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Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

Formation en milieu carcéral : vers la réinsertion socioprofessionnelle

Quid de la formation en milieu carcéral pour optimiser la réinsertion des ex-détenus ?

18-12-2011 Alter Échos n° 329

Quid de la formation en milieu carcéral pour optimiser la réinsertion des ex-détenus ?

Douze pour cent des détenus sont analphabètes, 15 % ne parviennent à manier l’écrit qu’à un niveau dit de « survie ». 74 % n’ont aucun diplômeou seulement le certificat d’étude de base (CEB). Voilà le constat amer concernant une population en milieu carcéral largement sous-scolarisée. Un constat dressépar l’asbl Adeppi1 (Atelier d’éducation pour personnes incarcérées), qui souligne la corrélation entre le manque – voire l’absence totale – deformation et la délinquance.

A la lumière de ces chiffres, quel avenir envisager pour les 11 500 détenus en Belgique ? Quels types de formation leur sont-ils proposés et par qui ? Tour d’horizon de ce quise fait à ce niveau dans les dix-huit prisons des Régions wallonne et bruxelloise.

Une mosaïque d’acteurs

Dans l’imbroglio institutionnel belge, tâchons de comprendre comment fonctionne l’organisation de la formation en milieu carcéral. Le ministère de la Justice (l’Étatfédéral) est responsable des aspects sanctions et sécurité. Dans ce contexte, l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statutjuridique des détenus sont régis par une loi, la loi Dupont dite « de principe », qui date de 2005 et prévoit notamment un meilleur équilibre entre l’objectifde sanction et celui d’insertion/réinsertion, ce qui implique l’existence de la formation pour les détenus (voir encadré).

« Loi Dupont »

La Loi Dupont, dite de principe (2005), concerne l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus. Elle postule que « lapeine privative de liberté a pour but la réparation du tort causé aux victimes, la réhabilitation du condamné et la préparation de sa réinsertion dansla société ». A cet égard, elle vise à rétablir un meilleur équilibre entre objectifs de sanction et d’insertion/réinsertion.

La détention ne signifie pas la perte des droits : le détenu doit rester un citoyen et jouir de ses droits fondamentaux. La loi prévoit aussi, notamment, que soitinstauré un plan de détention reprenant les différentes activités que le détenu compte entreprendre en vue de sa réinsertion. Bémol : lesarrêtés royaux n’ayant pas encore tous été votés, la loi est nulle et donc non applicable. Néanmoins, tous les acteurs s’accordent à dire qu’elle estun point d’ancrage majeur et déterminant dans l’impulsion et la réalisation d’idées nouvelles.

Les Communautés et Régions assument quant à elles les services aux détenus (aide sociale, formation et enseignement, emploi, culture, prévention enmatière de santé, assistance à l’insertion/réinsertion). Des instances (Région wallonne, Région de Bruxelles-Capitale, FédérationWallonie-Bruxelles, Cocom et Cocof) qui n’agissent pas seules, mais via des organismes, publics eux aussi ou indépendants (d’un point de vue philosophique), qu’elles subsidient.Communautés et Régions ne sont bien évidemment pas compétentes pour les mêmes matières, ce qui implique la mise en place d’une architecture complexedès lors que des actions en prison doivent être menées au bénéfice des détenus.

Région Bruxelles-Capitale

A Bruxelles, c’est Bruxelles Formation qui porte la responsabilité de l’organisation de la formation des détenus des prisons de Saint-Gilles, Forest et Berkendael2. Ilexiste deux genres d’offres aux détenus : d’une part les actions de formation de type insertion socioprofessionnelle (dont principalement l’alphabétisation, le françaislangue étrangère, le calcul, la formation qualifiante). D’autre part, l’organisation de formations avec l’enseignement de promotion sociale (formations en informatique, en cuisine decollectivités et en esthétique).
Dans ces deux cas, Bruxelles Formation établit des partenariats avec les associations actives en milieu carcéral (les organismes d’insertion socioprofessionnelle, dont Adeppi) pour cequi concerne la formation qualifiante et à visée d’insertion, et avec les écoles de promotion sociale qui dépendent de la Fédération Wallonie-Bruxelles.« L’intérêt du partenariat entre les prisons bruxelloises et l’enseignement de promotion sociale est double : la réussite des modules de formationmène à l’obtention d’une attestation délivrée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce qui augmente les chances de réinsertion sociale», explique le cabinet d’Emir Kir (PS), ministre Cocof en charge de la Formation professionnelle. Par ailleurs, « cette attestation permet au détenu de poursuivre sa formation dansn’importe quel établissement de promotion sociale à sa sortie ». Bruxelles Formation prend en charge 50 % du coût des périodes de cours, l’autre moitiéétant apporté par l’enseignement de promotion sociale.

Région wallonne

En Wallonie, l’Interfédé3 est l’interlocuteur et partenaire principal. Les formations sont données via cet organisme qui fédère 160 entreprises deformation par le travail (EFT) et organismes d’insertion socioprofessionnelle (OISP). Ces dernières sont financées selon le volume d’heures. « Il n’existe pas à proprementparler de formations structurelles », admet le cabinet Antoine, ministre wallon de la Formation4. La Région admet dès lors compter sur la compétence desorganismes indépendants tout en « leur donnant l’impulsion ». Le Forem n’est pas impliqué directement dans la formation des détenus. Via les conseillers Cefo(Carrefour Emploi Formation), l’organisme public wallon de formation est plutôt présent à la sortie de prison, dans un rôle d’orientation du détenu. Notons quel’enseignement de promotion sociale est également actif dans les prisons wallonnes (voir encadré).

Promotion sociale

La Fédération Wallonie-Bruxelles dispense un enseignement de promotion sociale en milieu carcéral. Elle estime que son investissement se chiffre à 10 000 heures decours par an. « Le spectre est large et adapté au milieu carcéral puisque la promotion sociale est par nature un enseignement de la « seconde chance » destiné aux adultes età des situations personnelles contrastées », explique Eric Etienne, attaché de presse de la ministre de l’Enseignement obligatoire Marie-Dominique Simonet (CDH).

Constatant certains manquements en matière de formation en milieu carcéral, la Région wallonne a également lancé un projet-pilote de deux ans dans deux prisonsavec l’objectif d
‘en faire un modèle pour les institutions de Wallonie. La recherche-action « Passerelle vers la Liberté » (PVL) menée par la Funoc5(formation pour l’université ouverte de Charleroi) a été concluante, s’accordent à dire tous les acteurs. Elle ne sera cependant pas reconduite, au grand dam de ceux quil’ont menée.
Thierry Marchandise, juge de paix et ancien président de l’Association syndicale des magistrats, se disait lors d’un colloque organisé le 30 novembre dernier, « enragé dansce monde de l’absurdie » où l’on supprime un système qui a pourtant fait ses preuves. Les services d’aide aux détenus (SAD, voir encadré) déplorent eux aussil’arrêt des subventions à la Funoc. « Il n’y a pas de volonté politique de se servir de PVL comme levier pour développer un projet structurel », constatait lemême jour Yayha Samii, coordinateur du SAD La Touline6.

La Région wallonne ne bat pas en retraite pour autant. « Il était clair dès le départ que la Région, qui avait mandaté la Funoc, voulait mener unprojet-pilote comme base d’essaimage à l’entièreté des institutions et arrondissements judiciaires wallons. Il n’était donc pas amené à être reconduitde suite », tonne le cabinet Antoine. Et de nier que « la formation des détenus soit arrêtée ». Au contraire, au-delà des initiatives menées pard’autres OISP, l’expérience-pilote sera analysée, dit-on, et suivra son parcours au Parlement dans le courant de l’année 2012, à la faveur d’une modification dudécret EFT/OISP. Une modification à propos de laquelle la Région s’exprime de manière plus générale : « Nous voudrions modifier lemécanisme de financement afin d’instaurer des critères particuliers voire préférentiels, pour l’enveloppe dédiée aux détenus. » Et depréciser que le décret révisé devra mieux tenir compte des spécificités du système carcéral et de la particularité de son public.« Cette question est au cœur de la réflexion des groupes de travail associant l’administration et l’Interfédé. Tout sera en tout cas mis en œuvrejuridiquement et budgétairement pour que les principes de l’égalité des chances et de la seconde chance soient assurés notamment en faveur des personnes qui sortentde détention », tentait de rassurer le ministre devant la fronde des acteurs de terrain.

Aide aux personnes et aide aux détenus

La Fédération Wallonie-Bruxelles partage avec les Régions les services d’aide aux détenus. Elle est pour sa part responsable du service d’aide aux détenus (SAD)en vue de leur réinsertion, c’est-à-dire aux détenus et à leurs proches, durant le temps de l’incarcération, via la ministre Evelyne Huytebroeck (Ecolo).
Les Régions sont quant à elles compétentes pour l’aide sociale aux justiciables (ASJ), qui comprend l’aide aux justiciables, aux inculpés non encore en prison, auxcondamnés non encore en prison, aux ex-détenus. Sur ce plant, la situation est un peu plus complexe à Bruxelles puisque la Cocom, la VlaamseGemeenschapcommissie, laFédération Wallonie-Bruxelles et la Cocof sont compétentes.
On pointera le paradoxe de cette répartition des compétences entre les SAD et les ASJ (deux services, deux agréments). Cette césure institutionnelle a pourconséquence d’empêcher la continuité de l’aide au détenu lorsqu’il sort de prison.

Dans ce contexte, l’avancée la plus significative concernant l’aide aux détenus tient dans l’institution d’un coordinateur dans chaque prison, lancée à l’initiatived’Evelyne Huytebroeck lors d’une conférence interministérielle de décembre 20107. Le coordinateur campe le rôle d’intermédiaire entre les directions desprisons et les services extérieurs (Régions et Communautés). Il permet ainsi de coordonner les aides et d’instaurer une logique dans les projets menés.

Les obstacles à la formation

Malgré l’ensemble des mesures évoquées, former en prison reste compliqué. Et pour cause, les obstacles intrinsèques au milieu carcéral sontnombreux : suppression de cours par mesure de répression ou de sécurité, vétusté des lieux et surpopulation carcérale sont pointés du doigt. Deplus, même dans l’éventualité où les formations sont effectivement données, tous les détenus ne les mènent pas à leur terme. Outre les cas dedémotivation, les transferts réguliers des détenus ne permettent pas un suivi de la formation entamée, l’offre étant par ailleurs peu homogène d’une prisonà une autre. L’accès à la formation s’assimilant à un « jeu de poker », les détenus ne sont donc pas égaux devant l’accès à laformation et n’ont donc pas les mêmes chances de s’insérer ou de se réinsérer convenablement. De plus, les formations données et calquées sur les standardsdes organismes de formation extérieurs aux prisons sont à double tranchant, soulève Marie-Noëlle Van Besen, présidente de l’Adeppi. « Ce système n’estlui-même pas adapté à la vie en prison et aux contraintes qui en sont les corollaires. »

Autre chose : le manque de coordination et de synergie des acteurs privés et publics est criant, même si les associations se sont regroupées en différentesstructures comme la CAAP (concertation des associations actives en prison) ou la Fafep (fédération des associations pour la formation et l’éducation en prison) afin de garantirla cohérence de leurs actions. Un constat qui a poussé à la mise en place d’un accord de coopération entre la Région wallonne, la Région bruxelloise et laCocof en janvier 2009 et qui vise à coordonner les politiques d’intervention en lien avec le milieu carcéral afin de les optimiser. Il garantit également l’organisationd’une conférence interministérielle annuelle et la mise en place d’un comité de pilotage permanent (CPP). Les associations de terrains regroupées dans la CAAP se chargentquant à elles de l’élaboration de recommandations à destination du CPP.

« Il convient de faire l’inventaire de ce qui se fait ainsi que des « bonnes pratiques » », explique la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les recommandations du secteurassociatif permettront de déterminer les grands axes de réflexion des ministres des différentes entités lors de la prochaine conférence interministériellequi se tiendra dans le courant du premier semestre 2012. Elle permettra par ailleurs de faire le point sur les engagements pris l’an dernier ainsi qu’en mai de cette année.

La formation globale, écran contre la récidive

« On ne fait pas de social en prison » avait lâché Stefaan de Cl
erck (CD&V) alors qu’il occupait le poste de ministre de la Justice sous le précédentgouvernement fédéral. Cette déclaration est éclairante à plusieurs égards. D’après certains, elle démontre combien la formation est le parentpauvre de la politique menée en institution carcérale. La formation, globale et multidimensionnelle, remplit le rôle de « chaînon manquant », entre la prison etle monde de la liberté, expliquait Marina Mirkes, coordinatrice pédagogique à l’Interfédé, lors du colloque du 30 novembre. Il convient, selon elle,d’éveiller chez les détenus une conscience citoyenne afin qu’ils soient capables à leur sortie de prison d’agir comme acteur de la société.

La conception de la prison comme lieu de privation de la liberté avant toute autre chose est donc battue en brèche, avec des arguments financiers s’il le faut : « Lecoût lié à la récidive est supérieur à celui de la formation », disent les acteurs du secteur. Les chiffres donnés par la Funoc sont par ailleursexplicites : un détenu coûte 125 euros/jour alors que la formation revient à 12 euros/jour par personne… Alors que, selon les statistiques, un prisonnier sur deuxrécidive, la préparation à la vie socioprofessionnelle post-carcérale permettrait « de diminuer ce chiffre à un sur trois », estimait quant à luiThierry Marchandise (sans disposer de chiffres exacts car depuis trente ans, aucun bilan n’aurait été dressé concernant le taux de récidive). Le travail en amont estprôné par tous, mais la logique politique agit comme un frein. L’ensemble des acteurs, représentants politiques compris, s’accorde en effet pour dire que la formationdes détenus n’est pas valorisée politiquement et électoralement. Peu rémunératrice en termes de voix, les partis n’en font pas une priorité…

1. Adeppi :
– adresse : ch. d’Alsemberg, 303 à 1190 Bruxelles
– tél. : 02 223 47 02
– courriel : info@adeppi.be
– site : www.adeppi.be
2. En 2011, 333 détenus ont été formés.
3. Intérfédération des EFT-OISP :
– adresse : rue Marie-Henriette, 19/21 à 5000 Namur
– tél. : 081 74 32 00
– site : www.interfede.be
4. Cabinet d’André Antoine :
– adresse : rue d’Harscamp 22 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 38 11
5. Funoc :
– adresse : av. des Alliés 19 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 270 600
– courriel : funoc@funoc.be
6. La Touline :
– adresse : rue Sainte-Anne, 2 à 1400 Nivelles
– tél. : 067 22.03.08
– site : www.santementale.be/latouline

Valentine Van Vyve

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