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Regard critique · Justice sociale

Logement

Hébergement non agréé: pas si sweet home…

A Uccle, les gestionnaires d’un centre d’hébergement non agrées pour personnes handicapées sont soupçonnés de maltraitance. Une enquête de police est en cours pour coups et blessures. Un fait divers qui questionne une fois de plus l’existence de maisons dites « pirates » et plaide pour un contrôle accru sur ces structures.

© Lison de Ridder

À Uccle, les gestionnaires d’un centre d’hébergement non agréé pour personnes handicapées sont soupçonnés de maltraitance. Une enquête de police est en cours pour coups et blessures. Un fait divers qui met en question une fois de plus l’existence de maisons dites «pirates».

Sweety-home… Évoquant avec un accent britannique la douceur du foyer, le nom choisi par les gestionnaires de ce «centre d’hébergement» ne manquera pas de faire grincer des dents dans le secteur du handicap!

Après avoir occupé une première adresse à Auderghem, devenue trop étroite, l’asbl a posé ses cartons dans le quartier verdoyant de l’Observatoire d’Uccle en 2014. Geneviève D., la directrice, n’a pas trouvé le temps de nous ouvrir les portes, affirme-t-elle. Mais un intervenant social qui a eu l’occasion de visiter les lieux nous les décrit comme propres et lumineux. Les résidents y sont logés, nourris, blanchis, pour moins de 1.000 euros par mois. Non agréée, la maison ne reçoit aucun subside. Les gestionnaires parviennent à proposer ces tarifs avantageux grâce à l’important réseau de bénévoles mobilisé, se félicite la directrice. En ce compris le conseil d’administration, composé de parents de personnes handicapées. «Ce projet, c’est notre bébé. Avec mon compagnon, on y a mis nos fonds propres, explique Geneviève D. au téléphone. Les résidents sont bien soignés. On les emmène en vacances à la côte belge, en Espagne. Le dimanche, avec les résidents, on coupe les haies des voisins, qui sont ravis. Tout le monde participe aux tâches de la vie collective. Comme à la maison. Notre objectif, c’est de proposer un cadre familial.»

Derrière le joli tableau que la directrice nous dépeint et les hautes haies de la maison uccloise, la réalité paraît nettement moins bucolique.

Derrière le joli tableau que la directrice nous dépeint et les hautes haies de la maison uccloise, la réalité paraît nettement moins bucolique. En février, une plainte a été déposée auprès de la police locale pour coups et blessures sur personne vulnérable. «Les griefs portent sur la prise en charge du plaignant, sur le suivi des patients de manière générale et sur la supposée gestion violente des conflits de la part des gestionnaires, précise le porte-parole de la police locale Laurent Masset. Le dossier a été transmis au parquet, des devoirs d’enquête sont en cours qui devront confirmer ou infirmer ces faits.»

«Le plaignant, A., avait des problèmes avec la Justice pour consommation de drogues, contre-attaque la directrice. Il a fugué à plusieurs reprises aux Petits Riens où on a été le rechercher parce qu’il y consommait de l’alcool et qu’il dérapait. Il a fait ces déclarations pour se venger de nous, d’ailleurs, il les regrette.» Pour Geneviève D., la meilleure défense, c’est l’attaque. D’anciens résidents se plaignent d’avoir été privés de leur téléphone mobile? «C’est arrivé une fois qu’on reprenne le GSM d’une fille, mais c’était pour la protéger de ses parents qui la harcelaient», rétorque-t-elle. Une habitante déclare avoir été privée de nourriture? «C’est ma Louloute, je l’adore. Mais c’est une nympho et une mytho. Elle suit n’importe qui le soir et il est arrivé qu’elle rentre après l’heure du repas. La police a induit ses réponses. Les enquêtrices lui ont demandé si elle avait reçu à manger. Mais pas pourquoi elle n’avait rien reçu. Elle est revenue en pleurs, dit qu’on l’a cuisinée», se défend-elle avec aplomb.

Un couple d’anciens résidents atteste avoir été «souvent» témoin de coups portés contre deux habitants. Dont la «Louloute» en question, que Geneviève D. «giflait et tirait par les cheveux». Le témoignage met aussi en cause le compagnon de la directrice, Laurent G. «C. voulait son argent de poche et il lui demandait de façon répétitive et finalement il a pété son plomb, il [Laurent G.] est devenu très nerveux et quand il est arrivé dans sa chambre il a jeté ses affaires. Nous on était en bas et on a entendu la claque. Le lendemain, C. nous a dit que Laurent lui avait donné une gifle et ça se voyait encore sur sa joue. Une autre fois, C. a commencé à chercher Laurent et ça a fini par une empoignade, j’ai vu Laurent mettre C. par terre et je crois que C. avait saigné du visage.» Cette fois, Geneviève D. semble à court d’explications: «C’est de la méchanceté gratuite, je ne vois rien d’autre.»

Une gestion autoritaire

Laurent G. est employé dans une entreprise de sécurité. Geneviève D. se targue, quant à elle, d’une expérience dans le secteur du handicap en tant que responsable d’une maison d’Accueil et Vie à Rhode-Saint-Genèse. «J’ai décidé de quitter l’association avec Baudouin Gautier, le fondateur d’Accueil et Vie, nous avons créé Sweety.» Chez son ancien employeur, le son de cloche diffère sensiblement… «Elle a été licenciée car son comportement ne correspondait absolument pas aux valeurs prônées par notre association, notamment en termes d’accompagnement et de bien-être des résidents. Nous travaillons dans un esprit d’autonomisation. On prône un accueil familial où la personne est mise au centre de ses décisions. Mais madame considérait que c’était sa maison, son territoire. Ni le personnel ni les résidents n’avaient leur mot à dire», regrette le directeur, Pascal Rommelaere. Il précise également que, à sa connaissance, Baudouin Gautier «ne se revendiquait certainement pas comme cofondateur de Sweety-home».

 

Est-ce que la jeune femme souhaitait la contraception? «Je ne sais pas, nous répond Geneviève D. Mais sa maman le voulait.»

Mêmes échos auprès d’un autre opérateur du secteur du handicap qui a recueilli un ancien résident de Sweety-home dans «un état médical préoccupant à la suite d’un problème de santé sérieux qui n’avait fait l’objet d’aucun suivi médical pendant une longue période». «Les gestionnaires nous ont vendu leur projet comme une maison proposant un environnement familial… Si familial que la directrice se substitue au réseau de la personne, dénonce l’intervenant qui préfère garder l’anonymat. Les résidents ne peuvent voir leur famille le week-end car ils sont obligés de participer aux activités de l’association. Il y a un couvre-feu le soir. L’argent de poche, le GSM et les papiers d’identité sont confisqués. Les résidents sont infantilisés. Il n’y a pas d’espace de liberté pour la personne.»

Un ancien habitant se plaint auprès d’une travailleuse sociale qu’on lui administre un traitement sans son avis. Un autre déclare à la police que Geneviève D. lui a supprimé le sien sans plus de concertation. Il témoigne aussi que sa compagne s’est vu prescrire la pilule de force. «Geneviève D. a demandé au médecin sans que E. voie le médecin de lui prescrire une pilule qui empêche d’avoir ses règles et lui a donné sans demander son avis. E. l’a pris pendant deux ans, mais à la fin elle avait mal au ventre tout le temps. Elle l’a dit à Geneviève qui a dit que ça allait passer.»

À Bruxelles, un vide juridique

Chez Phare, l’administration francophone bruxelloise en charge de l’Intégration des personnes handicapées, Sweety-home traîne une réputation sulfureuse. L’administration a vu passer dans ses bureaux plusieurs personnes handicapées «dans un état de décompression psychique» après leur passage chez Sweety. Et c’est l’administration qui a tiré la sonnette d’alarme quand elle a eu vent des violences supposées contre A. Elle a accompagné le plaignant à la police et envoyé un courrier à la commune. Son rôle s’arrête là. La commune, quant à elle, n’a pas davantage de leviers d’action. «J’ai mandaté les services d’urbanismes pour réaliser un contrôle. La maison est inscrite comme unifamiliale et peut être considérée comme famille d’accueil ou colocation. Malheureusement, en tant que commune, le seul moyen que nous avons à notre disposition, c’est l’urbanisme et l’hygiène, nous avons le même problème avec les crèches non reconnues», regrette Catherine Roba-Rabier, échevine de l’Égalité des chances.

À Bruxelles, les centres qui prennent en charge des personnes handicapées doivent se faire agréer par la Cocof, la Cocom ou la VGC, en fonction de leur appartenance linguistique. Cet agrément leur permet ensuite de recevoir des subsides. Ces structures doivent respecter des normes et font l’objet de contrôles. Rien n’est prévu, en revanche, pour les maisons qui ne s’inscrivent pas dans cette démarche. De facto, elles tombent dans un vide juridique. Rien ne leur interdit de prendre en charge des personnes handicapées, tant que les réglementations communales en termes d’urbanisme, de sécurité et de salubrité ou les prescrits de l’Afsca concernant l’hygiène alimentaire sont respectés.

Côté wallon, une législation

Au contraire de Bruxelles, en Wallonie, une structure qui prend en charge à titre lucratif plus de deux personnes handicapées doit faire l’objet d’une autorisation délivrée par l’Aviq, selon l’art. 29 du décret du 6 avril 1995 qui fonde l’Awiph (aujourd’hui AViq). La violation de cette législation est passible de sanctions financières, voire d’une peine d’emprisonnement. «Une dizaine de maisons sont suivies avec vigilance. Cela prend du temps, mais, en général, elles finissent par rentrer dans le rang, explique Simon Baude, directeur contrôle et audit à l’Aviq. Dans les cas extrêmes, on aboutit parfois à des fermetures. C’est une situation très difficile, car on ne peut pas laisser les gens à la rue.»

D’arrêté en arrêté, la Région wallonne a fait évoluer son cadre réglementaire au fil du temps pour tenir compte d’un phénomène apparu au tournant des années 2000: l’émergence aux frontières d’institutions créées sur mesure pour des personnes handicapées de nationalité française. Depuis 2008, la législation distingue ainsi les «services organisant des activités pour personnes handicapées» (SAN) des services faisant l’objet d’une «autorisation de prise en charge» (APC). Les SAN obéissent à des règles plus souples en termes d’encadrement que les APC «françaises» et peuvent bénéficier d’aides à l’emploi wallonnes ou d’aides ponctuelles de l’Aviq. «C’est une façon de normaliser des maisons ‘pirates’ belges, décrypte Simon Baude. De soutenir un petit peu des personnes qui sont généralement de bonne volonté, même si dans certains cas il peut y avoir des maladresses.»

«Encore aujourd’hui, nous recevons deux ou trois demandes par semaine de personne qui veulent ouvrir une APC, pensant y avoir trouvé un filon lucratif. », Simon Baude, directeur contrôle et audit à l’Aviq

Derrière l’acronyme APC, on retrouve quelque 135 institutions essentiellement implantées dans le Hainaut occidental qui accueillent un public d’environ 4.500 Français souvent porteurs de handicaps lourds. Ce sont les fameuses «boîtes à Français», qui ont acquis ce surnom péjoratif après que la presse eut révélé plusieurs scandales sordides de maltraitance. «Encore aujourd’hui, nous recevons deux ou trois demandes par semaine de personne qui veulent ouvrir une APC, pensant y avoir trouvé un filon lucratif. Dans le cas idéal, ce sont d’anciens éducateurs. Mais nous recevons aussi des profils effrayants: des électriciens, des chauffeurs poids lourds, etc., relève le directeur du service contrôle de l’Aviq. Mais il ne faut pas noircir le trait, il existe aussi des APC lucratives qui sont bien gérées, avec un management orienté vers la qualité.»

La loi prévoit que SAN et APC soient contrôlés tous les six ans et l’Aviq s’impose un rythme de trois ans. Par ailleurs, un nouvel arrêté sur les APC est en préparation au cabinet du ministre de l’Action sociale, Maxime Prévost, pour ajouter l’obligation de mettre en place un projet individualisé avec chaque résident. «La réglementation contribue indubitablement à tirer la qualité vers le haut. Mais ce n’est pas la panacée. La norme est quelque chose de difficile à objectiver dans un domaine aussi subjectif que la santé. Dans les structures subventionnées, le projet individualisé est obligatoire. Certaines se contentent d’un papier avec 10 lignes laconiques, que le personnel connaît à peine. D’autres installent une vraie dynamique interne, nuance le directeur des contrôles qui a également mis en place une approche préventive basée sur des campagnes de sensibilisation, des ateliers d’échange de bonnes pratiques et des formations. La seule vraie solution serait de débloquer des budgets, d’agréer ces structures et d’avoir des exigences à la hauteur: plus de personnel et plus de qualité.»

D’autant plus que les besoins s’accroîtront, souligne de son côté Véronique Gailly, directrice de Phare. «On dispose encore de peu de données statistiques globales sur le nombre de places manquantes pour la prise en charge de personnes handicapées, mais on sait avec certitude qu’il y a conjonction de facteurs qui augmenteront les besoins dans le futur. On a fermé des lits en psychiatrie. Les personnes handicapées ont une espérance de vie plus longue. On sauve plus d’enfants qui naissent avec des difficultés de survie, de rescapés d’accidents. Et les personnes âgées vivent plus longtemps avec des problématiques de dépendance qui s’accentuent.»

 

Maisons « pirates » : un business en eau trouble

Capture d’écran 2016-01-20 à 14.10.32À Bruxelles et en Wallonie, des structures à vocation commerciale proposent des services d’hébergement à des personnes particulièrement fragilisées. Ces hébergement non agréés (SHNA) accueillent un public qui cumule les problématiques: sans-abrisme, santé mentale, polytoxicomanie, passé carcéral, handicap, etc.  Si toutes les maisons non agréées ne sont certainement pas à loger à la même enseigne, des dysfonctionnements graves et récurrents ont été dénoncés dans certaines, notamment par le secteur associatif ( Lire aussi Home Massimo, une affaire de famille): confiscation des papiers, couvre-feux, administration médicamenteuse peu contrôlée, exploitation du personnel, insalubrité, manque de transparence dans la gestion de l’argent des habitants. Pour rentabiliser leurs investissements, ces structures à vocation lucrative travaillent avec un personnel réduit à son strict minimum pour encadrer un public souvent violent. Faute de moyens pour ouvrir de nouvelles places dans le circuit «officiel», fermer ces lieux reste délicat. Et, les travailleurs sociaux le soulignent aussi, certaines maisons affichent plus de professionnalisme et les résidents peuvent y trouver une forme de stabilité. La réglementation y est plus souple que dans les structures officielles, la durée de séjour n’est pas limitée, il n’y a pas d’injonction à devenir autonome et s’intégrer à tout prix. Faut-il dés lors adopter une approche répressive ou, au contraire, leur accorder une forme de reconnaissance minimale ? Lire notre enquête: «Foyers pirates: un business en eau trouble» du 20 janvier 2016

 

Aller plus loin

« Foyers pirates : un business en eau trouble», Alter Échos n°416, 20 janvier 2016, Sandrine Warsztacki.

« La résidence Laila au cœur des soupçons », Alter Échos n°416,  20 janvier 2016, Sandrine Warsztacki.

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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