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Regard critique · Justice sociale

Geoffrey Guillaume, l'huissier qui aimait la justice

Geoffrey Guillaume est huissier de justice à Mons. Entre créanciers et débiteurs, il fait la navette. Pas facile de trouver le juste équilibre, surtout lorsque l’on sepréoccupe des plus fragiles.

19-09-2010 Alter Échos n° 301

Geoffrey Guillaume est huissier de justice à Mons. Entre créanciers et débiteurs, il fait la navette. Pas facile de trouver le juste équilibre, surtout lorsque l’on sepréoccupe des plus fragiles.

La sonnette retentit, et les trois mots tombent, comme un verdict : « Huissier de justice ! ». La peur au ventre, la sueur qui perle des fronts, l’instantest grave. L’huissier, le corbeau, l’oiseau de mauvais augure. Un personnage dont l’essence même de la fonction inspire peu de sentiments bienveillants. Il faut dire que pour beaucoup, cettecrainte n’est pas fantasmée. Lorsque les dettes s’accumulent et qu’aucun terrain d’entente n’a pu être trouvé avec le créancier, les significations, les frais d’huissiers,la saisie, la revente des biens sont des moments bien douloureux. Le cercle vicieux de la dette. Et l’huissier y joue un rôle central, un rôle d’intermédiaire intransigeant.

Geoffrey Guillaume est huissier de justice dans l’arrondissement de Mons1. Un métier qui l’amène à côtoyer un public en difficulté sociale,criblé de dettes. Il évite d’emblée toute équivoque en décrivant son travail : « Nous ne sommes que des exécutants. » Pour un homme quiavoue être attentif à la précarité et qui n’hésite pas à dévoiler son « penchant social », la marge de manœuvre estplutôt réduite. Et c’est bien là tout l’enjeu : comment mettre en œuvre cette sensibilité sociale dans les limites de la fonction d’huissier, ce corset bienserré, fait de règles et d’actes légaux qui ne laissent pas beaucoup de place aux émotions ?

Notre huissier de justice a bien son idée sur la question, une idée qui démontre que son métier implique de subtils talents d’équilibriste : « Il y atoujours un créancier avec un titre judiciaire ou administratif. Le résultat, donc le remboursement de la dette, doit être obtenu. Quant aux frais qui sont réclamés,ils suivent un barème très précis. Ça, on ne peut pas le changer. Par contre, c’est la pratique du métier qui varie et qui a de l’importance. On peut, avec letemps, obtenir une certaine latitude de négociation auprès des créanciers. On peut être à l’écoute des personnes que l’on voit. Peu à peu, notremétier s’oriente vers plus de prévention, de dialogue et de médiation. »

Une approche humaine

« Nous sommes porteurs de mauvaises nouvelles, c’est un fait. Ce n’est pas lié aux hommes mais à la nature des actes qu’ils posent. Certains sont plus agressifs et ce sonteux qu’on retient. Alors que d’autres ont une approche humaine et sont à l’écoute des gens », affirme Geoffrey Guillaume qui tient à redorer le blason du métierdans lequel il évolue depuis une dizaine d’années.

Mais comment choisit-on de devenir huissier ? Pour Geoffrey Guillaume, ce fut un hasard. Une fois les études de droit terminées, il tombe sur une annonce au Forem :étude montoise cherche huissier stagiaire. Il tente alors le coup, motivé notamment par des raisons sentimentales, car sa compagne vivait dans la région montoise. Notre huissierde justice a grandi à Uccle, mais il n’a pas pour autant grandi dans un petit cocon propret : « Je suis né dans de beaux quartiers, qui ne favorisent pas depensées politiques très sociales. Mais j’ai appris la diversité à l’école, c’était important pour mes parents. Je n’ai pas côtoyé que la jet setlocale », lâche-t-il, avant de se faire plus précis : « Au milieu de mes études de droit, j’ai étudié la criminologie, j’airencontré dans cette branche beaucoup d’assistants sociaux, j’ai visité des prisons. Quand on est confronté à la réalité des difficultés sociales,c’est marquant. Et puis je suis venu dans le Hainaut et j’ai été transporté dans un autre monde, car certains coins ici sont structurellement endifficulté. »

En fin connaisseur des problématiques de la dette, il participe avec sa compagne à l’évaluation de la loi sur le règlement collectif de dettes, et collaboreoccasionnellement avec le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. Une forme d’engagement pour Geoffrey Guillaume. Selon lui, la loi sur lerèglement collectif de dettes, qui permet de suspendre toutes les poursuites à l’encontre du débiteur, répond à un réel besoin. C’est un outil qui permet auxplus endettés de sortir la tête de l’eau. Une procédure qui, soit dit en passant, lorsqu’elle est entamée, exclut l’huissier de justice de toute intervention…

Une profession qui s’ouvre au monde

La profession d’huissier de justice a ses côtés sombres : saisies, ventes aux enchères judiciaires, expulsions. Geoffrey Guillaume admet qu’il s’agit des aspects les plusdifficiles de son métier : « On considère toujours qu’en arriver à l’enlèvement de biens ou à l’expulsion est un échec. » Dans cescirconstances, il n’est pas rare que les insultes pleuvent. Une averse dont Geoffrey Guillaume a appris à se protéger : « Force doit rester à la loi »,assène-t-il, laconique et solennel.

Il préfère rappeler que de nombreuses étapes intermédiaires offrent au débiteur la chance de régler le problème, avant d’en arriver à cesextrémités. En cas de signification ou de saisie, Geoffrey Guillaume et ses associés se posent avec les principaux concernés et évaluent à leurscôtés la situation et les options qui s’offrent à eux : « Tous les huissiers ne prennent pas le même temps sur place. Chez les gens, il faut discuter, faireune analyse du cas, c’est une nouvelle tendance de notre métier : accorder du temps. Les gens peuvent ainsi exprimer leur sentiment, ils sont bien informés et ce dialogue peutaboutir à un accord sur place. Cela évite de nombreux courriers qui, trop souvent, font grimper la dette. » Un tel accord doit obtenir l’aval du créancier, car c’estbien lui qui fait valoir ses droits. C’est donc dans ces limites que l’huissier de justice se faufile. « Il ne faut pas que le créancier soit lésé par nosinterventions », nous rappelle Geoffrey Guillaume.

Ne pas léser le créancier, mais rappeler que le débiteur a des droits. C’est dans l’information transmise que l’huissier de justice peut lâcher un peu de lest :« Nous sommes au-dessus de la mêlée, notre travail est d’utilité publique et nous devons être impartiaux. L’huissier doit informer et conseiller toutes lesparties. On informe donc les gens des différentes possibilités de recours, des droits de la défense, on oriente les gens pour qu’ils puissent faire valoir leurs droitssociaux. » Dans certains cas, notre huissier de justice va un peu plus loin : « Je suis parfois touché par des situations particulières.
Dans ces cas, on seratenté d’en faire plus, de donner plus d’informations afin de limiter le coût de notre intervention. Lorsqu’on voit des situations dramatiques, tant au niveau de l’hygiène quemédicale, c’est là que notre rôle d’information est plus présent. Dans des cas exceptionnels, il m’est arrivé de donner des adresses de CPAS, ou d’organismesagréés par la Région wallonne qui aident les personnes en difficulté. Quand je constate une situation sociale qui cadre avec une perspective de règlement collectifde dettes, je peux signaler l’existence de cette possibilité. Mais c’est rare, on doit garder notre impartialité. »

Ce devoir d’information dont s’acquitte naturellement Geoffrey Guillaume se conjugue avec une exigence morale : le respect de toutes les parties. Une exigence qui implique de limiter aumaximum le côté agressif de l’intervention : « J’essaye de dédramatiser la situation. Même en cas d’insultes, il faut rester poli, ouvert au dialogue. Les genscomprennent vite qu’on n’est pas si méchants. L’huissier n’est pas inaccessible, on peut discuter avec lui. Il s’agit d’une profession qui s’ouvre au monde et aux problèmessociaux. »

Se frotter à des réalités sociales difficiles

Être huissier de justice, cela implique forcément de se frotter à des réalités sociales difficiles. L’exercice de ce métier et les convictions personnellesde Geoffrey Guillaume en font un observateur avisé des situations de pauvreté. Il le constate : « Il y a de plus en plus d’expulsions des gens de leur domicile. Des gensqui ont du mal à payer leur loyer. La cause est simple : il n’y a pas assez de logements sociaux dans la région. Il y a toute une partie de la société qui auraitbesoin d’un logement social et qui n’en a pas. » Outre le nombre d’expulsions, l’huissier de justice montois apporte d’autres éléments probants à sadémonstration : « L’augmentation de la pauvreté, on la voit dans le surendettement qui ne cesse d’augmenter, dans le nombre de règlements collectifs dedettes et aussi dans le nombre de dettes d’hôpitaux qui explose. »

Aux origines de la pauvreté, il y a bien sûr le contexte macro-économique, les crises, le chômage. À cela, Geoffrey Guillaume ajoute des élémentssociétaux : « La diminution des valeurs de solidarité familiale, les divorces. Il y a aussi le curseur du ressenti de pauvreté qui s’est déplacé.Maintenant, sans GSM ou sans télé, on se sent pauvre. Mais surtout, on peut noter une résurgence de l’égoïsme qui contamine toutes les couches de lasociété. » C’est pour cette dernière raison que Geoffrey Guillaume assume pleinement son métier : « Pour préserver la solidaritésociale, il faut lutter contre la fraude sociale, comme il faut lutter contre la fraude fiscale et financière. »

Geoffrey Guillaume est convaincu du bien-fondé de son action. Non, l’huissier de justice n’est pas cet être inflexible et terrifiant. Il peut évoluer dans un creuset propiceà la justice sociale… mais dans les limites – nombreuses – de sa fonction. « In fine, on sait que notre action est légitime. Peut-être pas comprise, maislégitime. Et comme j’estime exercer mon métier de la manière la plus équilibrée, je pense être dans le vrai. » Une recherche d’équilibre,toujours précaire.

1. Huissiers de justice :
– adresse : rue de Bertaimont, 42 à 7000 Mons
– tél. : 065 39 53 53
– courriel : info@stienondormont.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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