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Regard critique · Justice sociale
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«Et toi, t’es parti où?» J’imagine que vous n’avez pas pu échapper à cette phrase rituelle à votre retour de vacances… Mais cet été, entre guerre en Ukraine, hausse des prix de l’énergie et dérèglement climatique, difficile d’échapper à celle-là: «Et toi, t’es parti comment?» La bonne réponse est généralement de citer le vélo, le train, et d’éviter surtout de mentionner la voiture et encore plus l’avion, notamment s’il s’agit d’une compagnie aérienne à bas coût. Sur les réseaux sociaux, en cette période estivale, c’était flagrant, notamment de la part d’élus qui listaient ainsi urbi et orbi leurs modes de mobilité douce pour se rendre sur leur lieu de villégiature. C’était beau, frais, moderne, quoi. Qu’on ne s’y méprenne pas, il ne s’agit pas de remettre en cause dans cette chronique l’usage du vélo ou du train, loin de là. Mais, derrière ce beau discours, une vraie question politique semblait manquer à leur superbe diaporama, celle de ceux qui ne partent pas en vacances, à savoir un Belge sur cinq. C’est ce qui ressort des derniers résultats de l’enquête sur les revenus et les conditions de vie de 2021 relayés par Statbel. Les différences régionales sont importantes, là aussi: en Wallonie et à Bruxelles, cela concerne 30,6% et 28,2% de la population, tandis que seuls 13,2% de la population flamande sont concernés par cette privation.

Les raisons de ce non-déplacement sont sanitaires, sociales, mais surtout financières, et ce, alors qu’il existe des compagnies aériennes à bas prix, des campings peu chers… Loin d’être anecdotique, et à côté de pouvoir chauffer convenablement son domicile, de faire face à une dépense imprévue ou de s’offrir un repas composé de viande ou de poisson tous les deux jours au moins, ne pas pouvoir s’offrir chaque année une semaine de vacances hors de son domicile fait partie d’ailleurs d’un des indicateurs qui reflètent une privation matérielle et sociale sévère. Il faut sans doute s’inquiéter de ces chiffres qui stagnent d’année en année alors que la mobilité douce est devenue une injonction et, de surcroît, au moment où il faut se poser la question du sens de nos mouvements.

Car, au-delà de cette réalité toute statistique, il y a le risque de renforcer la dualité riche-pauvre, où les nantis continueront à vivre dans un monde de décloisonnement complet, tandis que les plus précaires seront assignés à résidence. C’est ce qu’on a pu voir, par exemple, à Bruxelles avec l’établissement de la zone de basse émission: les autorités pointent le problème sur la vieille voiture diesel, mais pas sur les dizaines de milliers de voitures de société qui entrent dans la capitale tous les matins. De cette manière, le droit à la mobilité est réservé à celui qui peut se payer une voiture dernier cri, sans remettre nullement en question ce mode de déplacement. Il en va aussi du tourisme, même slow, le but étant de prendre des moyens de transport à moindre empreinte carbone et de partir moins loin. Mais là encore, ce n’est pas accessible à tout le monde. Il faut du temps, de l’argent. Et comme le disait dans nos pages en juillet dernier Jean-Michel Decroly, enseignant en géographie et en tourism studies, «tant que le train restera dans certains cas plus cher que l’avion, on n’avancera pas sur ce sujet. Même le prix d’un bon vélo pour faire un bon voyage peut être plutôt élevé. Et puis louer un logement ‘écolo’ dans chaque ville où on s’arrête, c’est aussi très cher». Derrière ces clichés de voyage à vélo, en train, à deux pas de chez nous, des souvenirs que l’on regrette déjà à l’approche de l’automne, demeure une ambition, celle d’un rapport heureux à la mobilité qui reste encore à inventer.

 

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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