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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

IPPJ : déchiffrer le code

Les institutions publiques de protection de la jeunesse ont désormais un « code ». Il harmonise les pratiques et vise à consolider les droits des jeunes. Un texte utile mais qui, pour certains, ne va pas assez loin.

Les institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ) ont désormais un «code». Il harmonise les pratiques et vise à consolider les droits des jeunes. Un texte utile mais qui, pour certains, ne va pas assez loin.

Les IPPJ ont leur code. Celui-ci a été adopté par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles le 13 mars dernier. Il est censé être d’application depuis le 1er mai. Rappelons que la Communauté française compte cinq institutions publiques de protection de la jeunesse. Leur capacité est de 212 places dont 68 en régime fermé. Ces centres sont destinés à accompagner des jeunes placés sur décision du juge de la jeunesse à la suite de faits qualifiés infractions.

Que trouve-t-on dans ce code? Un ensemble de dispositions concernant le projet pédagogique d’une IPPJ, la vie quotidienne (argent de poche, décoration de la chambre), l’enseignement, la composition de l’équipe et bien sûr les droits des jeunes. Les modalités de dépôt de plainte sont détaillées. Les relations avec le monde extérieur – notamment la famille et les avocats – sont balisées. Les éléments transmis au tribunal de la jeunesse sont précisés. Les règles relatives à l’isolement sont rappelées, tout comme le régime des sanctions ou les types de fouilles autorisées. La participation des jeunes, «en particulier sur les conditions de son placement», est évoquée. Et, cerise sur le gâteau, les IPPJ devront remettre à chaque jeune un «règlement des IPPJ», dans un langage «accessible au jeune», explicatif de ses droits et devoirs. L’administration a un délai d’un an supplémentaire pour rédiger ce texte, en collaboration étroite avec le personnel des IPPJ.

Un tel code n’est pas né ex nihilo. Un règlement général des IPPJ existait déjà. De plus, chaque institution possédait son règlement d’ordre intérieur et ses objectifs pédagogiques. C’est bien là l’intérêt d’un tel texte. Il rassemble des dispositions éparses. Il harmonise les pratiques entre les IPPJ et renforce donc les droits des jeunes en réduisant les possibilités d’arbitraire.

Un code satisfaisant, mais quelques défauts

Dans l’équipe du délégué général aux droits de l’enfant (DGDE), Florence Brion estime que ce code est «satisfaisant» : «Un tel code devrait éviter que les IPPJ aient des régimes différents en fonction des jeunes. Cela permet de se référer à des choses concrètes. Par exemple au sujet des délais de réponse lorsque le jeune porte plainte. Ceux-ci sont précisés. De même concernant la motivation d’une décision d’isolement. Celle-ci devra être plus détaillée. Mais il faudra voir comment ce code est appliqué concrètement.»

De plus, constate Florence Brion, le fait que les «droits et devoirs» soient expliqués à chaque jeune représente une réelle avancée : «Car nous nous rendons compte que, bien souvent, les jeunes en IPPJ ne connaissent pas leurs droits.» Toutefois, l’équipe du DGDE pointe quelques bémols. Un exemple concerne les plaintes : «Si le jeune souhaite adresser une plainte à l’extérieur de l’IPPJ, et se tourne donc vers l’administration, celle-ci n’a pas de service de plaintes. C’est le personnel de l’inspection des IPPJ, qui gère aussi la coordination des IPPJ, qui traitera la plainte. Ces deux fonctions inspection et coordination devraient être scindées.» L’autre grief du DGDE concerne des pratiques un peu «borderline» de certaines IPPJ. Il s’agit ici de ce que Florence Brion appelle des «moyens de contourner les mesures d’isolement». L’isolement est cadré, réglementé. Du coup, certaines institutions chercheraient à «contourner» ces règles pour utiliser l’isolement comme elles l’entendent. «Il y a par exemple le service relance à Wauthier-Braine, explique Florence Brion. Un service qui fonctionne comme une mesure d’isolement. Le jeune est seul et doit réfléchir à un acte qu’il a commis. Sauf qu’il n’y a aucune durée maximale pour cette ‘relance’. Et ça, le code ne l’a pas réglé.»

«L’esprit de nos travaux n’a pas été respecté»

En 2011, le Centre interdisciplinaire pour les droits de l’enfant (CIDE) avait été chargé de rédiger un projet de code. C’est Thierry Moreau, professeur à l’UCL et avocat au barreau de Nivelles, qui a chapeauté les travaux. «C’était un travail fastidieux. Nous avions réuni les règles internationales, européennes, nationales, les règlements d’ordre intérieur des IPPJ, le règlement général. Tout ce qui concernait l’enfermement des jeunes et le placement en institution. Nous avons proposé un code commenté article par article dont le but était de faire fonctionner une IPPJ de manière respectueuse des droits de l’enfant et des grands principes de la justice.» Le texte du CIDE a, selon la ministre de l’Aide à la jeunesse Évelyne Huytebroeck, servi de base pour une concertation du secteur. Essentiellement l’administration, les directions d’IPPJ, les magistrats ainsi que les conseillers et directeurs de l’Aide à la jeunesse. À l’issue de cette concertation, le texte a subi des changements, qui ne plaisent pas forcément à Thierry Moreau. Il estime que son texte était plus ambitieux, plus respectueux des droits de l’enfant : «Regardez par exemple nos références à la loi sur le droit des patients. Elles garantissaient une série de principes qui devaient profiter aux jeunes. Elles ont été gommées. Idem dans les principes généraux, de nombreux éléments ont disparu.» Pour le professeur de droit, le code final a certes respecté la structure proposée par son équipe, mais sans en respecter l’esprit : «L’esprit de nos travaux était de proposer un projet éducatif qui mette le jeune au centre de l’intervention. L’approche finale du décret est plus gestionnaire, peut-être plus sécuritaire.»

Code des IPPJ : deux visions qui diffèrent?

Entre la proposition de code des IPPJ du Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant et le texte finalement adopté, les différences existent. Sont-elles importantes? À chacun de juger avec un exemple.

Code des IPPJ du CIDE. Article 4 :

Le placement en IPPJ a pour finalité de favoriser la réinsertion sociale du jeune et de lui permettre d’acquérir une meilleure image de lui-même. La mesure ne peut s’inscrire dans un contexte prioritairement sécuritaire ou répressif. Les membres du personnel de l’IPPJ œuvrent pour que le placement soit toujours le plus court possible. Ils recherchent la solution la plus adaptée et la plus accessible au jeune et veillent à proposer la solution qui a la meilleure chance de succès. Le jeune doit rester le sujet de l’intervention.

Code des IPPJ tel qu’adopté par le gouvernement. Article 4 :

L’action pédagogique des IPPJ vise la réinsertion sociale du jeune. Elle vise à lui faire prendre conscience des actes qui ont conduit à la mesure de placement et à leurs éventuelles conséquences sur autrui. Elle favorise une démarche restauratrice envers la victime et la société. Les membres du personnel de l’IPPJ veillent à valoriser l’image du jeune. Ils recherchent la solution la plus adaptée à sa situation et veillent à ce que le placement ne soit pas prolongé au-delà de la durée nécessaire.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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