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Les carnets d'un garde-chasse : une autre vision de l'activation

On n’en finit plus d’attendre une évaluation qualitative du Plan d’activation et de suivi des chômeurs – alias Plan d’activation, alias Chasse auxchômeurs. S’il ne s’y substitue évidemment pas, Carnets d’un garde-chasse, le dernier livre de Vincent De Raeve1 a au moins le mérited’apporter un éclairage subjectif assumé, celui d’un accompagnateur syndical, sur ce dispositif, dont les évaluations officielles se sont jusqu’àprésent bornées à un empilement touffu de chiffres.

18-01-2008 Alter Échos n° 243

On n’en finit plus d’attendre une évaluation qualitative du Plan d’activation et de suivi des chômeurs – alias Plan d’activation, alias Chasse auxchômeurs. S’il ne s’y substitue évidemment pas, Carnets d’un garde-chasse, le dernier livre de Vincent De Raeve1 a au moins le mérited’apporter un éclairage subjectif assumé, celui d’un accompagnateur syndical, sur ce dispositif, dont les évaluations officielles se sont jusqu’àprésent bornées à un empilement touffu de chiffres.

Dans une vie professionnelle antérieure, Vincent De Raeve était ouvrier dans une usine papetière de la région de Verviers. Il en avait dépeint l’horreur auquotidien dans son précédent – et premier – livre, L’usine. Le moins qu’on puisse dire est que sa reconversion en accompagnateur syndical ne semble pas sevivre uniquement sur le mode enchanté de la progression professionnelle.

La mauvaise conscience du bon côté de la barrière

En effet, le sentiment d’être du bon côté de la barrière, d’endosser le beau rôle, celui d’avocat des chômeurs, ne suffit pas àdissiper le malaise de participer à un système dont l’absurdité est décrite à l’aide de quelques exemples saisissants, tel celui de cette «accompagnée » : « J’ai sept enfants, j’ai trente-deux ans. J’habite un bled. Y a pas de transports en commun. Deux de mes enfants sont dans l’enseignementspécialisé. J’ai pas été à l’école. Mon mari me battait. Je l’ai quitté. Il me harcèle. Il ne paye pas les pensionsalimentaires. J’ai des dettes. Puis parfois, je fais un peu de dépression. J’ai mal au dos. Comment je fais avec mes enfants ? C’était difficile de me déplacerjusqu’ici aujourd’hui. J’ai peur. » Et la contrôleuse-facilitatrice de l’Onem de demander, imperturbable : « Pouvez-vous me définir votre projetprofessionnel ? »

L’écriture subjective comme antidote

C’est précisément cette dimension systémique, et sa rationalité instrumentale déshumanisante qui répugne le plus à Vincent De Raeve, cesglissements sémantiques qui, dans les notes internes de l’Onem, désignent, avec ou sans guillemets, les chômeurs comme un « stock ». À rebours de cettelogique désincarnée, le livre, à la fois récit et témoignage, vise à réinjecter du corps et de l’expérience à ce qui, autrement,n’apparaît plus que comme des chiffres abstraits de flux et de stocks. Cette volonté transparaît jusque dans la rugosité de l’écriture, volontairementsèche et tranchante, mais aussi « incarnée », aussi éloignée qu’il est possible du jargon administratif ou du recul académique.

En guise de postface à ce témoignage brut, la postface d’Yves Martens (Plate-forme Stop Chasse aux chômeurs) permet de recadrer et d’objectiver la situationdécrite par Vincent De Raeve, à l’aide de chiffres et d’analyses.

Sans prétendre en rabattre sur la tonalité passablement pessimiste de l’ouvrage, on précisera toutefois que Vincent De Raeve est accompagnateur dans la région duLuxembourg. L’eût-il été dans une aire métropolitaine, la noirceur des situations dépeintes ou en tout cas leur nombre auraient sans doute étéencore accentués… On précisera toutefois que les dernières lignes du récit laissent ouverte la possibilité de construire de nouvelles solidarités dansl’économie de la débrouille, et s’ouvrent sur cette belle définition d’un nouveau projet collectif : « Plutôt que de se nourrir de miettes, pourquoi nepas cuire le pain ensemble ? »

Extraits

« Je travaille pour un syndicat. Mon job consiste à accompagner des personnes dans leurs démarches.

Ces personnes sont des travailleurs sans emploi. T.S.E., dans le jargon. Je trouve que c’est un terme bizarre, T.S.E. On dit aussi: demandeur d’emploi. D.E. Je préfèredire chômeur. Je trouve que c’est plus clair. J’aime pas trop quand on farde les réalités.

Sauf peut-être quand cela donne à réfléchir. Comme quand j’ai entendu proposer lors d’une réunion de chômeurs que l’on ne dise plus« travailleur », mais chômeur avec emploi. Là je trouve que ça a le mérite de recadrer les choses. »

1. Vincent De Raeve, Carnets d’un garde-chasse, Couleur livres, collection je, 2007.
Le livre se poursuit sur un blog :
http://carnet-d-un-garde-chasse.over-blog.com

Edgar Szoc

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