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Petite enfance / Jeunesse

Internats scolaires, roues de secours de l’aide à la jeunesse?

Des internats scolaires reçoivent de nombreux jeunes suivis par l’aide à la jeunesse. Ces « placements » répondent-ils aux besoins du jeune ou sont-ils une solution de secours au manque de places dans les services spécialisés ?

Pexels, mar-newhall

Des internats scolaires reçoivent de nombreux jeunes suivis par l’aide à la jeunesse. Ces « placements » répondent-ils aux besoins du jeune ou sont-ils une solution de secours au manque de places dans les services spécialisés ?

En fin d’après-midi, à l’internat autonome mixte de Tamines, on sent déjà l’odeur acre des braises. Quelques élèves préparent le barbecue. La soirée sort de l’ordinaire pour les 73 élèves de secondaire, spécialisé ou supérieur, qui passent toutes leurs nuits de semaine dans cet établissement. L’éducateur s’agite à la recherche de câbles pour brancher une sono. « Les éducateurs sont à la fois animateurs, assistants sociaux, pédagogues, infirmiers », lâche François, entre deux allées et venues.

Aller en internat n’est pas toujours un choix facile. Les familles cherchent à résoudre des problèmes de mobilité. Parfois ils espèrent que le séjour aidera à cadrer leur enfant, à leur donner un rythme. Mais c’est principalement le choix des options propres à un établissement qui guide les élèves et leurs parents.

Pour certaines familles, ce choix n’est pas totalement autonome. C’est le cas de Tiphanie. Une jeune fille qui a été placée avec ses frères et sœurs à l’internat de Tamines. Sa mère est malade. Le conseiller de l’Aide à la jeunesse a donc suggéré, dans le cadre d’une mesure d’aide, que les enfants suivent leur scolarité en internat. Laissant la mère souffler et s’occuper de son dernier-né.

Tiphanie n’est pas la seule dans cette situation, loin de là. Cet internat mixte compte deux sites. L’un à Tamines donc, et l’autre à Château-Soupart. En tout, cette institution de la Communauté française compte 190 lits. Cette année, 75 sont occupés par des jeunes suivis soit par le conseiller de l’Aide à la jeunesse (SAJ), soit par le directeur de l’Aide à la jeunesse (SPJ). « Un chiffre assez stable même si on note une augmentation cette année », explique Jean-Luc Puissieux, directeur de l’établissement.

Pour le directeur, il est important de ne pas différencier les élèves en fonction de leur statut. Qu’ils soient éloignés de leur contexte familial sur décision d’une autorité mandante de l’Aide à la jeunesse ou pas, l’essentiel est « de ne pas leur coller d’étiquettes. Nous travaillons avec eux comme avec les autres ». L’intérêt d’un passage en internat, pour ces enfants, est, selon lui, bien réel : « Cela leur redonne un cadre, une ligne de conduite, un rythme de vie. » Car les soirées, après l’école, suivent un rituel très précis. Le goûter, l’étude pendant une heure trente, le repas à 19 heures, les activités organisées et surveillées jusqu’à 22 heures, puis le coucher. C’est souvent en soirée que les langues se délient.

Vu les parcours de vie accidentés de ces enfants suivis par l’aide à la jeunesse, il arrive que les confessions fusent. Que des besoins affectifs s’expriment. « On nous prend parfois pour des “papas”, mais ce n’est pas vraiment notre rôle, détaille le directeur. Il est vrai que, parfois, de manière sporadique, une aide de type psycho-médico-sociale pourrait être utile. »

 

Placement en internat : qui décide?

Le conseiller de l’Aide à la jeunesse peut décider, avec l’accord des intéressés, d’une mesure d’aide. Cette aide est donc consentie. Il peut s’agir d’un éloignement familial temporaire dans un internat. Ce qui implique des retours en famille le week-end.

Lorsque l’aide est contrainte, c’est le tribunal de la jeunesse (article 38 paragraphe 3 du décret relatif à l’aide à la jeunesse) qui décide de « soumettre l’enfant, sa famille et ses familiers ou l’un des deux à des directives ou à un accompagnement éducatif ». Il peut aussi « décider, dans des situations exceptionnelles, que l’enfant sera hébergé temporairement hors de son milieu familial de vie en vue de son traitement, de son éducation de son instruction ou de sa formation professionnelle ».

À la suite de la décision du tribunal, c’est le directeur de l’aide à la jeunesse qui, en fonction de chaque cas individuel, décide de la mesure concrète. Qu’il s’agisse de l’accompagnement éducatif ou de l’éloignement. C’est dans ce cadre qu’il peut décider d’un placement en internat. Mais attention, les internats ne sont pas des services de l’aide à la jeunesse, ils ont toute latitude pour accepter ou refuser d’accueillir les cas qu’on leur soumet.

Une solution de repli pour l’aide à la jeunesse?

Le nombre d’élèves orientés en internat par un conseiller ou directeur de l’aide à la jeunesse augmente-t-il? Difficile à savoir pour l’instant, car l’administration n’est pas en possession des chiffres.

La question n’est pourtant pas sans importance. La saturation des services d’hébergement de l’aide à la jeunesse a-t-elle un impact sur les internats scolaires? Y place-t-on des enfants faute de solution appropriée dans une institution pensée pour héberger des jeunes en difficulté?

C’est ce que pense un délégué de l’aide à la jeunesse, qui a préféré témoigner anonymement. « Il arrive de mettre en internat des jeunes qui ne peuvent pas rentrer dans leur famille. Cela pose des soucis le week-end, car les internats ferment. De plus, ces jeunes ne bénéficient pas d’un encadrement pluridisciplinaire comme dans un service agréé de l’aide à la jeunesse. Certains internats deviennent frileux car les histoires de ces enfants sont difficiles et peuvent engendrer des problèmes de discipline. Le problème majeur concerne les renvois. Lorsqu’il y a une exclusion, on doit bricoler, chercher des solutions, parfois le jeune doit retourner en famille. »

Malgré cette réserve, notre conseiller insiste pour que la plus-value des internats ne soit pas occultée : « Il s’agit d’une bonne solution pour des jeunes qui ont besoin d’un encadrement scolaire, qui ont par exemple des problèmes d’absentéisme assez poussés. C’est une solution utilisée surtout pour des familles carencées sur le plan éducatif ou qui vivent dans une grande précarité. »

Des internats pas forcément outillés

À Tamines, Jean-Luc Puissieux reconnaît que certains jeunes sont en internat « en attente de places ». Ils sont hébergés le temps qu’une solution soit trouvée en service résidentiel pour jeunes, dépendant de l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées, ou dans des institutions de l’aide à la jeunesse.

Une attente qui peut durer « trois mois, voire un an ». Dans d’autres cas, le directeur est confronté à des problèmes de comportement assez graves « de jeunes envoyés par les autorités mandantes de Bruxelles ». Mais tout cela reste rare. Au contraire, pour bon nombre des jeunes qu’il accueille, l’internat s’est avéré être l’option idoine. « Beaucoup ont vu leur dossier clôturé au SAJ et ont fait beaucoup de progrès chez nous. »

C’est une autre musique que l’on entend à l’internat libre Asty Moulin. On y accueille aussi, parfois, des élèves à la demande d’une autorité de l’aide à la jeunesse. Mais en moins grand nombre (« en ce moment ils sont environ 5% de l’effectif », selon le directeur).

Les tarifs de l’hébergement en internat libre sont supérieurs à ceux pratiqués par la Communauté française. L’aide à la jeunesse intervient dans le coût du lit à hauteur des tarifs pratiqués par les internats estampillés « Communauté française ». Le différentiel étant assumé par les familles.

Pour François Piette, le directeur, la présence de jeunes issus de l’aide à la jeunesse n’est pas un problème en soi. « Mais lorsqu’il y a une demande de la part du SAJ ou SPJ, c’est que le jeune traverse une problématique particulière qui doit être suivie. Sans suivi approprié cela ne va pas se résoudre tout seul. Cela demande un encadrement spécifique que nous ne pouvons pas offrir. »

Aux yeux du directeur, l’accueil de ces jeunes est un « coup de main social, car ils n’ont pas de place ailleurs ». Selon lui il faudrait veiller à ce que les internats « ne viennent pas pallier un manque de places adaptées, car si les internats ont une visée pédagogique et éducative, ils ne sont pas équipés pour prendre en charge les difficultés de jeunes de l’aide à la jeunesse ».

C’est particulièrement le cas pour les jeunes envoyés par le directeur de l’aide à la jeunesse, qui se situent dans le cadre de « l’aide contrainte ». « Dans ces cas-là, nous écoutons la demande, mais il faut voir nos limites, affirme le directeur de l’internat Asty-Moulin. Nous n’avons pas forcément les compétences pour répondre à la problématique spécifique du jeune. »

La meilleure solution pour le jeune…

Le directeur adjoint de l’aide à la jeunesse de Namur se récrie face à ceux qui pensent que les internats scolaires sont les voies de détresse d’un secteur congestionné.

Certes, il a bien conscience que certains internats sont plus frileux que d’autres à l’idée d’accueillir des jeunes qu’il leur confie. « Mais cela dépend beaucoup de la finesse de la direction ou de la philosophie du pouvoir organisateur », glisse-t-il, rappelant au passage qu’il privilégie les internats scolaires de la Communauté française.

Pour lui c’est clair, « l’internat n’est pas une solution alternative au manque de places dans les services agréés de l’aide à la jeunesse ». « Lorsque je fais ce choix, précise-t-il, c’est que l’internat répond à la problématique du jeune; c’est que je considère que le cadre structurant et organisé de la vie en groupe peut suffire pour le jeune. » La solution « internat » ne serait donc pas appropriée pour « les cas les plus graves », mais plutôt pour des situations où « le cadre familial a des limites, entre autres pour des problèmes de scolarité, de comportement, de fréquentation ».

Et surtout, argue le directeur adjoint, l’internat est choisi « lorsque le retour en famille le week-end est possible ». Fabrice Roland admet que certaines situations peuvent être « limites ». Il peut alors décider de compléter l’hébergement par le soutien d’un service spécialisé, type service d’aide et d’intervention éducative ou centre d’orientation éducative, qui interviennent dans le milieu de vie. De plus, le délégué de l’aide à la jeunesse est un interlocuteur de l’internat, il peut intervenir pour « recadrer ».

Le manque de places dans les services agréés de l’aide à la jeunesse n’en reste pas moins une réalité. « En ce moment 69 jeunes sont en attente d’une prise en charge dans l’arrondissement de Namur », détaille Fabrice Roland. Il peut arriver que certains jeunes soient orientés vers un internat faute de mieux. « Mais c’est rare et cela doit avoir lieu pour une durée la plus courte possible », ajoute-t-il.

Pour lui, l’essentiel n’est pas là. Ce qui compte c’est de ne pas « stigmatiser » les jeunes du SAJ et du SPJ lorsqu’ils débarquent en internat. Et, sur ce point, on peut dire que nos deux directeurs d’établissement sont d’accord.

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Alter Échos n°378 : Aide à la jeunesse : trier n’est pas jouer

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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