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Regard critique · Justice sociale

Disputes communales autour des bandes urbaines

Le projet BE+ vise à prévenir le phénomène – mal défini – des bandes urbaines. Trois communes sont parties prenantes du projet, mais leurcollaboration va clopin-clopant. Le point sur Saint-Josse.

23-05-2010 Alter Échos n° 295

Le projet BE+ vise à prévenir le phénomène – mal défini – des bandes urbaines. Trois communes sont parties prenantes du projet, mais leurcollaboration va clopin-clopant. Rencontre avec des acteurs de terrain dans l’une des trois communes concernées : Saint-Josse.

Les bandes de jeunes, ça fait des décennies qu’on en parle et qu’elles font peur. Dans les communes bruxelloises, on les appelle « les bandes urbaines ». Afin de lescontrer, ou d’en prévenir l’apparition, un projet pilote a été mis en place grâce à la Politique des grandes villes. Nom de code : BE+. Ce dernier a pour ambition detranscender les frontières communales afin d’appréhender le phénomène des bandes dans leur complexité territoriale. C’est pourquoi Bruxelles-Ville, Evere etSaint-Josse ont uni leurs efforts à des associations locales pour se lancer dans ce projet de prévention. Mais les bandes urbaines, c’est un concept qui sonne un peu creux, un raccourcivers la délinquance. Pour Christine Pauporté, fonctionnaire prévention à Saint-Josse1, commune partenaire du projet BE+, « les bandes urbainesliées à la délinquance, c’est en partie fantasmé mais il existe une réalité, des jeunes d’origine subsaharienne qui se regroupent et, parfois, franchissentcertains seuils de violence, mais nous préférons appeler ce projet « développement d’identité culturelle », car c’est le cœur de notre action. ». Ce légerflou est par ailleurs admis par l’administration de la Politique des grandes villes qui souligne que le projet BE+ doit justement aider à mieux cerner le phénomène des «bandes urbaines », un terme qui doit encore faire l’objet d’une définition et d’un état des lieux.

Des problématiques identitaires

À Saint-Josse, la cellule prévention travaille main dans la main avec l’observatoire Ba Ya Ya2. Cette association est partenaire de la commune depuis des années.Avant BE+, ils ont mis en place un projet qui tente d’affronter la problématique des bandes urbaines, grâce à un « tutorat scolaire » des adolescents à risque.Selon Mireille Robert, coordinatrice adjointe à la cellule scolarité de la Commune de Saint-Josse, « Ces adolescents sont en souffrance intensive, ils se replient dans desgroupes. On constate de nombreux suicides parmi eux et parfois des crimes. »

À en croire l’équipe de Saint-Josse, les bandes urbaines seraient essentiellement constituées de jeunes d’origine subsaharienne. Un diagnostic qui peut gêner auxentournures car la communautarisation de tels enjeux n’est pas sans danger de stigmatisation. Cet argument est réfuté par Mireille Robert : « Nous avons analysé lasituation et il est clair qu’il y a des problématiques sociales communes aux jeunes d’origine subsaharienne, notamment liées à l’identité. » La clé del’analyse de l’observatoire Ba Ya Ya se situe dans cette explication culturelle. Ngyess Lazalo Ndoma, coordinateur de projet à l’observatoire : « Ici, à partir des années’70, les migrants africains n’avaient pas de statut officiel, parfois ils ont dû changer de nom et il a fallu qu’ils vivent dans des conditions difficiles. Souvent, ils n’avaient pas le tempsde s’occuper des enfants. » Pas d’anciens enfants soldats donc, mais des jeunes nés ici avec une carence identitaire. C’est aussi le passé colonial qui est pointé du doigtpar Ngyess Lazalo Ndoma. Selon lui, l’absence de travail de mémoire est une cause qu’il ne faut pas négliger : « si onze des douze décès dus à des violencesentre bandes, ici en Belgique, concernent des jeunes d’origine congolaise, ce n’est pas anodin. » Toutes ces supposées « spécificités des bandes de jeunes d’origineafricaine » seraient dues, selon Christine Pauporté à « une superposition de problèmes sociaux, de non-dits et de problèmes d’acculturation ».

Le mouvement s’est enrayé

Le projet « tutorat scolaire » ne s’adresse pourtant pas uniquement aux jeunes d’origine subsaharienne, « mais il s’agit de l’essentiel des jeunes qui y participent », nousaffirme Mireille Robert. Ce projet est le « socle structurel de notre travail sur les bandes urbaines », renchérit Christine Pauporté. Lorsque des jeunes, à partir dedouze ans, viennent nous voir, un entretien est mené pour repérer les jeunes « à risque ». Leur faire reprendre le chemin de l’école fait partie des objectifsofficiels des tuteurs. Mais la scolarité, aux dires de Christine Pauporté, « n’est qu’un prétexte pour savoir comment le jeune se situe, comment il se sent, comment il voitl’avenir. »

Les tuteurs sont des référents qui ont un pied dans l’école, un pied dans la famille et un pied dans la rue, dans les parcs. Ils connaissent les jeunes et les groupes, ilsréalisent parfois des médiations. Finalement, nous confie Mireille Robert, « on travaille sur l’affectif des jeunes, on essaie de recréer du lien, de revenir aux chosessimples avec une personne qui s’inquiète pour eux. Il y a aussi une part plus visible dans notre travail qui consiste à courir dans les parcs pour tenter d’empêcher des drames». Les jeunes qui participent au programme sont parfois rencontrés lors des « zonages » de l’observatoire. Les « zonages » sont une recherche active, de jourcomme de nuit, de ces jeunes gens perdus, dans les ruelles ou les parcs.

L’an passé, ce sont environ 80 jeunes qui ont participé au programme « tutorat ». Pour cette équipe, fière de sa méthode, les résultats sontencourageants. Christine Pauporté se fait plus explicite : « Je constate que lors des derniers drames, les jeunes de Saint-Josse n’étaient pas concernés. Nous ne sommes pasà l’abri, mais pour l’instant, le mouvement est enrayé. » Oui, mais voilà, si les jeunes de Saint-Josse ne sont plus concernés (pour l’instant), leséventuelles rivalités dépassent les frontières des communes. C’est grosso modo l’idée du projet BE+ : agir de manière transversale, entre communes.

« Nous n’arrivions pas à nous entendre »

Lorsqu’on évoque le projet BE+, la confusion s’installe. À en croire la cellule prévention de Saint-Josse, l’idée de BE+ est née dans les têtes del’observatoire Ba Ya Ya. Christine Pauporté nous l’explique : « À la base, on a Ba Ya Ya qui veut travailler sur la problématique de la crise identitaire et desviolences de groupe au niveau de la région bruxelloise, car le niveau communal n’est pas adapté à la réalité de terrain. Après un intense lobbyingauprès du cabinet de Marie Arena, alors ministre en charge de la Politique des grandes villes, Ba Ya Ya a pu obtenir un accord de principe. L’idée originelle était de travaillerensemble, entre communes, à la réalisation d’activités concrètes, tout en renforçant le travail des associations de terrain. » Pour commencer àtravailler, les trois communes ont d&ucirc
; se concerter afin de définir, dans un texte commun, les objectifs de ce projet transcommunal sur les « bandes urbaines ».

Et les choses ont commencé à se gâter. Selon Christine Pauporté, « le texte est volontairement flou, car nous n’arrivions pas à nous entendre. Il permetà chaque commune de travailler dans son coin. L’esprit du projet s’est perdu. Pour nous, BE+ n’est, dans la réalité, qu’un renforcement du projet tutorat. » D’aprèsl’observatoire Ba Ya Ya et Christine Pauporté, Bruxelles-Ville et, surtout, Evere, n’ont pas souhaité travailler avec l’observatoire Ba Ya Ya. Elles auraient donc exigé depouvoir travailler au niveau local avec des associations de leur choix dont l’éthique et la compréhension des enjeux sont remis en cause à demi-mot par les responsables del’observatoire Ba Ya Ya. Conséquence : le projet de travail en commun ne fonctionne pas, chacun expérimente dans son pré carré. À croire que les communes et «leur » association reproduiraient au niveau institutionnel les querelles des bandes de jeunes qu’elles sont censées prévenir. Du côté de l’administration, on ignoreces bisbilles qui remettent en cause la crédibilité du projet et on préfère rappeler que BE+ en est encore à une phase d’élaboration. Quant àl’origine du projet, on la trouverait dans un voyage d’études, au Canada.

Le projet BE+, censé éclairer les pouvoirs publics sur la réalité des bandes urbaines, boitille donc légèrement. De nombreuses zones d’ombre subsistentqu’Alter Échos tentera d’éclairer dans un prochain numéro : que pensent les responsables prévention des autres communes du projet BE+ (retenues à Paris enformation elles n’ont pas pu répondre à nos questions) ? Est-il vrai que le projet a été sciemment rédigé de manière vague pour permettre àchaque commune d’agir comme elle l’entend ? Au-delà, beaucoup d’inconnues subsistent : comment mettre en place des projets visant à juguler un phénomène – «les bandes urbaines » – qui n’est analysé, défini et quantifié nulle part ? Quel rôle jouent les associations dans la définition et l’application de BE+? Les analyses à tendance identitaires de l’observatoire Ba Ya Ya, sont-elles partagées par les autres acteurs ?

1. Médiation et aide juridique, Maison de la prévention :
– adresse : rue Brialmont, 23 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 210 44 56
2. Observatoire Ba Ya Ya :
– adresse : chaussée de Louvain, 296 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 733 44 59
– site : http://observatoirebayaya.blogspace.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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