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La pauvreté décortiquée, avec prisme sur les aînés

Les quatre premières parties du rapport bruxellois sur la pauvreté viennent d’être publiées en bloc. Chiffres, contributions externes, plan politique et, pour lapremière fois, une partie thématique qui en l’occurrence met le projecteur sur la problématique de la pauvreté chez les aînés. Une cinquième partietransversale et les conclusions sont attendues pour début 2009. En attendant, le première volée offre déjà beaucoup d’infos à se mettre sous la dent,singulièrement dans la partie thématique.

14-11-2008 Alter Échos n° 262

Les quatre premières parties du rapport bruxellois sur la pauvreté viennent d’être publiées en bloc. Chiffres, contributions externes, plan politique et, pour lapremière fois, une partie thématique qui en l’occurrence met le projecteur sur la problématique de la pauvreté chez les aînés. Une cinquième partietransversale et les conclusions sont attendues pour début 2009. En attendant, le première volée offre déjà beaucoup d’infos à se mettre sous la dent,singulièrement dans la partie thématique.

L’Observatoire bruxellois de la santé et du social1 a mis en ligne, fin octobre, les quatre premières parties de l’édition 2008 du rapport bruxellois surl’état de la pauvreté2. L’organisation de ce rapport est régie par une une ordonnance (loi régionale) de juillet 2006 qui prévoit qu’il soitpublié tous les deux ans et qu’il comporte cinq parties distinctes :
– le baromètre social, qui est une sorte de cahier statistique et qui est publié, lui, d’office tous les ans par l’Observatoire ;
– des contributions externes relatives à la lutte contre la pauvreté ;
– un rapport spécifique sur un thème choisi par le Collège réuni3 : pour 2008, il s’agit donc de la pauvreté chez les personnes âgées;
– le plan d’action bruxellois de lutte contre la pauvreté, qui doit comprendre les budgets mis sur la table par l’Éxecutif.
Ces quatre parties doivent servir de base à une table ronde donnant elle-même lieu à une synthèse qui constitue la cinquième et dernière partie du rapportbisannuel. Les différentes parties, y compris cette synthèse, font alors l’objet d’un aval par le Collège réuni. Cette synthèse finale est annoncée pourfévrier 2009.

Une architecture bien complexe mais qui permet de faire émerger, outre les statistiques brutes, des échos et avis des acteurs de terrain, des lignes directrices du politique et desespaces de débat et de participation.

Projecteur sur la pauvreté des aînés

Le tout premier rapport thématique réalisé dans le cadre du rapport pauvreté porte donc sur la situation particulière des aînés face à lapauvreté, ou plus précisément sur « la pauvreté et le vieillissement » et il essaye de prendre en compte deux angles d’approchecomplémentaires : la pauvreté des personnes âgées, d’une part, et le vieillissement des personnes pauvres, d’autre part.

D’un point de vue statistique, le premier enseignement n’est guère surprenant puisqu’il corrobore les statistiques sociales globales : il y a de larges disparités régionalessi on considère la situation sociale des aînés. Globalement, ils sont à la fois moins nombreux et plus pauvres dans les communes du « croissantpauvre » par rapport aux communes les plus riches. Ainsi, par exemple, les 65 ans et plus ne représentent que 8,1 % de la population à Saint-Josse alors qu’ils sont 19,9 %à Woluwe-Saint-Pierre. Mais les aînés de Saint-Josse sont 18,5 % à percevoir une Grapa4, ce qui est un indice clair de revenus très faibles, alors qu’ilsne sont que 3,3 % à être dans le même cas à Woluwe-Saint-Pierre. Notons également que le rapport considère qu’environ 20 % des plus de 60 ans de laRégion sont dans un état de vulnérabilité socio-économique puisque qu’ils cumulent le fait de ne pas avoir de diplôme au delà de l’écoleprimaire et de ne pas être propriétaire de leur logement, ce qui implique à la fois un risque de revenu faible et une dépendance au marché immobilier et à sesaléas. Sur cet indice de vulnérabilité spécifique, les disparités intra-régionales sont là encore importantes, puisque l’indicateur vire au rouge pour50 % des 60 ans et plus dans les quartiers les plus pauvres et pour « seulement » 10 % de ceux-ci dans les quartiers les plus favorisés.

Autre enseignement, il y a proportionnellement moins de personnes âgées à Bruxelles que dans les autres Régions et leur situation sociale a plutôt tendanceà s’améliorer ces dernières années. Cependant, et c’est inquiétant pour l’avenir, le rapport constate une augmentation de la pauvreté et desdifficultés sociales chez les 55-64 ans, grâce à divers indicateurs : aides CPAS, chômage de longue durée, statut Omnio… Ce qui fait dire aux auteurs que« la Région de Bruxelles-Capitale ne doit pas se préparer autant que les autres régions à un vieillissement croissant de la population mais plutôtà un appauvrissement de la population des personnes âgées », comme l’avait déjà indiqué l’atlas Vivre chez soi après 65ans5.

La voix et le vécu des aînés en difficulté

Le rapport thématique pointe un certain nombre d’éléments mis en avant par les seniors eux-mêmes. Pour ce faire, les auteurs ont contacté 37 servicesspécialisés pour finalement organiser des réunions de travail participatives avec neuf groupes de travail composés de seniors. L’idée était derecueillir au mieux la voix et le vécu de seniors défavorisés.

Parmi bien d’autres éléments, les participants ont ainsi pointé différents trucs et astuces qu’ils utilisent pour s’en sortir et améliorer leur quotidien.« La majorité des seniors affirment vouloir se débrouiller avec ce qu’ils possèdent. Ils placent leur fierté dans cette indépendance. Toutrentabiliser, ne rien jeter, fait partie des stratégies de survie ». Concrètement, les seniors ont pointé :
– la réduction des dépenses de nourriture : ne rien acheter de non indispensable, récupérer des marchandises dans des magasins « amis »,fréquenter les restos sociaux,…
– la réduction des dépenses d’énergie et d’eau ;
– le fait de renoncer aux dépenses de loisirs ou de confort ;
– postposer certaines dépenses quand c’est possible, y compris la dentisterie et les soins de santé ;
– chercher les prestataires les moins chers, y compris concernant les produits et services de santé ;
– organiser de la solidarité, comme monter des groupes informels pour des achats groupés.

Si toutes ces stratégies illustrent un certain dynamisme et une certaine volonté des seniors en difficulté, il est par ailleurs évident que leur situationsentimentale et psychologique est globalement problématique. Le vécu du vieillissement, cumulé à celui de la pauvreté, est le plus souvent ressenti trèsnégativement, comme on peut s’en douter : « Les privations constantes entraînent un sentiment de dévalorisation de s
oi ou d’abandon par la société,parce que tout est difficile, est restreint, les moments de loisirs et de détente sont difficilement accessibles. La vie ne semble plus valoir la peine d’être vécue. Alors,certains seniors se replient sur eux-mêmes. Ils se limitent à regarder la télévision, avec laquelle ils se retrouvent face à leur solitude. » Uncommentaire illustre bien un sentiment qui semble largement partagé : « nous avons travaillé toute notre vie et nous nous retrouvons avec notre petite pension aveclaquelle nous ne pouvons pas nous en sortir… nous ne sommes plus personne ». Des mots confirmés par les chiffres : 15 % des plus de 65 ans aux revenus les plus faiblesont été victimes d’une dépression dans l’année, ce qui est deux fois plus élevé que pour le reste de la population de la même tranche d’âge.

Sur la base des témoignages, le rapport pointe quelques exemples de bonnes pratiques et stratégies porteuses, qui peuvent mener à des actions politiques adhoc :
– la stimulation de lieux de convivialité gratuits, qui misent sur l’accueil, la convivialité et le respect ;
– l’organisation de rencontres intergénérationnelles, singulièrement entre enfants et aînés ;
– des solutions novatrices pour lever les obstacles aux déplacements qui subsistent : gratuité des transports en commun dès la pension (et pas seulement à partir de65 ans), taxis collectifs, co-voiturages…

Quelques chiffres clés plus globaux

La première partie du rapport pauvreté est un cahier statistique, publié tous les ans. En voici les quelques chiffres qui nous ont semblé les plus parlants.

– 20 % de la population active bruxelloise vit avec un revenu de remplacement (CPAS, chômage, allocation d’handicapé,…)
– 2,74 % de la population totale reçoit un revenu d’intégration sociale ou un équivalent du CPAS. C’est deux fois plus que dans les autres Régions et les autres grandesvilles du pays (à l’exception de Liège). Ce chiffre est en augmentation depuis 2002, même s’il y a des disparités entre communes.
– Le taux de chômage de la Région en 2007 est de 20,4 % (pour 21,1 % en 2006). La diminution est surtout marquée chez les jeunes.
– L’âge moyen au décès varie fortement d’une commune à l’autre : de 70,35 ans (Saint-Josse) à 76,96 ans (Woluwe-St-Lambert) pour les hommes, de 71,54(Saint-Josse) à 82,35 ans pour les femmes (Uccle).
– 48,7 % des jeunes bruxellois de 18 à 24 ans qui sont au chômage ont au maximum un diplôme du secondaire inférieur (30,6 % pour la Belgique).

1. Observatoire bruxellois de la santé et du social :
– tél. : 02 552 01 89
– site : www.observatbru.be
– courriel : observat@ccc.irisnet.be
2. Le rapport complet peut être téléchargé sur http://www.observatbru.be/documents/publications/par-collection/rapports-pauvrete.xml?lang=fr
3. Le Collège réuni est l’organe exécutif de la Commission communautaire commune, l’institution bruxelloise qui règle et gère les matières communautairescommunes aux deux communautés de la Région. Le Collège réuni rassemble les ministres du gouvernement de la Région (à l’exception des secrétairesd’État) et est présidé par le ministre-président du gouvernement régional qui n’y a qu’une voix consultative.
4. Grapa : garantie de revenu aux personnes âgées. Il s’agit d’une aide sociale sous la forme d’un revenu minimum garanti pour les 65 ans et plus qui ne percevraient pas de pension ouune pension insuffisante. La Grapa garantit ainsi, par exemple, 891,03 euros de revenu mensuel pour un isolé (contre un peu moins de 700 euros par mois pour le revenud’intégration).
5. Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale, Vivre chez soi après 65 ans : Atlas des besoins des acteurs, Bruxelles, 2007.

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