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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Egregoros : De jour comme de nuit, des médiateurs dans la ville

À Evere, des médiateurs de rue interviennent de jour comme de nuit

À Evere, l’association Egregoros arpente les trottoirs, de jour comme de nuit. Ces médiateurs veulent créer du lien social et apaiser les tensions. Le service fait des émules. Mais il soulève quelques questions relatives à la place accordée aux jeunes dans la commune.

La cité de logements sociaux Germinal, à Evere, est assez calme. En ce mardi soir, de vieilles dames promènent leurs chiens pomponnés à quelques mètres d’une poignée de jeunes qui s’assoient sur l’herbe, profitant de l’été indien. Leur journée d’école est terminée. Malgré ce calme apparent, la cohabitation n’est pas tous les jours aussi douce qu’une gentille bluette. « Il y a un choc générationnel, témoigne Moussa Touijri, éducateur à la maison de quartier. Il y a beaucoup de jeunes et de seniors. Il faut parfois canaliser les tensions. » Les immeubles de la cité sociale forment un rectangle enserrant les carrés de verdure et les espaces conviviaux. Comme une caisse de résonance. Lorsque les habitants se plaignent du bruit ou d’autres nuisances, ils n’appellent plus la police mais l’association communale Egregoros.

Une association de médiation, comme un baume apaisant. Son but : éviter que les conflits ne dégénèrent. Mehdi et Nabih, comme les douze autres médiateurs de l’association, parcourent les quartiers d’Evere, de jour comme de nuit. « Nous intervenons pour des problèmes très variés, explique Mehdi. Des problèmes de couples, des conflits de voisinage, des tensions autour d’un groupe de jeunes. Nous sommes comme un tampon. »

Il y a dix ans, l’association faisait ses premiers pas. Au début, la présence des médiateurs n’était pas vue d’un très bon œil. Mehdi s’en souvient très bien : « Les gens pensaient qu’on allait être dans la répression. Nous avons expliqué tranquillement notre rôle, qui est celui d’écouter les doléances, puis d’aller sur les lieux, d’écouter les différentes versions. De dénouer les problèmes. Au bout d’un moment on nous a fait confiance. Nous nous sommes rendu compte que les tensions étaient souvent liées à des problèmes de communication. »

« Nous sommes un peu des grands frères »

Pour une bonne partie de l’équipe d’Egregoros, les quartiers d’Evere n’ont pas de secret. Nabih a grandi à la cité sociale Picardie, non loin de Schaerbeek. « Du coup, les jeunes voient ma présence un peu comme celle d’un grand frère, dit-il. Car notre approche est de discuter, pas de sanctionner. »

Sur le terrain, le travail d’Egregoros semble apprécié. Pour Moussa Touijri, la présence d’une équipe de médiateurs, « c’est nickel. Les jeunes les connaissent, donc c’est plus facile que d’avoir une équipe de police qui arriverait avec des gyrophares ». Une façon de voir que confirment Sofiane et Mick, deux grands ados de la cité. « On connaît Egregoros, ils viennent quand on fait trop de bruit, dit l’un. » « On les respecte, dit l’autre. Car d’un côté ils représentent un peu une autorité, mais de l’autre, ils comprennent qu’on a besoin de liberté. »

Nos deux médiateurs volants estiment que travailler à Evere est assez confortable. « Car le mélange entre les générations, entre les gens de différentes origines se passe bien. »

Evere en quelques données

Evere est une commune de taille moyenne, environ 37 000 habitants. Dans le dernier « monitoring des quartiers » de Bruxelles, datant de 2010, on y lisait que la commune était « caractérisée par une population au profil socio-économique de classe moyenne » et au « taux de chômage inférieur à la moyenne bruxelloise ». Une commune où « la proportion de jeunes augmente plus rapidement que dans le reste de la région » et où « le logement social constitue une part plus importante » que dans les autres communes de Bruxelles, pouvant induire des « tensions » héritées de « l’urbanisme fonctionnaliste ».

L’association est un peu à part dans le paysage bruxellois. Certes, à l’instar des médiateurs et autres agents de prévention qui fourmillent dans la capitale, leur mission est aussi de « lutter contre le sentiment d’insécurité ».

Mais contrairement aux autres, l’association propose un service de jour et de nuit. Des médiateurs sont sur le terrain jusqu’à deux heures du matin. Les habitants de la commune peuvent appeler un numéro vert pour faire appel à l’équipe.

L’asbl « travaille en étroite collaboration avec de multiples partenaires », explique Marc De Decker, le coordinateur. Des partenaires souvent liés à la commune : éducateurs de rue, CPAS, et même la police. Des suivis individuels sont parfois entamés, notamment pour des jeunes, « en contact avec les écoles, parfois le service d’aide à la jeunesse ». Mais généralement, l’association propose une orientation vers des services adaptés. Marc De Decker pense que son association est une « réponse citoyenne à un problème citoyen ». Un des effets positifs qu’il note est « le nombre d’appels à la police pour tapage qui a fortement diminué ».

Présence rassurante de jour comme de nuit, numéro gratuit, maraudes et médiation en vue de recréer du lien social sont les ingrédients du cocktail Egregoros. Un cocktail qui fait des émules. Des universitaires québécois, spécialisés dans la question des bandes urbaines, ont rendu une visite à nos médiateurs, intéressés par cette façon de créer du lien. L’expérience inspire Bruxelles-Ville ou la commune d’Ixelles.

Quelle place pour les jeunes à Evere ?

Au sein du conseil communal, même l’opposition estime que les activités d’Egregoros sont positives. Toutefois, comme toujours en matière de prévention à la sauce communale (donc en partie financée par le ministère de l’Intérieur), ce n’est pas qu’un concert de louanges qui accompagne les médiateurs.

Selon Youssef Yzarzar, éducateur spécialisé, « ce service est mal perçu par la jeunesse car ses missions sont très ambiguës, les jeunes les assimilent à la police et les rapports sont très limités ». L’éducateur reconnaît bien que le service « a son utilité, même s’il reste méconnu de la population. Il se diversifie en apportant un soutien de long terme à certaines familles ». Youssef Yzarzar n’offre pas pour autant un blanc-seing à l’association. Il pointe d’autres faiblesses : « Un manque de formation des médiateurs, un manque de travail de rue et un manque de cadre pédagogique. » Des critiques que récuse Marc De Decker : « Notre approche est loin d’être policière même si chacun a sa responsabilité dans la tranquillité publique, les jeunes également. Quant aux médiateurs ils suivent une formation longue de deux mois à temps plein. »

Egregoros est une asbl généraliste. Il n’empêche, un tiers de ses interventions concernent des jeunes. L’association est, de fait, l’un des interlocuteurs de la jeunesse à Evere. Une commune qui ne compte curieusement aucune maison de jeune.

La politique jeunesse d’Evere, que les Ecolos locaux qualifient « d’inexistante », se limiterait-elle à une approche en termes de gestion du sentiment d’insécurité via Egregoros et les éducateurs de rue ? Que nenni, nous répond Joseph Corten, échevin à la Prévention d’Evere : « Nous avons plutôt fait le choix d’ouvrir des maisons de quartier qui accueillent toutes les générations. » Quelques objections subsistent malgré tout, que résume Youssef Yzarar : « Le problème avec les maisons de quartier est qu’elles dépendant du service prévention qui dépend du contrat de prévention du ministère de l’Intérieur… qui ne possède aucune mission dédiée à la jeunesse. »

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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