de pilotage(composé de représentants de neuf ministres issus des trois entités politiques concernées) encore non communiqués. Ils feront l’objet d’unapprofondissement lors de tables rondes.
Ensuite, ce comité de pilotage procédera à l’élaboration du Pacte lui-même : l’heure des choix, et peut-être des oppositions politiquesjusqu’à présent restées en coulisses. C’est pour la fin de l’année 2006 que les trois ministres-présidents devraient présenter àleurs exécutifs respectifs un premier projet de Pacte – qui fera alors l’objet d’une concertation classique via les structures telles que les Conseils d’avis, le CESRW,le CESRB et les fédérations et groupements d’associations.
Ce projet sera également débattu dans chacun des trois parlements. C’est seulement à ce stade que l’opposition – limitée, rappelons-le au seul MR –devrait être entendue, même si Marie Arena n’a pas fermé la porte à des échanges avant ce stade s’ils peuvent avoir pour effet de renforcer les fondationsdu processus.

Edgar Szoc

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