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Chômeur se sachant chassé (sans sa carte de pointage)

C’est, près de quinze mois après l’entrée en vigueur du Plan d’activation des chômeurs, un moment symbolique qu’a choisi la CSCbruxelloise1 pour présenter les conclusions qu’elle tire de ce dispositif phare de l’État social actif à la belge. Sa conférence de presse coïncidaiten effet presque jour pour jour avec celle de la suppression définitive du pointage. De là à dire qu’un mode de régulation et de contrôle remplacel’autre, et que la figure de l’engagement moral supplante celle de la disponibilité physique, il n’y a qu’un pas… que franchissent des sociologues comme Zygmunt Bauman ou Ulrich Beck -ajoutant qu’une des caractéristiques spécifiques de la nouvelle modernité qui est la nôtre est de faire reposer sur les individus, le poids de problèmes enréalité collectifs. Quelle meilleure illustration que ce Plan d’activation dont une évaluation approfondie – notamment qualitative – se fait attendre ?

14-12-2005 Alter Échos n° 199

C’est, près de quinze mois après l’entrée en vigueur du Plan d’activation des chômeurs, un moment symbolique qu’a choisi la CSCbruxelloise1 pour présenter les conclusions qu’elle tire de ce dispositif phare de l’État social actif à la belge. Sa conférence de presse coïncidaiten effet presque jour pour jour avec celle de la suppression définitive du pointage. De là à dire qu’un mode de régulation et de contrôle remplacel’autre, et que la figure de l’engagement moral supplante celle de la disponibilité physique, il n’y a qu’un pas… que franchissent des sociologues comme Zygmunt Bauman ou Ulrich Beck -ajoutant qu’une des caractéristiques spécifiques de la nouvelle modernité qui est la nôtre est de faire reposer sur les individus, le poids de problèmes enréalité collectifs. Quelle meilleure illustration que ce Plan d’activation dont une évaluation approfondie – notamment qualitative – se fait attendre ?

Cahiers gris

Si la mode éditoriale est au livre noir, la CSC a voulu jouer la nuance en publiant un « Cahier gris ». Considéré par le syndicat comme « un outil pourentamer une discussion avec les pouvoirs politiques », le « Cahier gris de l’activation des chômeurs bruxellois » se présente en deux parties : un rappel de quelqueséléments historiques et juridique indispensables à l’appréhension de la problématique, d’abord, des constats (nombreux récits de vie et de parcours dedemandeurs d’emploi à travers le processus d’activation) et des recommandations, ensuite.

Au rang des critiques, celle sur laquelle insiste le plus nettement la CSC est l’inefficacité du système, « Il suffit de regarder l’évolution des chiffres duchômage depuis la mise en place du dispositif. » Celui-ci n’aurait qu’un effet – et encore, marginal – sur les publics les plus proches de l’emploi. Si, selon le syndicat, lamontagne a accouché d’une souris, c’est bien en termes de créations d’emplois qu’il faut l’entendre. Car en matière d’exclusions, la réalité serait bien moinsinsignifiante. Même s’il est trop tôt pour tirer des conclusions générales à partir d’un échantillon restreint, les premiers chiffres de sanctionpubliés ne sont pas aussi anodins que le laissait entendre le nouveau ministre de l’Emploi Peter Vanvelthoven (SP-A) à la Commission des Affaires sociales de ce 8novembre2.

30 % d’évaluation négative par étape

Pour l’ensemble de la Belgique, au 30 septembre, ce sont 32.231 personnes de moins de 30 ans qui avaient passé un premier entretien de contrôle. Pour 9.737 d’entre eux, les effortsont été jugés insuffisants et ont donné lieu à la signature d’un contrat avec l’Onem, avec second entretien à la clé dans un délai minimum dequatre mois (souvent plus long en raison du retard accumulé par la procédure). Sur cet effectif de 9.737 demandeurs d’emploi, seuls 1.561 ont effectivement présenté unsecond entretien. Pour environ un tiers d’entre eux (506), les efforts ont à nouveau été jugés insuffisants, avec à la clé une suspension pendant quatre moisdu payement des allocations ou une réduction de celles-ci au taux « revenu d’insertion ». En extrapolant, on arrive donc à une moyenne de 9,6 % de demandeurs d’emploifinancièrement sanctionnés – chiffre contestable, à prendre avec de nombreuses pincettes (il ne tient en effet pas compte des chômeurs qui auraient retrouvé del’emploi entre le premier et le second entretien et ne se présentent donc pas au second) – mais seul chiffre dont on dispose en l’absence de données plus précises sur lestrajectoires des « activés ».

Selon la députée Écolo Zoé Genot, il conviendrait en plus d’y ajouter les sanctions prises sur la base d’informations transmises par les organismes de placementrégionaux (Orbem, Forem et VDAB), telles que la notification de l’absence à une séance d’information sur le Plan d’activation, organisée par ces mêmes institutions.Là encore, aucun chiffre n’est disponible, et les éventuelles suspensions qui pourraient en résulter ne sont pas comptabilisées dans le cadre de celles liées auPlan d’activation.

Par ailleurs, comme toute moyenne, le chiffre de 9,6 % agglomère des réalités vraisemblablement fort différentes, à commencer par celle qui sépare leschômeurs syndiqués des autres. Sans que des chiffres soient précisément cités, il apparaît que ces derniers sont plus fréquemment sanctionnés queles premiers. Une nouvelle aristocratie des chômeurs remplacerait-elle celle des ouvriers ? Dans le même registre des variations interindividuelles non traitées par les chiffresofficiels, la plate-forme Stop chasse aux chômeurs3 regrette que l’Onem fournisse un profil de l’ensemble des personnes contrôlées mais pas de celles qui sontsanctionnées – alors qu’il y a fort à parier que ces dernières figurent surtout parmi les socio-économiquement plus démunis et les moinsdiplômés.

Portrait du chômeur en sauteur de haies

Le parcours d’activation se laisse résumer en plusieurs étapes à franchir successivement. En cas de non franchissement, le demandeur d’emploi se voit contraint de signer uncontrat. Au cas où il n’en remplit pas toutes les clauses, les sanctions tombent. Après deux défauts successifs, c’est l’exclusion définitive.

Les chômeurs de moins de trente ans constituent le premier public concerné par l’activation (depuis le 1er juillet 2004). Le processus, cumulatif concerne désormaiségalement les moins de 40 ans (depuis le 1er juillet 2005). Quant au moins de 50 ans, ils entreront dans le système à partir du 1er juillet 2006.

Trois mois avant la première convocation, le demandeur d’emploi reçoit un courrier de l’Onem l’avertissant du nouveau dispositif. Lors du premier entretien, le facilitateur de l’Onemétablit un bilan de la situation individuelle du jeune (et bientôt du moins jeune), sur la base de données informatiques et d’informations communiquées par la personneelle-même. À l’issue de cet entretien, un rapport est co-signé par le facilitateur et le demandeur d’emploi. Si le premier juge suffisants, les efforts du second, ce dernier nesera pas reconvoqué avant 16 mois. Dans la cas contraire, un contrat est proposé au demandeur d’emploi (dont le refus est sanctionné par une baisse ou un retrait desallocations), qui l’engage à entreprendre une série d’actions de recherche active d’emploi dont la concrétisation sera vérifiée lors d’un nouvel entretienprévu quatre mois plus tard.

Au suivant

C’est en cas d’échec à ce second entretien que tombent les premières sanctions. Si le contrat est jugé non rempli, tous les cohabitants, ainsi que les chômeursbénéficiant d’allocations d’attente, verront ces allocations suspendues pour une durée de quatre mois. Pour les autres (chef de ménage et isolés), les allocationsseront diminuées au taux « revenu d’insertion », durant une période de quatre mois également.

Naturellement, le chômeur est sommé, durant ces quatre mois de sanction, de respecter les engagements pris en matière de recherche active d’emploi, à l’issue du1er entretien, et dont le non respect a été constaté au cours du second entretien : un nouveau contrat est d’ailleurs signé à cette fin. À l’issuede cette période – soit, théoriquement, huit mois après le 1er entretien, a lieu la troisième évaluation (la dernière du cycle). Si elle estpositive, le demandeur d’emploi recouvre tous ses droits initiaux aux allocations. Dans le cas contraire, il peut voir ses allocations supprimées. Cette suppression est direcement effectivepour les cohabitants ainsi que les chômeurs bénéficiant d’allocations d’attente. Les isolés et chefs de ménage se verront rétrograder au taux « revenud’insertion » pour une période transitoire de six mois, avant suspension. Pour recouvrer leurs droits, ils devront alors attester douze mois de travail dans une période deréférence de dix-huit mois.

À chacune des étapes de ce parcours d’obstacles, correspondent des possibilités de recours auprès de la Commission administrative nationale, ainsi que du Tribunal duTravail1.

1. Pour une vision plus détaillée de tout le processus, aller sur www.onem.fgov.be et cliquez sur activation

Une évaluation qualitative ?

C’est donc au cours du mois de novembre que la Commission des affaires sociales de la Chambre a pu entendre le nouveau ministre de l’Emploi, Peter Vanvelthoven (SP-A), présenter les premierschiffres du dispositif. Rappelons qu’avant les vacances parlementaires de juillet, il avait été question de mener une évaluation qualitative du Plan avec audition de travailleursde l’Onem (on sait que, à Bruxelles notamment, les démissions ont été nombreuses parmi eux), des syndicats, et des associations représentant les chômeurs.Avant son changement de fonction, la ministre Freya Van den Bossche (SP-A) avait promis de procéder elle-même à cette évaluation. Résultat ? Une annexeprésentée par Peter Vanvelthoven, et reprenant les avis de l’Onem, du Forem, de l’Orbem et du VDAB mais pas des syndicats, des facilitateurs, ni des chômeurs, donc. Uneévaluation qui laisse clairement les parlementaires sur leur faim. Ainsi Zoé Genot a redéposé une demande d’audition des acteurs non entendus. Du côté dugroupe PS, on reste favorable au principe de telles auditions et d’une évaluation qualitative, en ajoutant aussitôt qu’il s’agit de les mener en temps opportun – autrement ditlorsque l’échantillon de seconds entretiens sera plus important et que des conclusions d’ordre plus général pourront être tirées. « Demander uneévaluation qualitative maintenant – alors que toutes les conclusions qu’on pourrait en tirer seraient prématurées – c’est vider une cartouche pour rien. »

Suspendu au-delà de la suspension

Si une des difficultés d’évaluation provient du retard pris par le dispositif, ce même retard a également d’autres conséquences particulièrement lourdespour les demandeurs d’emploi concernés. Ainsi, selon la CSC, les quatre mois qui séparent un deuxième entretien négatif du suivant ne constituent qu’un minimumthéorique. Les entretiens prenant du retard, le délai est fréquemment allongé à cinq, six, voire sept mois. Pendant la période excédentaire, ledemandeur d’emploi est censé continuer à appliquer son contrat, sans pour autant échapper à la sanction (suspension des allocations ou réduction au taux «revenu d’intégration »), quitte, en cas d’évaluation positive, à récupérer rétroactivement les allocations qui ne lui auraient pas étéversées.

Face à de telles situations et à des résultats en termes de mises à l’emploi jugés décevants, le syndicat chrétien réitère son slogan« Pas d’emploi, pas de contrôle » et continue à résumer le Plan d’activation à un « parcours aberrant de recherches de preuves administrativesplutôt qu’un véritable parcours d’insertion. » En termes d’attentes et de revendications plus larges, le discours du syndicat chrétien n’a que peuévolué depuis la mise en place du plan d’activation. Sont ainsi principalement demandés :
• Des politiques sociales véritablement coordonnées et un véritable accompagnement des chômeurs, basé sur un parcours d’insertion clair et cohérent.
• L’institution d’un lien entre les lieux de formation professionnelle et les futurs centres de référence (équivalent bruxellois des centres de compétenceswallons).
• L’augmentation de l’offre de formation, singulièrement pour les peu qualifiés (alphabétisation et pré-requis de base) et en matièred’apprentissage des langues.
• Un véritable politique en matière d’accueil de l’enfance, dont le défaut continue à constituer un véritable frein à l’emploi (des femmes,principalement).

Très concrètement, et du côté des employeurs, le syndicat souhaite instaurer :
• L’obligation pour les entreprises intérimaires de délivrer gratuitement une attestation de présentation, dans l’hypothèse où elles nedélivrent pas d’attestation d’inscription. Méfiantes des demandeurs d’emploi leur réclamant une attestation d’inscription – et dont elles doutentévidemment de la sincérité de la démarche, elles refusent en effet fréquemment de délivrer ces attestations d’inscription.
• L’obligation pour toutes les entreprises de délivrer des attestations de recherche d’emploi et de répondre aux candidatures spontanées ou suscitées.
• La gratuité des frais de transport pour toutes les démarches inhérentes au plan d’activation.

Sur le plan de la réaction purement individuelle et de la protection de ces afiliés, signalons que le syndicat a développé un « outil de défense »sous la forme d’un agenda perpétuel contenant des renseignements en matière de législation, des compétences respectives de chacun des organismes (la confusion entre lesmissions de l’Onem et de l’Orbem demeure fréquente à Bruxelles). S’y trouvent également des formulaires d’attestation de recherche d’emploi à faireremplir par l’employeur ainsi que des pages agenda permettant de noter toute démarche entreprise qui ne déboucherait pas sur une preuve écrite.

1. CSC Bruxelles, rue Pletinckx, 19 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 508 87 11 – fax : 02 508 89 99 – courriel : bruxelles@acv-csc.be

2. Le compte rendu intégral est disponible sur le site de la Chambre
3. Plate-forme contre le projet de chasse aux chômeurs – C/O. Collectif solidarité contre l’exclusion, rue Philomène, 43 à 1030 Bruxelles – tél. : 02 218 09 90 -courriel : contact@stopchasseauxchomeurs.be – site : www.stopchasseauxchomeurs.be

Edgar Szoc

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