Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale
Model for a multi-story apartment house. Internationale Architektur. 1924.

À Tournai, un tiers des logements du CPAS sont vides, en attente d’une rénovation. À Molenbeek, 8% des appartements sont aussi inoccupés depuis plusieurs années. Le résultat d’une gestion qui pose question dans des communes où les besoins de logements sont pourtant criants.

C’est un bâtiment en brique rouge à moins de deux kilomètres du beffroi de Tournai, les garde-corps en verre fumé typiques des années 70 ne peuvent pas mentir sur son âge. Certains balcons sont fleuris par les seniors qui y vivent. Un logement de CPAS anodin et charmant en apparence. Mais sur les 71 appartements, moins de la moitié sont occupés par des locataires. L’immeuble, en attente d’une rénovation complète, n’est pas un cas isolé dans la cité tournaisienne, alors que 200 candidats sont en attente d’un logement du CPAS.

À Tournai, 200 candidats sont en attente d’un logement du CPAS.

Si 35% des logements du CPAS – 178 des 505 – ne peuvent plus être remis sur le marché locatif, c’est parce qu’ils ne répondent plus aux normes de sécurité, de salubrité, d’installation électrique et de chauffage. Laetitia Liénard (PS), la présidente du CPAS, estime que «chaque jour qui passe fait perdre de l’argent au CPAS, puisque les logements perdent de leur valeur en n’étant pas entretenus, sans compter la perte de loyer pour le CPAS. Les recettes sont en baisse: entre 200.000 et 300.000 euros par an». Lorsqu’en décembre 2018, elle reprend la présidence que Rita Leclercq (PS) a exercée pendant trente ans, Laetitia Liénard décide immédiatement de s’attaquer à la problématique des logements vides et à la stabilisation des finances dans une ville où 4% des habitants vivent avec le revenu d’intégration sociale. En juin 2019, un marché public est lancé pour réaliser une étude du parc résidentiel immobilier du CPAS, parc estimé à huit millions d’euros. «Il y a eu une négligence dans le passé, c’est certain et c’est très interpellant. En tant que pouvoir public, on doit pouvoir montrer l’exemple, reconnaît Laetitia Liénard. Il y a aussi eu une forme de naïveté en pensant que le CPAS pouvait tout rénover en interne avec quinze ouvriers.»

Objectiver les décisions

C’est le cabinet d’architecture Ariade qui est chargé depuis octobre de réaliser un inventaire de tous les biens immobiliers vides du CPAS. Le coût de cet audit sanitaire qui fournira une base de données informatisée est de 30.000 euros. Chaque logement va être analysé selon son état de vétusté, son isolation, le type de chauffage, la taille des pièces, le niveau d’éclairage naturel, et l’adaptation au type de public prévu. L’objectif pour le CPAS était d’obtenir un cadastre de son parc immobilier pour fin février et permettre aux autorités de décider si le bâtiment peut être conservé en l’état, simplement rénové ou s’il devra bénéficier de travaux beaucoup plus lourds, voire être démoli et reconstruit. Laetitia Liénard explique: «On veut pouvoir objectiver les décisions à l’avenir: est-ce qu’on garde cet immeuble ou le vend-on? Et si on le vend, combien doit-on investir pour pouvoir le mettre sur le marché et avoir un retour sur investissement afin de tenir un équilibre budgétaire?» Le CPAS, qui n’est plus en mesure d’emprunter, a en effet besoin de renflouer ses caisses pour investir dans la rénovation d’autres biens et pour se doter d’un fonds de réserve. Avec un budget annuel de 65 millions d’euros, le CPAS de Tournai est déficitaire depuis cette année.

«Chaque jour qui passe fait perdre de l’argent au CPAS, puisque les logements perdent de leur valeur en n’étant pas entretenus.» Laetitia Liénard, présidente du CPAS de Tournai

Si la Cité aux cinq clochers se lance dans cet inventaire, il est néanmoins difficile d’avoir un chiffre précis sur le nombre de logements vides au niveau des CPAS du sud du pays. Côté wallon, il n’y a pas de chiffres sur les logements vides des CPAS, à la différence de la région bruxelloise. À Bruxelles, le Code du logement impose en effet aux communes et CPAS de transmettre à Bruxelles Logement un inventaire de tous les biens immobiliers mis en location (ce qui n’est pas le cas des logements de transit, NDLR) et dont ils sont propriétaires. En 2018, sur les 9.536 logements communaux et CPAS du territoire régional, 235 étaient non loués et 480 en rénovation. Le cabinet de la secrétaire d’État à la Région de Bruxelles-Capitale chargée du Logement, Nawal Ben Hamou (PS), explique que, «pour la catégorie ‘non loués’, certains logements sont en cours de relocation, d’autres sont en convention d’occupation précaire en attendant le démarrage de travaux de rénovation» et rappelle que «si le nombre de logements réellement inoccupés dans les communes est donc très faible, surtout au regard des 15 à 43.000 logements inoccupés sur le marché privé, les autorités politiques locales sont elles aussi conscientes de la nécessité d’apporter une réponse à la crise du logement à leur échelle».

Des logements oubliés à Molenbeek

À Molenbeek pourtant, deux conseillers communaux Écolo ont dénoncé en novembre 2019 l’inoccupation depuis plusieurs années de 8 appartements sur les 96 logements du CPAS. À côté du parc du Scheutbos, à l’arrière du home du CPAS de Molenbeek, le centre public d’action sociale possède 16 logements situés rue de la Vieillesse heureuse. Destinés aux personnes âgées autonomes qui peuvent bénéficier des repas et activités du home adjacent, la moitié de ces appartements sont vides. Du côté du CPAS, on assure que quatre appartements sont déjà rénovés et seront loués pour le 1er mars, mais que les quatre autres nécessitent une rénovation plus profonde. Des travaux lourds  estimés pour un montant de 20.000 euros. «On espère pouvoir les relouer au 1er juin», affirme la présidente du CPAS, Gérardine Bastin (MR), qui explique que, si ces appartements ont été vides pendant plusieurs années, c’était dans l’attente du feu vert de la Région pour un projet de démolition du bâtiment, finalement refusé il y a deux ans.

«Des travaux de rénovation profonde en trois mois? La démonstration est faite que ce sont des travaux de moindre importance et qu’ils pouvaient être faits avant!» Karim Maioros, conseiller communal Écolo à Molenbeek

Le conseiller molenbeekois Karim Maioros (Écolo) s’étonne: «Des travaux de rénovation profonde en trois mois? La démonstration est faite que ce sont des travaux de moindre importance et qu’ils pouvaient être faits avant!» Le conseiller communal est convaincu que «le CPAS a oublié qu’il avait ces logements. Ils ne sont d’ailleurs pas repris dans la note d’orientation 2019, ni dans le budget pour un projet de rénovation, ni même sur le site web. Lorsque le projet de redéfinition de l’ensemble du site a été refusé, ils ont été oubliés et plus personne n’a pris l’initiative de les relouer jusqu’à notre sortie médiatique cet automne». Il est vrai que le CPAS aurait pu faire occuper des bâtiments de manière transitoire. Les occupations temporaires, en attente de travaux de rénovation, font désormais partie des dispositifs de la Région de Bruxelles-Capitale. Pour Nicolas Bernard, professeur à l’Université Saint-Louis et expert en politique du logement, «c’est une thématique qui a le vent en poupe, y compris en ce qui concerne les logements sociaux et du CPAS. Donc la commune aurait très bien pu envisager une occupation temporaire. Aujourd’hui, laisser des bâtiments vides pendant quelques années relève du non-sens. C’est du gâchis alors que les outils sont là pour permettre une occupation transitoire à Bruxelles».

Fanny Declercq

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