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Regard critique · Justice sociale

Maitre Corbeau

Des faillites, pas encore comme s’il en pleuvait

Avec la levée du moratoire sur les faillites, on craint le pire dans les mois à venir, dans les tribunaux de l’entreprise. Les prévisions pour 2021 en matière de faillites, selon le bureau d’études Graydon, s’élèvent à 50.000, en plus des 10.000 faillites habituellement enregistrées chaque année. Soit cinq fois plus pour cette année, qui pourrait s’avérer une annus horribilis. Mais jusqu’ici, cela reste assez calme, malgré une hausse observée en janvier.

Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles (TEFB), boulevard de Waterloo. Salle A, audience des faillites. La salle d’audience est assez dépeuplée et les avocats se succèdent mais avec de larges plages d’interruption, où la présidente du tribunal et les juges consulaires, juges non professionnels issus du monde de l’entreprise, conversent dans l’attente de l’affaire suivante. Une confrère journaliste de BX1 et sa collègue réalisatrice ont installé leurs caméras et micros dans la salle d’audience. L’objectif: prendre le pouls des affaires qui se présentent devant ce tribunal, en période Covid.

Un calme un peu inquiétant

Peu de monde, commentent les magistrats: «C’est particulièrement calme aujourd’hui, plus que d’autres jours depuis le début de l’année.» Il faut savoir que l’an dernier, en 2020, le chiffre des faillites traitées devant le TEFB a fortement diminué. 2.618 faillites en 2019, moitié moins en 2020. Jusqu’à fin janvier 2021, un moratoire sur les faillites avait été édicté pour protéger les entrepreneurs.

Il a été levé le 31 janvier, de manière à ne pas laisser subsister des entités économiques en vie, alors qu’elles sont exsangues. Mais un moratoire tacite est de facto encore appliqué par les autorités publiques, telles que le fisc ou l’ONSS, dans l’attente d’une réforme de la procédure de réorganisation judiciaire. Cette procédure doit permettre de trouver des arrangements entre créanciers non payés et entreprises défaillantes, avec des étalements ou des remises de dettes afin de permettre aux entrepreneurs de souffler. Mais elle n’est pas adaptée aux petites entreprises et doit subir un lifting pour la rendre plus accessible. Dès lors, une réforme en cours depuis… juin 2020 doit être finalisée. Donc les demandes de faillites que les créanciers peuvent solliciter du tribunal sont encore limitées.

2.618 faillites en 2019, moitié moins en 2020. Jusque fin janvier 2021, un moratoire sur les faillites avait été édicté pour protéger les entrepreneurs.

Certains prennent les devants

Ce matin-là, la majorité des affaires traitées concernent des entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise Covid et qu’il n’est pas indiqué de laisser persister plus que de raison. Les affaires sont rapidement évoquées, l’avis de la procureure du Roi, sollicité et le plus souvent favorable pour déclarer la faillite, ou encore la dissolution.

Un entrepreneur se présente en personne pour expliquer son affaire, mais on sort clairement des clous de l’entreprise dite classique. L’homme se déclare assistant social dans le secteur de l’aide à la jeunesse, mais se dit également artiste et a collaboré en 2016 à la diffusion de la pièce Jihad, créée par Ismail Saidi. Ayant dans un premier temps l’idée de créer une asbl pour accueillir son activité d’acteur et de diffuseur, un producteur lui conseille plutôt de reprendre une coquille vide de SPRL. Le quidam s’étant fait embarquer dans une entreprise qui le dépasse, et dont il néglige les aspects administratifs, le voilà imposé d’office et doit payer quelque 12.000 de dettes, d’amendes et intérêts au fisc, à la TVA et à d’autres créanciers. Ayant payé tout ce qu’il devait, il demande au tribunal de déclarer la faillite pour être quitte de cette malheureuse aventure. Il obtient gain de cause et repart visiblement soulagé, en jurant qu’on ne l’y reprendrait plus.

Pour une affaire plus directement liée au Covid cette fois, un autre entrepreneur se présente également sans avocat, pour expliquer sa situation. Son restaurant situé à Ixelles, sous statut de franchise, est fermé depuis le second confinement, et les dettes ne cessent de s’accumuler. «Déjà, avant le Covid, la situation n’était pas fameuse. Mais là, moi et mon associé ne pouvons plus couvrir les dettes de loyer, de fournitures d’énergie comme un puits sans fond.» Tout le monde s’accorde sur cette solution de la faillite, mais il s’agit de pouvoir licencier les six employés qui étaient jusqu’ici en chômage temporaire. «N’étant pas en ordre de paiement envers mon secrétariat social, celui-ci refuse d’émettre les C4 nécessaires pour ouvrir un droit au chômage. Comment dois-je m’y prendre?» La présidente lui explique qu’il peut procéder lui-même à cet envoi de documents: «Sur le site de l’ONEm, vous trouverez les formulaires types. Cela ne demande pas un formalisme excessif.» Pas sûr pour autant que l’homme soit vraiment capable de se débrouiller seul: ce restaurant n’était pas son activité principale et il ne semble pas très au fait des procédures.

Également devant le juge de paix

Autres litiges connexes qui éclosent, cette fois devant les juges de paix: des conflits entre propriétaires et locataires de locaux commerciaux pour lesquels les loyers n’ont pas été payés, faute de trésorerie. Certains avocats préconisent aux entrepreneurs de plaider la force majeure pour suspendre ou mettre fin au contrat, étant donné l’impossibilité d’exploiter le local loué. En cause les arrêtés ministériels successifs, imposant d’abord la fermeture de tous les magasins non essentiels et ensuite de certains commerces spécifiques. 

Ce matin-là, la majorité des affaires traitées concernent des entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise Covid et qu’il n’est pas indiqué de laisser persister plus que de raison.

Une telle jurisprudence n’est certes pas la plus courante. La plupart du temps, les juges de paix tentent de concilier les points de vue entre bailleurs et locataires. Le juge de paix d’Ixelles a quant à lui une jurisprudence personnelle, liée à des accommodements pour le paiement des loyers de retard. Ce matin, sont présents devant le juge: un avocat qui représente une société immobilière qui loue un salon de coiffure africaine du côté de Matongé et le tenancier du salon. Les loyers n’ont plus été versés depuis plusieurs mois et la dette s’élève à 3.460 euros. Le locataire qui exploite le salon de coiffure explique qu’il a déjà payé une partie de la dette, qu’il a pu reprendre son activité depuis le 13 mars, mais que son activité est assez calme. L’avocat du bailleur reprend sa plaidoirie en argumentant que la police est intervenue à plusieurs reprises dans le salon, car celui-ci recevait des clients malgré l’interdiction. Il devait donc avoir les moyens de payer ses loyers.

Le juge de paix n’en tiendra pas compte: il enjoint au tenancier du salon de coiffure de persévérer, de payer désormais son loyer sans défaut et lui octroie un étalement du paiement de ses dettes de loyer sur 24 mois, histoire de ne pas l’étrangler malgré la reprise, officielle cette fois…

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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