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Crise du logement dans les grandes villes du Québec : résorbée ou transformée ?

Depuis 2001, une pénurie de logements abordables a affecté les familles à faibles revenus au Québec. Ses causes ? D’une part, au plan politique, le gouvernementfédéral a coupé les subventions au logement. D’autre part, au niveau sociologique, on constate une mode de plus en plus grande pour l’achat d’un logement. Laconséquence ? Une flambée des prix. Voilà les ingrédients de base pour une crise du logement, dénoncée par plusieurs, et que nul n’arrive àrésorber.

16-06-2006 Alter Échos n° 210

Depuis 2001, une pénurie de logements abordables a affecté les familles à faibles revenus au Québec. Ses causes ? D’une part, au plan politique, le gouvernementfédéral a coupé les subventions au logement. D’autre part, au niveau sociologique, on constate une mode de plus en plus grande pour l’achat d’un logement. Laconséquence ? Une flambée des prix. Voilà les ingrédients de base pour une crise du logement, dénoncée par plusieurs, et que nul n’arrive àrésorber.

Loin des caméras

De quelle crise du logement parle-t-on ? Il s’agit d’une pénurie de logements locatifs en général et surtout de logements accessibles financièrement auxfamilles à faibles revenus. Maintenant que les médias s’en sont désintéressés, certains croient que la crise est terminée. « La crise du logementest moins populaire, moins médiatique qu’il y a quelques années. Mais il y a encore des familles qui se trouvent à la rue. Il y a des luttes qui se font désormaisloin des caméras », affirme François Saillant du Front d’action populaire en réaménagement urbain (Frapru)1. Ce regroupement national, acteurcentral dans le débat public sur le logement, est actif depuis 26 ans pour le droit au logement et regroupe la majorité des comités logement et des associations de locatairesà Montréal.

Comme le rappelle M. Saillant : « Certains disent que la crise du logement se résorbe. Mais il faut se demander qu’est-ce qui est à louer et à quel prix ? Est-cequ’une famille de cinq enfants peut arriver à se loger dans un studio ?» « Seulement 0,4% des logements vacants coûtent moins de 700 dollars canadiens. » Et ilpoursuit : « Pour les gens à faibles revenus, la crise n’est pas finie. Les prix de loyers ont augmenté de 22 % en 5 ans. Alors que 30% des revenus devraient êtreconsacrés aux loyers, 111.000 personnes au Québec consacrent 80 % de leurs revenus à leur logement. »

Quant au président de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (Corpiq)2, Luc Courtemanche, il affirme : « Malgré toutes les craintes desgouvernements et des organismes ces dernières années, relativement au manque de logements, il faut reconnaître que le marché a su bien répondre à la demandeen construisant de nouvelles unités. » Créée en 1980, la Corpiq est le plus important organisme à but non lucratif de propriétaires d’immeubles àlogements. Sa mission? Promouvoir et défendre les droits économiques et sociaux de ses membres. M. Courtemanche ajoute: « La Corpiq est d’avis que la pénurie delogements au Québec est chose du passé et qu’avec un taux d’inoccupation de 2,0 % comparativement à 1,7 % en 2004, les locataires peuvent mieux respirer. Il exprimemême la crainte suivante: « On redoute que la courbe ascendante ne fasse que débuter, laissant les propriétaires aux prises avec un nombre croissant de logements vacants.»

Le Frapru rétorque dans son mémoire présenté en avril 2005 : « Ne nous y trompons pas, cette crise n’est pas terminée, malgrél’augmentation du nombre de logements locatifs, non abordables, sur le marché. Les logements à bas loyer, accessibles aux ménages à faible revenu, demeurent toujoursaussi rares. Compte tenu de la hausse marquée des loyers provoquée par la pénurie (17 % d’augmentation dans les logements avec 2 chambres à coucher de 2000 à2004), ils sont même plus rares qu’en début de pénurie. »

Les chiffres tendent à confirmer cette situation. Dans la région métropolitaine, le taux d’inoccupation des logements familiaux de 3 chambres à coucher (ch.) et plusest carrément de 0 % pour des appartements de moins de 500 $ par mois. Il remonte à peine 0,4 % dans les appartements se louant entre 500 et 700 $ par mois. À Montréal, unappartement avec 2 ch. coûte en moyenne 625 $, ce qui constitue une augmentation de 4,3% par rapport à 2004. Pour ce même loyer, un ménage en banlieue de Montréaldevra payer 575 $ et à Trois-Rivières, ville de moyenne taille, il payera 474 $. Toutefois, dans cette ville, les personnes qui se cherchent un logement avec 2 ch. devront êtrepersévérantes, seulement 0,9% demeure inoccupé.

Comme on le voit, le phénomène dépasse les limites de la métropole et affecte l’ensemble des grandes et moyennes villes du Québec. Rimouski, ville de42.000 habitants dans la région du Bas-du-Fleuve, témoigne bien de cette réalité: 0,4 % des logements sont inhabités, 0,1 % sont des logements avec 1 ch. alors que0,2 % comptent 2 chambres à coucher. Quarante pour cent des locataires payent plus de 30% de leurs revenus pour se loger. Dans la région de Sherbrooke, le taux d’inoccupation n’est quede 0,9 % pour les logements se louant moins de 500 $ par mois et de 0,6 % pour les logements se louant entre 500 $ et 550 $ par mois. Des statistiques nationales ? Sur les 1 300 000 logements auQuébec, 0,4 % des logements entre 500 $ et 700 $ sont libres et 22 000 personnes sont en attente d’une habitation à prix modique.

L’embourgeoisement des quartiers populaires

Les ménages éprouvent de plus en plus de difficultés à se loger étant donné que de nombreux logements pouvant abriter de grandes familles ontété vendus en copropriété ou transformés en plus petits logements. « il y a 30 ans, il y avait moitié locataires, moitié propriétaires.Il y a de moins en moins de locataires. Environ 60 % sont maintenant propriétaires. Ceux qui ne sont pas devenus proprios sont ceux qui n’en avaient pas les moyens », selonFrançois Saillant. Il ajoute : « Même le quartier Rosemont qui a été un quartier populaire dans le passé s’embourgeoise peu à peu. Qu’est-cequ’on fait quand le quartier populaire est investi par des couples professionnels bien nantis ? Les familles doivent aller en région pour trouver un loyer ou y consacrer tropd’argent. Mais aller en région amène un isolement pour les familles pauvres qui n’ont pas de voiture, loin des villes, là où le réseau communautaire estparfois moins développé. »

Afin de contrer « la concentration excessive de la pauvreté dans certains quartiers », la Ville de Montréal propose la réalisation de grands projets immobiliersqui ne visent pas en premier lieu les familles à faibles revenus. Selon la Ville de Montréal, « des études ont montré que la concentration excessive de lapauvreté dans certains quartiers pouvait avoir un effet négatif sur les chances des personnes démunies d’améliorer leur condition ». Elle ajoute que « lapromotion de la mixité sociale peut atténuer cet effet négatif du milieu ou au moins, dans une optique préventive, éviter qu’il ne se développe», tout en permettant « d’assurer la vitalité économique d’un quartier ainsi que l’accès à des services de meilleure qualité».

Cette vision demeure contestée par les organismes communautaires. Ainsi que le soutient le Frapru dans son mémoire, « la revitalisation des quartiers populaires entraîneinévitablement des effets négatifs sur la population traditionnelle, à plus faible revenu, de ces quartiers : hausse du coût du logement, expulsions plus ou moinshabilement déguisées en « reprises de logement » et, en bout de ligne, obligation de quitter le quartier et parfois la ville elle-même. » L’organisme affirme que «la pratique des groupes a aussi démontré que le logement social représente la seule façon d’améliorer les conditions de logement dans les quartierspopulaires, tout en assurant le maintien en place de la population résidante à des loyers qu’elle peut payer ».

Que font les instances municipales et gouvernementales ?

À contre-courant en Amérique du Nord, le Québec est la seule province canadienne à investir autant dans le logement social. Le gouvernement du Québec a promis deconstruire 18.600 nouvelles unités d’ici 2008. Quant à la Ville de Montréal, elle a annoncé la construction de 5 000 logements sociaux d’ici 2010. Faceà la pénurie grandissante de logements abordables, le gouvernement québécois et la Ville de Montréal ont lancé, en 2002, l’opérationSolidarité 5.000 logements, qui consiste à réaliser à Montréal 5 000 logements sociaux et communautaires dans un délai de deux ans. Quoiqueréalisés en plus de temps que prévu, les objectifs ont été atteints. « Mais, qu’est-ce qui se passe après ? », questionne M. Saillant,s’inquiétant de l’avenir, à l’arrivée d’un gouvernement fédéral conservateur qui envisage de donner des déductions fiscales à despromoteurs privés. « Le gouvernement libéral provincial va-t-il suivre le pas ? » Les municipalités commencent à se préoccuper des enjeux liés aulogement. Et maintenant qu’un nouveau pacte fiscal vient d’être signé avec le gouvernement provincial, elles n’auront plus le prétexte de l’absence demoyens financiers.

Le gouvernement québécois offre également à près de 4.100 ménages à très faibles revenus l’accès à un programme desupplément aux loyers. « La hausse des coûts de construction, de rénovation, de services municipaux, d’énergie et de taxes pousse inéluctablement le prixdes loyers à la hausse. Même si aujourd’hui l’économie va bien et qu’une majorité de ménages s’enrichît, il restera toujours des genssous le seuil de la pauvreté pour qui le loyer représente une forte proportion de leurs dépenses. Des programmes de supplément au loyer viennent en bonne partie pallier leproblème », a déclaré Luc Courtemanche, président de la Corpiq.

Autre mesure créée pour arrêter la pénurie, un moratoire existe dans les villes de Montréal et de Québec sur la conversion de logements en nouvellescopropriétés. Mais il existe encore de nombreuses façons de contourner le règlement.

Des pistes de solution : le logement social et abordable

Comme le scandait François Saillant dans une manifestation : « Le logement n’est pas une marchandise, le logement n’est pas un privilège, c’est un droit. Pourque le logement soit un droit, il va falloir contrôler le marché privé mais il va falloir aussi développer des alternatives. » Mais quelles alternatives ? « Deslogements qui répondent à une autre logique, des logements de propriété collective, il y a un mot pour ça, c’est du logement social. »

Ces 30 dernières années, différentes formes de logements sociaux se sont développées au Québec : habitations à loyer modique, coopérativesd’habitations et autres formes de logement sans but lucratif. Aujourd’hui, près de 200 000 Québécois vivent dans un des 120 000 logements sociaux existants. La plupart deces logements permettent aux familles qui les occupent de consacrer environ 25 % de leur revenu au loyer.

Toutefois, la Corpiq s’oppose à la construction de logements sociaux. « Il faut éviter d’investir des millions de dollars dans la construction de nouveauximmeubles, martèle son président. Il s’agit d’une solution qui ne tient pas compte du fait que les problèmes en matière de logement locatif sont principalementd’ordre conjoncturel ou structurel. Il est donc préférable de mettre en place des mesures flexibles. »

Le Frapru propose quant à lui d’autres pistes de solutions. Il réclame que la Ville de Montréal créée une banque de terrains, à des fins de logementsocial. « Il s’agit là du moyen privilégié dont dispose la Ville pour s’assurer de la disponibilité de sites pour le développement de logementssociaux, surtout dans un contexte d’effervescence immobilière, comme c’est le cas aujourd’hui à Montréal. » Enfin, et c’est là, larevendication la plus complète et porteuse à long terme, les organismes communautaires revendiquent une véritable politique nationale d’habitation.

Le 1er juillet, Fête du Canada, est le jour où la grande majorité des déménagements québécois se réalisent. Il est arrivédans les dernières années de crise que des mesures d’urgence soient prises pour accueillir les familles qui n’ont pas trouvé de logement. Quoique ne résolvantpas le problème, ces mesures permettent d’éviter que des personnes se retrouvent à la rue. Cette année, le gouvernement provincial libéral n’a pas crubon d’en prévoir. Le 1er juillet risque d’être difficile pour les moins nantis.

1. Frapru
2. Corpiq

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