Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

L'islam au cœur des discriminations

Rapport 2008 du Centre pour l’égalité des chances : islamophobie et accommodements raisonnables sont au cœur du débat. Tout comme l’extension vers les Régionset Communautés des missions du Centre.

14-07-2009 Alter Échos n° 277

Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a présenté le 8 juillet dernier son rapport Discrimination-Diversité 2008. Il constate surtoutune montée de l’islamophobie, ainsi que de l’incitation à la haine via Internet et lance par ailleurs la réflexion sur les « accommodementsraisonnables »1 dans une société multiculturelle. Il se profile comme un organisme de coordination des politiques anti-discrimination menées par lesRégions et Communautés.

Une grande évolution constatée par le Centre dans son rapport 2008, pour la seconde année consécutive, est l’accroissement des messages d’incitation à la hainesur Internet. Ces messages touchent principalement à la nationalité, l’origine ethnique, la couleur de peau, la conviction philosophique ou religieuse ou encore la prétenduerace. Ils visent aussi de plus en plus les personnes porteuses d’un handicap ou portent sur leur orientation sexuelle. Les e-mails en chaîne sont un moyen particulièrement efficace pourdiffuser des propos haineux vis-à-vis de minorités. C’est pourquoi le Centre a développé, sur son site web2, une liste de tous ces e-mails de nature raciste etxénophobe, qui sont analysés tant du point de vue de leur contenu que du point de vue juridique.

Par ailleurs, l’explosion de l’utilisation des sites de blogs et réseaux sociaux (Facebook, Skyblogs, etc.) ainsi que des sites de partage de vidéos (Youtube,Dailymotion, etc.) explique également l’augmentation importante des signalements sur Internet traités par le Centre.

Islamophobie ou non ?

Seconde évolution : l’islamophobie. Un thème devenu incontournable et au centre d’actualités aussi diverses que la lutte contre le terrorisme et la « menaceislamique », l’intégration des populations issues de l’immigration musulmane, la question de l’égalité hommes femmes ou encore celle tournant autour du modèlede neutralité. Le sentiment grandissant de méfiance à l’égard des personnes musulmanes a particulièrement attiré l’attention du Centre cette année. Ily aurait actuellement un glissement entre le racisme touchant les personnes d’origine maghrébine et turque vers un discours islamophobe qui serait, en fait, l’expression de ce mêmeracisme. Pour le Centre, l’islamophobie n’est cependant pas en soi un délit, tout comme la critique d’une religion, qui relève de la liberté d’expression. Par contre, certainesexpressions islamophobes sont condamnables… La limite n’est en fait pas toujours évidente.

Trois types de signalements sont en fait observés par le Centre. Les actes ou propos islamophobes condamnables par la loi anti-discrimination, tout d’abord. Par exemple, une personnelicenciée à la suite de son retour d’un voyage à La Mecque ou encore une mosquée profanée à Tirlemont. Les actes ou propos islamophobes qui ne sont paspunissables par la loi anti-discrimination, ensuite. Il s’agit plutôt de préjugés ou de sentiments de méfiance à l’égard de personnes maghrébines parexemple. Enfin, les actes ou propos qui ne relèvent pas de l’islamophobie, mais plutôt d’une critique de la religion, par essence non condamnable, ou encore de la limitation de certainesexpressions ou pratiques religieuses. C’est par exemple le cas quand une administration refuse en formation une personne portant le voile. Certains refus de ce type ne peuvent êtreconsidérés comme de la discrimination, mais d’autres le sont ; la législation et la jurisprudence étant complexes et en évolution.

Accommodements ou non ?

Le Centre a d’ailleurs lancé un travail sur la notion d’« accommodements raisonnables » et les pratiques d’« harmonisation interculturelle ».L’accommodement raisonnable, concept issu de la jurisprudence québécoise associée au monde du travail, désigne un assouplissement de la norme afin de contrer unediscrimination créée par cette norme. Il s’agirait, par exemple, d’arrangements trouvés entre un employeur et un employé concernant l’acceptation dans le cadreprofessionnel de tel ou tel comportement lié à la religion ou à la culture ; comme accepter le port du voile par les travailleuses dans telle ou telle administrationpublique. Le Centre s’appuie ici sur les travaux et débats menés dans la société québécoise, notamment à travers la mise sur pied d’une commission, laCommission « Bouchard-Taylor », chargée d’évaluer les pratiques d’accommodements raisonnables et de faire des recommandations au gouvernement et à lasociété civile québécoise.

En outre, le Centre prépare un outil d’information et de recommandation portant sur les « signes convictionnels » (signes religieux, politiques ou philosophiques). Eneffet, il est régulièrement interpellé à propos de la question des signes religieux et idéologiques, particulièrement du port du voile dans les entreprises,administrations et écoles. Signalons à cet égard que le service du personnel du ministère de la Justice a récemment suggéré à son ministre detutelle, Stefaan De Clerck, d’autoriser les 24 000 fonctionnaires du SPF Justice à porter s’ils le souhaitent un signe d’appartenance philosophique ou religieuse (croix, kippa, voile,turban, etc.). Le Centre appelle à un vaste débat démocratique sur le principe de neutralité de l’État et de ses fonctionnaires.

D’une institution fédérale centralisée à un positionnement « interfédéral »

Une des nouveautés annoncées par le Centre est sa future transformation en une institution interfédérale, qui travaillera à égalité pour chacune desentités fédérales et fédérées du pays, afin d’avoir un champ d’action le plus large et le plus pertinent possible en matière de recueil et detraitement des signalements (de discrimination par les citoyens en personne), d’information, de sensibilisation, de formation et de rédaction de recommandations à l’intention despouvoirs publics, des entreprises et des citoyens.

Plusieurs étapes ont eu lieu pour asseoir ce nouveau positionnement. La signature d’un protocole de collaboration avec la Région wallonne pour rendre efficient le dispositifanti-discrimination défini entre le gouvernement wallon, l’Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes (IEFH) et le Centre pourl’égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR). Protocole assorti d’une subvention de 264 000 euros dès sa signature au printemps dernier et d’un comitéd’accompagnement chargé de garantir le suivi de sa bonne mise en œuvre. Puis la signature d’un autre protocole entre la Communauté française et le centre, qui luiattribue une subvention de 67 000 euros. Et enfin l’obtention il y a déjà un moment de l’accord de principe du Comité de co
ncertation (composé de ministres du Gouvernementfédéral et des gouvernements des Communautés et des Régions), le 25 avril 2007, pour un élargissement des missions du centre à toutes les entitésfédérés et fédérales de la Belgique. Mais entre l’accord et la mise en œuvre, le processus est lent, vu la sensibilité du sujet et leséchéances électorales fédérales et régionales depuis deux ans. Celles-ci ont en effet retardé la prise d’initiatives pour concrétiser cepositionnement – qui implique notamment des modifications en matière de composition du CA, procédure de nomination, mode de vote au sein du CA, financement…
Au Centre, on attend la levée de la relative inertie liée aux élections de juin pour confirmer dans les faits ce changement d’échelle et finaliser enfin un texted’accord de coopération…
Notons par ailleurs que le tout nouvel accord de gouvernement flamand signé ce 9 juillet confirme la volonté flamande de voir le Centre interfédéralisé.

Autre nouveauté du rapport 2008 : un important travail de synthèse des législations anti-discrimination en vigueur et des recommandations faites par le Centre. Parmicelles-ci, certaines touchent à des thématiques sociales fortes défendues par nombre d’acteurs politiques et associatifs lors des débats électoraux du printempsdernier, comme la suppression des questions relatives aux critères de nationalités dans les formulaires liés à la location de logement, ou l’encadrement légal decertains critères de sélection lors de la location. Ou encore la prévention de toutes les discriminations durant toutes les phases de la relation de travail (recrutement, prisede poste et fin de contrat), et les nombreuses demandes de renforcement de l’accessibilité de tous aux services publics, et événements culturels. Autant de sujets qui auront, dupoint de vue du Centre, des chances d’être mieux défendus quand il aura son positionnement et son financement renforcé par un véritable statut« interfédéral ».

1. Cf. nº224 d’Alter Échos : Une Commission sur les accommodements raisonnables pour calmer la crise.

2. Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, (CECLR) :
– adresse : rue Royale 138 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 30 00
– nº vert : 0800 12800
– courriel : epost@cntr.be
– site : www.diversite.be

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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