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Regard critique · Justice sociale
Au tour des élèves du CEFIG de déclamer sous le regard attentif de Jacques Neefs.

Pas toujours évident d’apprendre le français. C’est pour rendre l’apprentissage plus naturel et plus attrayant que le musée Magritte et les Midis de la Poésie se sont associés. Lors d’ateliers animés par le Conservatoire royal de Bruxelles, des élèves des cours de français langue étrangère s’approprient ainsi la langue à l’aide d’un outil inattendu: la poésie. 

Article publié dans Alter Échos, n°421, 18 avril 2016.

14 h. C’est après une pause de midi bien méritée que les apprenants du CEFIG, un organisme de réinsertion sociale et professionnelle, entament une cinquième heure de cours de français langue étrangère (FLE) dans la petite salle du troisième étage. Tandis qu’ils s’installent, des rires et des conversations joyeuses et multilingues résonnent dans la classe. Il faut un peu de temps à Jacques Neefs, comédien et professeur au Conservatoire royal de Bruxelles, pour obtenir le silence et expliquer la raison de sa présence et de celle d’une demi-dizaine de ses élèves en art dramatique: «Lors de cet atelier, on va créer ensemble un spectacle, raconter une histoire à partir de vos écrits et on présentera cela aux Midis de la Poésie. Aujourd’hui, nous allons vous présenter les poèmes d’un autre groupe, inspirés par Magritte et le surréalisme et ensuite ça sera à votre tour. On fera appel aux racines de chacun pour les mettre en poésie.»

« Érythrée. Le village de Tesseney. J’habite une cabane, un toit d’herbes et de bois. Chez moi, il y a la feuille de papier vague de Georgette (NDLR, la femme de Magritte) sous le matelas de mon lit.« , un étudiant

S’ensuit une petite demi-heure de déclamation enflammée à la manière du peintre belge René Magritte. Les textes, récités par les jeunes acteurs du Conservatoire, racontent des tableaux, des souvenirs, inspirés des pays d’origine des apprenants mais aussi leurs ambitions et leurs rêves:

«Érythrée. Le village de Tesseney. J’habite une cabane, un toit d’herbes et de bois. Chez moi, il y a la feuille de papier vague de Georgette (NDLR, la femme de Magritte) sous le matelas de mon lit. Sur cette feuille, j’écris toute chose nécessaire, personnelle, ou l’histoire des gens qui m’intéressent. […] De temps en temps, cette feuille de papier peut se changer en livre de musique parce qu’il y a beaucoup de poèmes.»

«Les yeux fermés, je vois les vacances, l’avion, ma famille, papa, maman et mon frère et mes sœurs parce qu’il y a deux ans que je ne les ai pas vus. Je désire le soleil de Marrakech et la montagne d’Ouarzazate. Ma grand-mère me manque beaucoup. La vie c’est comme ça», poursuit un autre étudiant.

Décomplexer le rapport à la langue

Au début un peu timides, les participants se prennent petit à petit au jeu et laissent galoper leur imagination. Bonne humeur et humour sont au rendez-vous. Il n’y a pas ou peu de place pour la peur et l’inhibition: «Ici, la dimension créative fait qu’il faut produire quelque chose et le français ne devient plus une finalité, un but en soi, mais bien un moyen de dire les choses. Ça décoince les élèves et ça leur permet de s’approprier le langage, de décomplexer le rapport à la langue», explique Didier Ruelle, professeur au CEFIG.

Un autre aspect positif, c’est l’échange qui se produit dans ces ateliers, les rencontres enrichissantes qu’ils provoquent avec peu de moyens puisqu’ils se déroulent dans des infrastructures préexistantes: «Pour les apprenants en FLE, c’est un bon moyen de se plonger dans la culture de notre pays avec Magritte, et mes étudiants en retirent aussi plein de choses, ils découvrent une autre réalité que Molière et Shakespeare. Les liens qu’on tisse ici font qu’on comprend mieux l’autre et sa culture et, ainsi, on l’accepte plus facilement», déclare Jacques Neefs.

Le programme Sésame

Ces ateliers sont le fruit d’un partenariat entre les Midis de la Poésie et le programme Sésame, développé au sein du service éducatif des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Ce programme est «mécéné» par GDF Suez (Engie maintenant) sous la forme d’une convention de cinq ans permettant chaque année de mettre en branle des projets s’adressant à des publics différents, de manière gratuite pour eux. Partant du principe que la culture est un levier d’intégration sociale, Sésame s’adresse principalement à des personnes issues de l’immigration ou en situation de précarité avec pour objectif de démocratiser l’accès à la culture et ainsi favoriser l’intégration sociale et la participation.

Toi Magritte, tu es un révolutionnaire de la réalité. Tu oses penser une autre réalité.», un étudiant

De cet atelier de poésie, un outil qui peut sembler inaccessible mais qui est finalement sensible et pertinent, ressortent des poèmes inspirés et inspirants:

«Magritte, j’ai étudié la physique en Ukraine: ici c’est trop difficile pour tout, le vocabulaire, trouver une place, c’est pas possible pas possible pas possible (…) Le monde est pas mal ou pas bon, il y a le monde qui est le tien: si je dis que le monde est bon, le monde est bon, oui exactement. Si chaque matin je dis: le monde est très difficile, le monde alors est difficile. Tu es maître de ton présent. Chaque réalité de chaque personne est possible. Toi Magritte, tu es un révolutionnaire de la réalité. Tu oses penser une autre réalité.»

«Ceci n’est pas un poème»

«La peinture, c’est très très clair pour tout le monde, il y a des photos, des images qui expliquent l’intérieur et l’extérieur. Même si je ne comprends pas ta langue, si je regarde ton tableau, je réfléchis à quelque chose… Magritte, tu nous parles à tous, tu réunis tout le monde. Tu me fais réfléchir beaucoup plus.» Anonyme.

«René, si tu veux garder ta femme, tu dois aider ta femme à la maison, tu dois faire le ménage à la maison, et la vaisselle aussi, à la maison, et guider les enfants à l’école aussi, depuis la maison, mais surtout la cuisine, à la maison, m’aider à préparer à manger, à la maison, m’aider à faire la cuisine, à la maison, René, tu dois faire les courses, sinon Georgette fait la grève!» Anonyme.

«Je suis né le 16 avril 1937 à 8 h 30, c’est la plus belle journée de printemps. On m’appelle EL-HE, le solitaire. Si je n’étais pas peintre, je serais un tailleur de textile. Le plus beau moment de ma vie, c’est le jour de mon retour dans mon pays, l’Algérie.» Anonyme.

Manon Legrand

Manon Legrand

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