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Crise du logement à Bruxelles : actions, débats et propositions

Une fois de plus, la crise du logement bruxelloise focalise l’attention. Le secrétaire d’État bruxellois à l’Aménagement du territoire, Willem Draps,formule plusieurs pistes pour la résoudre. Ses solutions se traduisent au travers d’une politique d’Aménagement du territoire et d’une politique foncièreefficaces. Le Collectif COLERe, lui, dénonce l’impossibilité pour de nombreuses familles d’accéder à un logement décent. Les nombreux outils mis enplace ne suffisent pas. Enfin, le RBDH a organisé une Action bidonville dénonçant la situation du logement bruxellois.

28-07-2005 Alter Échos n° 151

Une fois de plus, la crise du logement bruxelloise focalise l’attention. Le secrétaire d’État bruxellois à l’Aménagement du territoire, Willem Draps,formule plusieurs pistes pour la résoudre. Ses solutions se traduisent au travers d’une politique d’Aménagement du territoire et d’une politique foncièreefficaces. Le Collectif COLERe, lui, dénonce l’impossibilité pour de nombreuses familles d’accéder à un logement décent. Les nombreux outils mis enplace ne suffisent pas. Enfin, le RBDH a organisé une Action bidonville dénonçant la situation du logement bruxellois.

Le 6 octobre, « journée mondiale de l’habitat », Willem Draps, le secrétaire d’État en charge de l’Aménagement du Territoire et de laPolitique foncière 1, a présenté une étude intitulée « Évolution et perspectives de l’offre et de la demande de logements dans laRégion de Bruxelles-Capitale ». Il avait commandé celle-ci à l’association momentanée CLI-STADIM. L’objectif de cette étude avait « pour butd’analyser les choix urbanistiques opérés jusqu’à présent dans le cadre de la production de logement, de vérifier les effets des politiquesmenées et d’initier les outils urbanistiques ou de politique foncière qui, le cas échéant, permettraient de dégager des pistes complémentaires enfaveur du logement. »

Pour le secrétaire d’État, cette étude a sa raison d’être : « Face à la croissance constante du prix de l’immobilier résidentieldepuis la fin des années 80, à la faiblesse du pouvoir d’achat moyen des Bruxellois et à leur appauvrissement au regard de l’évolution des revenus des deuxautres régions du pays et dans les pays voisins, la politique du logement est devenue une des grandes priorités du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Depuis plus dedeux ans, celle-ci s’est notamment traduite dans les textes au travers du plan régional de développement, le PRD, et en ce qui concerne plus particulièrement lamatière d’Aménagement du territoire dont j’exerce la compétence, au travers du PRAS. » Il voit dans ce dernier « un élémentrégulateur indéniable du développement urbain. Les études menées dans le cadre de l’Aménagement du territoire l’indiquent clairement.L’observatoire des bureaux soulignait notamment dans sa dernière mouture l’influence du PRAS dans l’endiguement du grignotage des bureaux sur les zones de logement. Cemême observatoire 2002 décelait également l’amorce d’un mouvement de reconversion de certains bureaux en logement. »

Constats, recommandations et concrétisation

Les auteurs de l’étude dressent plusieurs constats sur l’évolution des prix du logement bruxellois acquisitif et locatif :

> depuis 1994, la croissance démographique n’a fait l’objet d’aucune compensation en termes de construction de logements neufs. Cela a eu pour effetd’entraîner un déficit de production à partir de 1999. Du coup, la demande sur le bâti existant a fortement augmenté, entraînent une hausse des prix ;

> apparemment, « les divers élargissements de l’UE, l’évolution des revenus moyens des Bruxellois, du nombre d’habitants ou de logements produits nepeuvent individuellement expliquer les variations des prix des logements enregistrés au cours des dernières années. » Aucune corrélation n’a étédémontrée ;

> « depuis 1966, l’évolution des prix est plus forte en Flandre et en Wallonie qu’en Région bruxelloise ; le prix de vente moyen des appartements en Flandre estaujourd’hui supérieur au prix moyen des appartements à Bruxelles. C’est donc plus la crise de l’emploi et de la formation qui handicapent les Bruxellois àaccéder à un logement décent ou adapté que l’augmentation des prix » ;

> malgré le retour des habitants, le territoire bruxellois reste « peu dense ». « Le relevé de la situation existante du PRAS mentionnait, en 1998, 420 haconstructibles dans les seules zones mixtes et zones d’habitation. » Cela permettrait de « créer des surfaces importantes de nouveaux logements tout en conservant desgabarits raisonnables. »

L’étude se clôture par une série de recommandations visant à favoriser la production de logements au niveau régional :

> la création d’outils de mesure et d’information fiables, tels des tableaux de bord avec comme indicateurs le nombre de logements neufs (uni-familiale, appartements, etc.)autorisés par commune ou quartier ;

> l’exploitation de zones-leviers, à savoir des zones qui comptent des réserves foncières publiques et privées, sont facilement accessibles, etreprésentent un potentiel de développement résidentiel. Les zones retenues sont celles de Delta, Erasme, RTBF-VRT, Forest et Gare de l’Ouest ;

> l’optimalisation du foncier et du bâti existants, cela impliquerait la reconversion partielle ou intégrale d’anciens immeubles de bureaux en logements ainsi que larentabilisation des propriétés foncières d’immeubles commerciaux : réoccupation des logements vides au-dessus des commerces, construction de logements au-dessus ouà côté des super-marchés et de leurs parkings…

> la mise en place d’une ingénierie financière en faveur du locatif et de l’acquisitif, notamment via l’émission d’un emprunt long terme par lespouvoirs publics.

En vue de concrétiser ces recommandations, Willem Draps a décidé de mettre sur pied des tables-rondes axées sur les thématiques urbanistiques etfoncières. Celles-ci devraient rassembler des propriétaires de grandes surfaces commerciales, des promoteurs immobiliers et des investisseurs. « Contactés, la plupartd’entre eux ont déjà marqué leur intention de participer activement à cette réflexion et de collaborer à la mise en œuvre des outils qui enémaneront », conclut le secrétaire d’État. A ce jour, sept thèmes ont été retenus : 1) information et indicateurs (ex. : des tableaux de bordhebdomadaires à destination de la presse pour permettre à tous de suivre l’évolution du marché au travers d’indicateurs lisibles), 2) reconversion des siteséconomiques (conversion de bureaux en logements, valorisation des sites commerciaux), 3) régie foncière et terrains publics, 4) Zones – levier, 5) avenir des maisonsuni-familiales à Bruxelles, 6) partenariat public – privé et logement locatif, 7) impact de l’élargissement de l’UE sur l’offre et la demande delogements.

Locataires en colère

Le 14 octobre, le Collectif COLERe (Collectif Organisé des Locataires En Résistance)2 a organisé une manifestation devant le « Guichet unique du Logement» de la Région bruxelloise pour dénoncer son inefficacité. Ce dernier avait succédé en mars 2003 à la Bourse du logement, qui, jusqu’alors,proposait un listing d’adresses de logements à louer. Le nouveau guichet, lui, informe le public sur « tous les acteurs et les outils susceptibles d’améliorer lesconditions de logement en Région bruxelloise – outils régionaux (primes, accès au logement social, prêts émanant du Fonds du Logement, etc.), outils communaux etémanant du tissu associatif. » De plus, il se charge « d’orienter le public vers l’instrument le plus adéquat selon les besoins, la situation financièreet familiale de chacun. » Pour le Collectif COLERe, « les différentes orientations que prodiguent ce Guichet, bien loin de constituer des ‘passes’ pour les usagers, lesmènent plutôt à des ‘impasses’. En d’autres mots, ‘on’ les oriente vers des impossibilités ! »

Le secrétaire d’État bruxellois au logement, Alain Hutchinson, a tenu « à affirmer sa solidarité avec les familles touchées de plein fouet parl’augmentation des prix des logements à Bruxelles. » Il a réexpliqué les motifs qui ont conduits à la disparition de la bourse du logement : « La plupartdes relais associatifs affirmaient depuis des années que les informations diffusées par la bourse ne permettaient plus de venir en aide aux personnes en situation de demande delogement. En effet, entre le passage des fonctionnaires chargés du relevé et la mise à disposition des listes, la plupart des logements, et, bien entendu, les offres les plusintéressantes étaient déjà dépassées. » Le service avait également constaté :

> « que la location par voie d’affichette au fenêtre du bien à louer avait tendance à se raréfier au profit d’autres procédés(Internet, agence, bouche à oreille, petites annonces…) ;

> que de nombreuses affiches restaient en place pour tenter d’éluder la taxe sur les immeubles vides ;

> que le caractère obsolète des informations diffusées persistaient. »

Face aux critiques, le secrétaire d’État a aussi rappelé l’existence de nombreux outils : agences immobilières sociales (AIS), droit de gestion public, leplan d’avenir pour le logement, etc. Il admet que cela ne suffit pas. Dès lors, il réclame que « la conférence interministérielle sur le logement soitréunie et que des mesures d’encadrement des loyers soient prises dans les zones à forte intensité spéculative ».

Action Bidonville

Les 16, 17 et 18 octobre, c’était au tour du RBDH/BBRoW (Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat)3 de dénoncer la crise du logement àBruxelles au travers de l’opération « Action bidonville ». A cette occasion, les organisateurs ont construit un bidonville sur la place Anneessens dans le centre deBruxelles-Ville. Outre des animations, des débats ont été organisés. Celui du 17 octobre portait sur le logement et la pauvreté au niveau national. Lesinvitées étaient les députées fédérales Karin Lalieux (PS) et Anne Marie Baeke (SP.A), et la sénatrice Clotilde Nyssens (CDH). Karine Lalieux aannoncé qu’elle venait de déposer « une proposition de loi dans laquelle les propriétaires-bailleurs sont obligés de préciser le prix de location dansl’annonce et/ou l’affiche. Ceci devrait diminuer les prix établis ‘à la tête du client’ et permettrait d’établir une base de données des prix desloyers. »

En matière d’accès à la justice, Anne-Marie Baeke signale que « le SP.A est partisan d’une commission de médiation qui serait composée deresponsables de syndicats de locataires, et d’associations de propriétaires et qui serait présidée par un juge de paix. Cette commission pourrait intervenir dans unensemble de conflits sur les prix de location et fin de contrat avant la procédure en justice. » Notons qu’une procédure similaire a été adoptée par laloi-programme du 24 décembre 2002.

Le débat sur l’allocation de loyer a donné lieu à des prises de positions différentes. Le CDH a introduit une proposition de loi « pour l’octroid’un complément loyer au revenu d’intégration destiné aux familles à bas revenu » ; le PS serait plutôt partisan « d’une allocationloyer à condition que celle-ci soit lié à un loyer plafonné ainsi qu’aux revenus du locataire » ; et le SP.A estime qu’il faudrait accorderl’allocation loyer directement au propriétaire « à condition que le logement réponde à un ensemble de critères minimaux et que le loyer demandéne soit pas trop élevé. » Concernant le contrôle des loyers, la prudence est de mise. Une série de conditions devrait d’abord être remplies estiment lesdeux députées socialistes, tandis que la sénatrice CDH s’y oppose et encourage plutôt la production de logements pour entraîner une diminution des loyers.

Le lendemain, c’était au tour des politiques bruxellois de débattre des problèmes du logement.

Conclusion

Régulièrement, la « crise du logement » bruxelloise revient sur le tapis. De nombreuses solutions politiques et autres sont suggérées. Débats etactions sur le logement se multiplient. Toutes ces initiatives envisagent de débloquer la situation à long terme. Mais, c’est sur le court terme que fonctionnent les candidatsà un logement décent. La crise du logement risque de faire parler d’elle encore longtemps.

Témoignages rapportés par le Collectif COLERe

Madame Hochepied : Mère de quatre enfants, revenus du chômage. Expulsée en juillet 2002 – sans domicile fixe depuis cette date. Son mobilier est entreposéchez des amis. Loge chez sa belle-mère dans une seule chambre. Diverses interventions, dont celle du Secrétaire d’État, auprès des SISP. A ce jour, toutes les SISPconsidèrent son cas comme non-prioritaire. Aucune n’estime devoir recourir à la dérogation.

Madame Smeeks : Mère de trois enfants, au CPAS, occupe un logement insalubre (infiltrations d’eau) et inadapté. Le propriétaire, faute de moyens financiers,n’entreprend aucune réparation. Recherche dans le secteur privé : impossible car ses revenus sont trop faibles par rapport aux loyers en vigueur. Intervention auprès desSISP en cours.

Monsieur El Hadj El Omar Diallo : Un homme seul vivant dans une pièce de 5 m sur 1,50 m, sans eau ni chauffage. Une douche est installée sur le palier. Il n’y a pasd’eau chaude. Revenus du CPAS. Une lettre décrivant la situation a été envoyée à chaque organisme pouvant offrir un logement à loyermodéré.

Monsieur Koubee : Une famille avec 3 enfants qui vit depuis 20 ans dans un logement appartenant à la Régie Foncière de la commune de Saint-Gilles. Reçu un renonde 6 mois pour cause travaux comme n’importe quel propriétaire privé qui veut faire du profit. Aucune proposition de relogement dans les propriétés communales.Question : quel rôle doit jouer une institution publique si ce n’est de réguler les « excès» du marché privé du logement ?

1. Cabinet Draps, rue Capitaine Crespel 35 à 1050 Bruxelles, tél. : 02 508 79 11, fax : 02 514 48 60, site : www.draps.irisnet.be
2. Collectif COLERe, e-mail : collectifcolere@yahoo.fr, site : www.geocities.com/collectifcolere. Ce collectif regroupe : l’Union des locataires marollienne asbl, rue de la Prévoyance 56 à 1000 Bruxelles, tél./fax : 02 51287 44 ; l’Association des locataires de Molenbeek-Koekelberg asbl, rue de la Colonne 34 à 1080 Bruxelles, tél./fax : 02 410 29 65 ; et l’Union des locataires de Saint-Gillesasbl, avenue Henri Jaspar 131, tél. /fax : 02 538 70 34
3. RBDH-BBRoW, rue du Grand-Serment 2/1 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 502 84 63, fax : 02 503 49 05, site : www.rbdh-bbrow.be, e-mail : rbdh@skynet.be

Baudouin Massart

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