Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Logement

Logement wallon : Des clés pour les plus précarisés?

Chèque-habitat, fonds de garanties locatives, réforme des systèmes d’attribution des logements publics… la politique wallonne du logement va être rénovée en profondeur au cours de cette législature. Les plans sont dessinés et suscitent plutôt des commentaires élogieux de la part du mouvement associatif. Brève esquisse de quelques réformes annoncées.

Découvrez la revue sous format papier & PDF pour 6€. Envoyez un mail avec «AE 413 + votre adresse » à mmx@alter.be

Tout le logement en Wallonie n’est pas dans l’état du château de Noisy (Celles). Et c’est heureux…

Chèque-habitat, fonds de garanties locatives, réforme des systèmes d’attribution des logements publics… la politique wallonne du logement va être rénovée en profondeur au cours de cette législature. Les plans sont dessinés et suscitent plutôt des commentaires élogieux de la part du mouvement associatif. Brève esquisse de quelques réformes annoncées.

L’ampleur des inégalités dans l’accès au logement est connue mais les chiffres restent saisissants. Pour les locataires, la part consacrée au logement représente en moyenne 40,8% du budget des ménages. Le loyer privé moyen est de 564 euros contre 256 dans le logement public. Les familles monoparentales représentent 11,6% des ménages wallons mais 2,8% des ménages propriétaires. L’accès au logement privé est un parcours semé d’embûches pour les plus précarisés: difficulté de constituer une garantie locative, discrimination sur la base du revenu, accès quasi impossible au prêt hypothécaire. Et pour le secteur public, il suffit de se souvenir qu’on estimait, le 1er avril 2015, à 39.000 le nombre de candidats locataires enregistrés.

«(…) confier aux SLSP une mission de promoteur immobilier, est-ce vraiment leur tâche ?», Anne Leclercq, RWLP

La réforme du logement public est considérée comme une urgence absolue. Le système d’attribution est jugé «opaque» par le gouvernement wallon et empêche de prendre en considération «la dimension humaine des dossiers de candidatures». Parmi les réformes annoncées: la disparition des catégories de logement (transit, insertion) pour favoriser le «bail glissant» permettant aux personnes de rester dans leur logement même si leur statut change. «C’est très positif, estime Anne Leclercq pour le Rassemblement wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP). On ne fait plus déménager les gens, cela montre un plus grand respect de la personne.» Par contre, le RWLP est beaucoup plus circonspect sur l’impératif de mixité «par le regroupement des catégories précaires et modestes». Anne Leclercq craint un écrémage en défaveur des plus pauvres et surtout s’interroge sur les moyens financiers qui seront mis à la disposition du logement public. Rien n’est prévu pour financer les six mille logements publics promis par le ministre wallon du Logement Paul Furlan. «Et à propos de l’idée de confier aux SLSP une mission de promoteur immobilier, est-ce vraiment leur tâche?»

L’accès à la propriété privée. Pour favoriser l’accès à l’acquisition d’un logement privé ou public par les plus bas revenus, le Plan wallon de lutte contre la pauvreté propose d’augmenter l’offre en matière de prêts hypothécaires sociaux. Une piste est celle d’un système de «location habitation» qui permettra aux jeunes de moins de 30 ans d’acheter un logement dans les sociétés de logement public «après l’avoir loué pendant une période définie». Lionel Wathelet, coordinateur de projets à Solidarités nouvelles, s’interroge: «Et qu’en est-il des familles, des pensionnés précaires qui ne pourront pas bénéficier de ce type de mesure? Pour rappel, la Wallonie manque cruellement de logement public locatif.»

Une autre piste est celle de l’Access Pack, un prêt hypothécaire dont le taux dépend du revenu imposable. Il sera disponible pour les personnes dont les revenus imposables ne dépassent pas 51.300 euros. Mais cette politique d’encouragement à la propriété ne convainc pas tout le monde. Disposer de son logement est certes une garantie d’avoir un toit, de ne pas avoir à payer un loyer sur sa pension, constate le Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat (RWDH). Mais cela suppose aussi de pouvoir assurer l’entretien du logement pour le maintenir en bon état. Et cette réflexion vaut aussi pour le chèque-habitat qui sera lancé par la Région wallonne dès le 1er janvier 2016.

Concernant le chèque-habitat, 96% des Wallons y auront accès. Pour le RWDH, ce chèque-habitat ne cible donc pas assez les plus défavorisés.

Le chèque-habitat adapte le soutien financier de la Région en le liant de manière inversement proportionnelle au revenu du ménage. Il comprend une partie fixe, liée au nombre d’enfants et une partie variable dégressive en fonction du revenu. Il sera donc toujours individualisé. Est-ce une bonne mesure pour les ménages wallons les moins fortunés? De l’avis des experts, la formule est en tout cas plus «juste» socialement que le bonus logement (condamné à disparaître). Le RWDH semble partagé. «C’est un message pour plus d’équilibre et de soutien aux ménages les moins nantis, aux familles monoparentales, un message dont on ne peut que se réjouir.» Mais… les critères d’accès sont trop larges: 96% des Wallons y auront accès, reconnaît le cabinet de Paul Furlan. Pour le RWDH, ce chèque-habitat ne cible donc pas assez les plus défavorisés. Il présente l’avantage de s’inscrire dans d’autres mesures comme la révision des primes énergie et rénovation (Écopack, Renopack), elles aussi réorientées vers les revenus les plus faibles. Mais les associations pointent deux failles: l’absence d’un volet «accompagnement» des ménages et une enveloppe budgétaire sérieusement réduite.

Le sort des locataires dans le logement privé n’est évidemment pas oublié dans le Plan wallon de lutte contre la pauvreté, au contraire. Et tant le RWDH que Solidarités nouvelles ou le RWLP soulignent des avancées parfois importantes, parfois plus timides. La grille indicative des loyers fait partie de ces dernières. Le gouvernement wallon va établir un contrat de bail type et une grille indicative de référence des loyers dont le respect conditionnera les aides publiques en matière de rénovation et d’isolation. «On aurait voulu un contrôle des loyers, reconnaît Christine Mahy, secrétaire générale du RWLP. Mais le lobby des propriétaires est très puissant. Alors, d’accord pour une ‘grille’ à condition de la faire aboutir. Pour cela, il faut développer les commissions paritaires locatives qui sont des lieux de médiation entre propriétaires et locataires. Ces commissions seraient alors le lieu de vérification du respect de la grille de référence. Le problème reste celui de l’incitant pour que le propriétaire la respecte.»

Les commissions paritaires locatives ont existé dans les grandes villes lorsque le fédéral gérait encore l’ensemble de la politique du logement et «elles avaient fait leurs preuves», explique Christine Mahy. On les retrouve dans le Plan wallon de lutte contre la pauvreté où l’on évoque le rôle important qu’elles «peuvent jouer» comme lieu de concertation et d’échange. «Étonnant, cette prudence, commente la secrétaire générale du RWLP. Est-ce une prudence de type budgétaire? Ces commissions sont des espaces de médiation intéressants.» Pour Solidarités nouvelles, ces commissions sont «une excellente idée» mais «qui les portera? Avec quelle représentativité et avec quels moyens?».

(Sur le Fonds de garantie locative) «Pour que ça marche, il faut que ce fonds soit obligatoire et universel. Que tous les locataires passent par là, pas seulement les pauvres.» Christine Mahy

Le fonds régional de garanties locatives. C’est, de loin, la mesure la plus applaudie. «C’est encourageant de voir qu’une vieille idée d’une série d’acteurs du monde du logement soit enfin reprise et ait pour vocation de voir le jour sous l’actuelle législature», souligne Lionel Wathelet. De fait, le gouvernement wallon s’engage à mettre ce fonds en place pour le 1er janvier 2017. Il doit permettre la constitution de la garantie locative, qui est un sérieux
obstacle au droit au logement, analyse Christine Mahy. Le gouvernement veut, avec ce fonds régional, permettre à tous les locataires de bénéficier du même système de constitution de garanties locatives, ce qui facilitera l’acceptation de publics précaires par les propriétaires. «C’est le plus important, dit la secrétaire générale du RWLP. Pour que ça marche, il faut que ce fonds soit obligatoire et universel. Que tous les locataires passent par là, pas seulement les pauvres.»

Les enquêteurs-mystère. Le gouvernement wallon veut lutter contre les discriminations dans le logement qui touchent de plus en plus les plus précarisés. Parmi les mesures envisagées, il y a celle des «contrôles-mystère». Des enquêteurs, clients locataires fictifs, viendront vérifier le respect des règles de non-discrimination dans le logement. «L’administration wallonne va gérer ces enquêtes dès le premier trimestre 2016», nous précise le cabinet de Paul Furlan qui rappelle que ce type de contrôle est promu par le Centre pour l’égalité des chances. Dans son rapport annuel de 2014, le Centre encourage en effet des actions comme les «clients-mystère» après avoir constaté l’ampleur des discriminations, surtout sur la base des revenus, chez les agents immobiliers. Dans le monde associatif, on n’est paradoxalement pas très enthousiaste. Et même plutôt hostile du côté du Rassemblement wallon de lutte contre la pauvreté qui avait déjà été approché en ce sens par le SPF Intégration sociale pour vérifier le comportement de certains CPAS. Christine Mahy dit ne pas aimer ce genre d’initiative «piégeante» quand elle émane des pouvoirs publics «même si c’est pour la bonne cause». «Quel est l’intérêt de mettre des moyens financiers pour ce genre d’enquête? On sait par ailleurs que les expériences menées dans ce domaine n’ont rien donné d’efficace en termes de lutte contre la discrimination.» «Je ne vois pas bien ce que cela va apporter, ajoute Lionel Wathelet. On connaît la gravité des discriminations à l’égard des chômeurs ou des allocataires sociaux. Il serait plus utile de renforcer des dispositifs pour les protéger.»

Pour le RWLP, pas de problème par contre pour organiser des plans ciblés de communication à destination des propriétaires et des agences immobilières, comme le prévoit le plan wallon. Ces séances d’information seront un rappel de la loi, nous précise le cabinet de Paul Furlan. Elles concerneront aussi les agences immobilières sociales (AIS). Agir sur les AIS et les sociétés de logement public pour lutter contre les discriminations est bien nécessaire, estime Solidarités nouvelles.

Ce qui manque. «Des sous», nous disent tous nos interlocuteurs. Ou en tout cas la certitude de disposer des moyens financiers pour rendre le Plan wallon de lutte contre la pauvreté vraiment opérationnel. Par ailleurs, malgré les avancées indéniables que contient le PWLP pour les plus défavorisés, Christine Mahy constate que le gouvernement wallon reste encore trop dans une logique acquisitive et n’est pas assez innovant dans les mesures de protection des locataires. «Être propriétaire, ce n’est pas nécessairement la meilleure réponse pour les plus pauvres. Il ne faut pas pousser les gens à acheter n’importe quoi. Beaucoup continueront à rester locataires. Et que fait-on pour eux? Où en est-on dans les allocations-loyer? On pourrait imaginer des allocations-loyer en fonction des revenus ou alors des allocations qui soient un «différentiel» par rapport au loyer d’un logement public auquel le locataire aurait droit. Qu’a-t-on prévu pour les locataires expulsés pour des raisons d’insalubrité?» Même analyse chez Lionel Wathelet: «Il n’y a aucun questionnement sur les effets néfastes des procédures visant les bâtiments insalubres ou inoccupés. Plus qu’une aide à la pierre, nous réclamons le soutien à tout ce qui peut promouvoir l’habitat collectif, les processus légaux qui permettent aux locataires de s’associer pour louer mieux, autrement.»

Le plan wallon est muet sur toutes les formes alternatives de logement comme le Community Land Trust, l’habitat léger, la colocation ou le cologement, constate Christine Mahy: «Chaque fois que nous évoquons cette question, le ministre nous répond ‘pas maintenant’», déplore-t-elle.

«Pas maintenant mais bientôt», nous assure son cabinet. Celui-ci promet pour le premier semestre 2016 un «pacte de colocation» qui contiendra une reconnaissance juridique des colocations «ne sanctionnant pas les cohabitants». À suivre donc.

Alter Echos n°396 : «Paul Furlan: «Remettre du bon sens dans l’organisation du logement public»», Amélie Mouton, 3 février 2015

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)