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Regard critique · Justice sociale

Edito

La liberté d’expression, oui, mais pas trop alors !

Prôner la censure pour défendre la liberté d’expression. Bizarre

Crows. Elementary Science Readers: First, 1927

«Ok Boomer!» L’interjection est simplissime. Elle disqualifie d’office l’interlocuteur. Trop vieux pour comprendre. Trop con pour capter. Ces deux petits mots, on les rencontre sur Facebook ou Twitter, dans des groupes de discussion encore divisés à la suite du débat sur la liberté d’expression, organisé le 13 février par le Centre d’action laïque à l’Université libre de Bruxelles, avec Charlie Hebdo comme invité. «Boomers». C’est une étiquette collée à ceux qui défendaient la légitimité de l’invitation adressée à Charlie Hebdo – car celle-ci était contestée.

Deux associations – l’Union syndicale étudiante (USE), section de la FGTB, et le cercle féministe de l’ULB (CUF) – ont violemment critiqué la tenue de ce débat, ne souhaitant pas voir ces «réacs» sur le campus. Militer contre l’expression d’un journal satirique au nom du progressisme, voilà qui est osé.

Il faut dire que l’USE et le CUF n’ont pas l’air très friands du débat démocratique. Les deux associations répètent qu’elles n’ont pas «censuré» la venue de Charlie – comment auraient-elles pu? – mais qu’elles s’y opposaient. Nuance! La différence est fine. Trop fine? Si l’on en croit Agnès Tricoire, déléguée de l’observatoire français de la liberté de création, dans la longue et passionnante interview qu’elle accordait au magazine Usbek & Rica en janvier 2020, la «censure directe» n’englobe pas seulement les actes de censure par les autorités «mais aussi les interruptions de spectacle […], voire les pressions sur les organisateurs».

Cette avocate de profession constate qu’aux acteurs classiques de la censure – «les groupuscules d’extrême droite» – se sont récemment ajoutés d’autres groupes – dans les milieux des syndicats étudiants qui «servent une doxa avançant qu’on n’a pas besoin de voir une œuvre pour juger» et qui visent à «dénier à l’autre le droit de penser autrement». Une tendance que l’on constate dans les universités mais aussi dans les milieux artistiques, en France et en Belgique, comme des répliques moins brutales des dérives américaines.

L’USE pense qu’il ne faut pas «donner d’audience supplémentaire» à Charlie Hebdo. Ceux-ci seraient coupables de tous les maux en tenant des propos supposément réactionnaires, racistes, homophobes et transphobes. Personne n’est sommé d’apprécier l’humour provocateur et parfois choquant de Charlie Hebdo, et tout le monde peut le critiquer. Il faut en discuter. «Mais comment débattre avec des gens qui ne veulent pas débattre?», s’interrogeait Agnès Tricoire au sujet de ces nouveaux censeurs si sensibles.

Le grand problème de Charlie, si l’on en croit ces associations, c’est qu’ils s’opposent à «celleux» (sic!) qui «remettent en question les privilèges blancs, homme, cis, hétéro, bourgeois, etc.». Selon eux: «Tous ces discours oppressifs doivent être exclus du champ de la liberté d’expression!» Léger malaise. Qui va décider et définir la teneur d’un «discours oppressif»? Les militants de l’USE? Avec de leurs œillères? Inquiétant et dangereux.

En triant la légitimité des uns et des autres en fonction de la couleur de peau, du genre, de la religion, des préférences sexuelles, ces parangons d’un nouveau moralisme essentialisent le débat, le fragmentent et s’éloignent de toute idée d’universel. Un peu naïvement, l’USE s’interroge: «Les membres de la rédaction de Charlie Hebdo sont-ils censurés?» Euh, comment dire, ils l’ont été, un peu brutalement. Le 7 janvier 2015. Mais depuis, «tout est pardonné».

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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