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Etudes

Bourses d’études : Kafka pour les allocataires sociaux

Depuis deux ans, certains allocataires sociaux ont vu le montant de leur allocation d’études divisé par trois. En cause, une nouvelle interprétation du décret. À moins qu’il s’agisse d’une volonté politique pour faire des économies. Difficile d’y voir clair.

Samuel_Zeller, Unsplash

Depuis deux ans, certains allocataires sociaux ont vu le montant de leur allocation d’études divisé par trois. En cause, une nouvelle interprétation du décret. À moins qu’il ne s’agisse d’une volonté politique pour faire des économies. Difficile d’y voir clair.

Caroline (prénom d’emprunt) ne décolère pas. Usagère du CPAS de Charleroi et bénéficiaire du revenu d’intégration sociale (RIS), c’est peu dire que cette mère de trois enfants ne roule pas sur l’or. Deux de ses filles sont actuellement scolarisées dans l’enseignement secondaire. Pour chacune d’entre elles, Caroline percevait, jusqu’à il y a deux ans, une allocation d’études de 600 euros par an qui s’ajoutait à son RIS.

Pas de quoi quitter la précarité bien sûr. Mais un petit coup de pouce bienvenu pour élever ses enfants et leur permettre de suivre une scolarité normale. Jusqu’à une mauvaise surprise arrivée dans sa boîte aux lettres à la rentrée 2018. Un courrier de l’administration l’informant que l’allocation d’études, qui lui est octroyée, s’élève désormais à 200 euros par enfant au lieu de 600! Des dizaines d’autres familles seraient dans le même cas, partout en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Forfait

Plusieurs CPAS ont reçu des plaintes d’usagers ayant vu le montant de leur allocation divisé par trois d’un seul coup sans que leur situation économique ou familiale ait été modifiée. La raison de ce changement serait due à un nouvel arrêté d’application pour le décret organisant l’octroi des allocations d’études. Ce décret fixe une série de plafonds de revenus en deçà desquels une allocation peut être octroyée au demandeur. Plus les revenus du ménage sont élevés, moins le montant de l’allocation le sera.

«Pour les personnes bénéficiant du RIS, l’administration applique un autre système, explique Stéphanie Degembe, conseillère à la Fédération des CPAS wallons. Le RIS n’est pas pris en compte pour calculer les revenus du demandeur. Pour ces personnes, l’administration octroie donc un montant forfaitaire. Il était autrefois de 600 euros. Il est désormais passé à 200 euros, sans doute pour des raisons budgétaires.»

«C’est complètement aberrant, s’insurge Bernadette Schaeck, de l’Association de défense des allocataires sociaux (Adas). D’un côté, on revalorise le revenu d’intégration sociale de 40 euros. Mais de l’autre, on baisse l’allocation d’études de 400 euros par an. Est-ce qu’on veut vraiment mettre les personnes les plus précarisées à genoux?» D’autant qu’un ménage à faibles revenus, mais dont les revenus annuels dépassent ceux du RIS, reçoit – selon les règles édictées par le décret – une allocation d’études bien supérieure: 437,33 euros par enfant scolarisé dans l’enseignement secondaire pour une personne ayant deux enfants en charge, et dont le revenu annuel serait de 30.000 euros, par exemple.

Recours

Pourquoi un traitement différent pour les allocataires sociaux? La réponse n’est pas claire. Les fédérations des CPAS wallons et bruxellois ont envoyé un courrier au ministre de l’Enseignement supérieur Jean-Claude Marcourt (PS) pour l’interpeller à ce sujet. Les députés Philippe Henry (Écolo) et Michel Colson (Défi) ont également adressé – chacun – une question parlementaire au ministre. Mais la réponse donnée par ce dernier laisse quelque peu perplexe. «L’allocation forfaitaire constitue une possibilité, et non une obligation, et n’est appliquée que si elle est plus favorable au demandeur», répond ainsi Jean-Claude Marcourt à Michel Colson.

Mais dans le cas de Caroline, et dans ceux portés par les différents CPAS concernés, il est difficile d’imaginer que le montant de l’allocation forfaitaire soit plus favorable au demandeur qu’une allocation octroyée sur la base des revenus réels. «J’avoue ne pas comprendre comment l’administration fait ses calculs», indique ainsi Stéphanie Degembe.

Caroline a contesté cette décision en introduisant un recours auprès du Conseil d’appel de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les médiateurs fédéraux et communautaire ont également été saisis, de même que la Ligue des familles.

Par courrier, le médiateur de la Fédération Wallonie-Bruxelles a répondu à Caroline. Un courrier qui laisse peu d’espoir quant à l’issue du recours. «L’article 11 § 2 de l’arrêté du 21 septembre 2016 tel que modifié prévoit qu’il est attribué un montant forfaitaire lorsque le revenu est constitué du revenu d’intégration sociale (…), peut-on lire dans le courrier. Ce montant est octroyé automatiquement sans laisser de pouvoir d’appréciation à l’administration (…). Dès lors, la décision prise dans votre cas est, je le regrette, fondée. Néanmoins, je partage votre point de vue et considère que le même montant doit être octroyé à chaque demandeur ayant les mêmes revenus sans faire de distinction selon l’origine de ces derniers.»

Le médiateur indique avoir interpellé le cabinet du ministre pour demander une modification de la réglementation dès la rentrée scolaire prochaine. Mais comme chacun le sait, des élections sont prévues entre-temps…

Grégoire Comhaire

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