Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Proposer à des travailleurs sociaux d’interroger des acteurs des politiques publiques, voilà bien une démarche qui ouvre les yeux. Surtout quand les personnalités rencontrées ne sont pas des mandataires mais des experts, des partenaires sociaux, des hauts fonctionnaires, etc.

Anciens collaborateurs d’Alter Échos, nous sommes chargés d’un cours sur les enjeux des politiques publiques en 1er master en ingénierie et action sociales à l’IESSID, la catégorie sociale de la Haute École Paul-Henri Spaak à Bruxelles. Le cursus est à horaire décalé et les étudiants sont soit de futurs professionnels du social, soit des assistants sociaux en reprise d’études, ces derniers étant majoritaires. Nous avons mobilisé notre quarantaine d’étudiants dans un exercice d’interview. Alter Échos reprendrait les articles s’ils correspondaient à ses standards : ouf, les voici donc ! Du moins sous forme de florilège, https://www.alterechos.be la version intégrale étant à découvrir en ligne, en lecture gratuite, du 5 au 12 février.

Le cours a comme ambition de montrer comment se construit la décision politique, et les questions de toutes sortes que cela pose. Il s’est donc agi de demander aux mécanos d’ouvrir le capot, de regarder avec eux ce qui se passe dessous, et de mettre au jour les tensions et rapports de force sous-jacents, souvent masqués par la communication officielle. Les questions posées sont aussi significatives que les réponses données. Comment fonctionne un cabinet ministériel ? Le modèle belge privilégie-t-il trop le consensus au détriment de confrontations en public ? Est-il vrai que le gouvernement Di Rupo fonctionne pratiquement comme un gouvernement d’exception ? Qu’est-ce qui continue à maintenir les piliers ? Les politiques sont-elles évaluables ? Qu’est-ce qu’une réforme réussie ? Il y en aura pour tous les goûts.

 Que soient ici très vivement remerciées les personnes qui se sont prêtées à ce rôle de passeur, toutes sans aucune hésitation.

Bonne lecture !

Edgar Szoc et Thomas Lemaigre

Éric Buyssens, FGTB Bruxelles

L’évolution (du plan d’accompagnement des chômeurs) relève du « phénomène de la moulinette ». Par exemple, en ce qui concerne le PTP (Programme de transition professionnelle, des contrats d’insertion à durée déterminée), on part du constat qu’il n’y a pas d’emploi pour les jeunes qui sortent de l’école. En tant que travailleur de terrain, j’ai fait des propositions au cabinet du ministre. Cependant de la conception à la mise en œuvre du projet, il y a eu environ quatre ans d’attente. Le projet a été dénaturé par le politique et ne correspondait plus à l’idée de départ. En effet, il est passé par « la moulinette » de négociations et de compromis, pour finalement déboucher sur ce programme peu ambitieux que l’on connaît aujourd’hui. Et les titres-services, c’est pareil, la même logique. Une proposition arrive au cabinet Onkelinx (PS), les conseillers se proposent de négocier avec les partenaires libéraux. Puis, ils reviennent avec un projet incluant l’intérim. In fine, ce n’est pas la philosophie de départ qui a été retenue.

Benoît Van der Meerschen, Centre d’action laïque

Aujourd’hui, le problème du politique c’est selon moi qu’il est trop souvent dans une logique de l’éjaculateur précoce. On se fait plaisir, et on laisse l’autre en plan. Cette logique est malheureusement trop fréquente. Il y a de plus en plus de législations émotionnelles. Un fou furieux tire à Anvers, on fait une législation sur les armes. Un gamin se fait poignarder à la gare Centrale, on modifie les lois sur la protection de la jeunesse. On a rassuré la population en instaurant un nouveau cadre légal, mais on n’a jamais vérifié son efficacité, sa pertinence et sa fiabilité dans le temps. Souvent, on ne règle rien en apportant une réponse immédiate. Même constat dans d’autres domaines, et certainement dans les rapports Nord-Sud, et dans tout ce qui concerne les droits de l’Homme au sens large. On invoque sans cesse la performance alors même que l’évaluation des politiques publiques est notoirement insuffisante en Belgique, et qu’on s’occupe peu de savoir si les mesures mises en œuvre participent réellement à la résolution des problèmes qu’elles sont censées résoudre. Le secteur associatif est un secteur particulier. On imagine que ses objectifs sont désintéressés, qu’ils vont transcender les aspirations humaines, les intérêts institutionnels. Or c’est un monde d’ego surdimensionnés, où existent aussi beaucoup de rivalités. Et parfois, les rivalités structurelles cachent les rivalités personnelles.

Claude Debruille, ex-DG du SPF Justice

J’ai toujours soutenu que (notre) législation antiterroriste était inacceptable, c’est pourquoi j’ai déposé des amendements allant à son encontre. Cela a failli me coûter ma place. Après avoir pu plaider ma cause en référé, j’ai été réinstallé dans mes fonctions de directeur général. À partir de ce moment, le ministre de la Justice Marc Verwilghen (VLD) n’a plus eu de contact avec mon administration. Il a fallu dès lors deviner les instructions. Pendant près d’un an, il a bloqué tout le processus Copernic de réforme de la fonction publique et il n’y a plus eu de dialogue, jusqu’à son départ, à la fin de son mandat. Il a été un des plus mauvais ministres de la Justice que j’ai connus. C’est vrai que ma note (de propositions et de critiques) est sortie dans la presse, je n’en fais pas mystère, c’est moi qui l’ai fait paraître.

Christine Deconinck, ancienne secrétaire de la Fédération des CPAS de l’AVCB

Je ne pense pas que la fusion (des communes) améliorerait les choses pour le citoyen sauf à considérer qu’il s’agirait dans cette fusion de viser les « économies d’échelle ». Dans son action locale et territoriale, le CPAS est proche du citoyen, il peut répondre à ses besoins. En fusionnant les communes, et par-delà les CPAS (et pour cela, il faut modifier une loi fédérale !), on vise la création d’un « gros CPAS » avec des antennes. Nous serons confrontés à une grosse structure qui va devenir, à mon sens, très bureaucratique. Je crains que l’on réduise le champ d’action du CPAS à l’octroi d’une allocation sociale. Tout le travail d’intégration, d’activation et d’insertion serait gommé. Dans cette logique, je crains que les CPAS tels qu’ils existent aujourd’hui disparaissent du paysage. S’ils devaient être réduits à une caisse d’allocations sociales, leur existence en qualité de service social de proximité n’aurait plus de sens. Cela induirait une réorientation de l’accompagnement social vers le monde associatif et caritatif et donc vers le privé.

Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris

Lorsque des décisions sont prises au niveau de l’Onem en matière du contrôle des chômeurs, nous sommes consultés mais, par contre, nous avons très peu d’influence. Un exemple concret : le gouvernement fédéral, pour toute une série de matières en termes d’emploi, a pris deux types de décisions. La première était de rendre dégressif le montant des allocations de chômage, la deuxième portait sur le stage d’attente qui, de neuf mois, est devenu un stage d’insertion de douze mois. Vous avez probablement entendu l’avis de la FGTB qui trouve cela aberrant. À partir du 1er janvier 2015, nous aurons 55 000 chercheurs d’emploi qui touchent aujourd’hui le chômage et qui se retrouveront sans ressources financières pour émarger aux CPAS. Pour ce genre de décisions, je ne suis pas consulté en tant que directeur général d’Actiris.

Michel Colson, député FDF, président de la Fédération des CAPS de l’AVCB

L’autonomie dont disposent les CPAS engendre une espèce de jalousie des municipalistes à l’égard de leur CPAS. La cause principale étant le huis clos : « On ne sait pas ce qui s’y passe…, ils jettent l’argent par les fenêtres », disent-ils… Il y a donc une méconnaissance, une méfiance mutuelle et donc, oui, il est souvent plus facile d’expliquer que les déficits structurels communaux sont dus à quelque chose qu’on ne maîtrise pas totalement (donc aux CPAS), plutôt que de regarder dans sa propre assiette. Or des outils légaux sont là pour dépasser cette méfiance, mais ce n’est qu’une question d’hommes et de femmes, d’opinion politique et de génération.

Michel Colson, député FDF, président de la Fédération des CAPS de l’AVCB

Ce gouvernement (fédéral) n’est définitivement pas un gouvernement de concertation. Il a peut-être des raisons objectives : ils ont mis un certain temps pour arriver, ils ont donc peu de temps pour y réussir. Il ne faut pas non plus perdre de vue que c’est un gouvernement d’union nationale, que tout le monde y est et que forcément, les compromis internes sont si sensibles qu’on ne peut y toucher. On comprend donc aisément que dans leur mode de fonctionnement, la concertation… c’est à la limite du temps perdu.

Olivier Petit, inspecteur des finances

 En règle générale, on ne veut pas évaluer une politique si on sait que l’évaluation sera négative, ou si on n’a pas de solutions alternatives. Ça arrive régulièrement de ne pas trop rentrer dans les détails ou de cacher le fait que ce n’est pas ce qu’il faut car s’il fallait changer, il faudrait trouver l’argent et l’argent n’existe pas. Les évaluations nécessitent tellement d’hypothèses de travail qu’elles sont contestables politiquement de façon très facile. C’est important d’avoir un lieu neutre politiquement pour autant que ça existe. Qui va être l’évaluateur ? Le grand scientifique évaluateur ? Il n’existe pas. Les acteurs démocratiques ont tous des intérêts et donc si on les met ensemble autour de la table, ils peuvent se neutraliser et se modérer mutuellement, mais ce n’est pas simple non plus d’arriver à un consensus. Personnellement, je n’ai pas encore vu une évaluation qui en tant que telle était vraiment une aide à la décision. Je suis sidéré de constater que pour à peu près toutes les politiques comme, par exemple, la politique de l’emploi, c’est vraiment effrayant, il n’y a jamais d’évaluation de quoi que ce soit. Il y a des données, des chiffres, des convictions mais on est dans le domaine de l’opinion. Je ne veux pas vous décourager mais faire de l’évaluation, c’est un boulot très pénible. C’est très compliqué de produire de bonnes évaluations qui seraient en plus consensuelles et auraient un impact sur la politique.

Alda Greoli, secrétaire nationale de la Mutualité chrétienne

Même si l’accord des présidents de partis francophones prévoit de tout faire pour limiter la concurrence entre Régions, il est difficile de croire que des hommes politiques qui doivent se justifier aux prochaines élections ne vont pas se concurrencer. Plus vous multipliez les tas de fumier, plus vous avez de chance que certains se sentent des envies d’être des coqs ! Je ne vais prendre qu’un seul exemple : on va régionaliser les conventions paritaires liées aux infirmiers. Et demain, nous le savons, nous allons manquer d’infirmiers. La Flandre va avoir sa convention collective de travail. Bruxelles, les germanophones et la Région wallonne aussi (NDLR comme c’est le cas depuis plus de vingt ans dans la plus grande partie du non-marchand). De plus, ce sont des emplois largement subventionnés. À un moment donné, l’infirmier va peser dans la balance ses avantages financiers dans telle ou telle région et va choisir en fonction de cela. Et donc, la concurrence va être réelle.

Thomas Lemaigre

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)