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Bilan des États généraux de la culture : clap deuxième !

Le 9 mai dernier, la ministre de la Culture et de l’Audiovisuel, Fadila Laanan (PS), a déposé au gouvernement de la Communauté française, une noted’évaluation des « Priorités culture » issues des États généraux de la culture (EGC)1 menés de décembre 2004 àjuin 2005. La ministre s’accorde un large satisfecit proche de la grande distinction. N’est-ce pas normal pour un plan qu’elle a elle-même mis au point il y après de trois ans ? Inspection d’un chantier nommé « Culture ».

23-05-2008 Alter Échos n° 252

Le 9 mai dernier, la ministre de la Culture et de l’Audiovisuel, Fadila Laanan (PS), a déposé au gouvernement de la Communauté française, une noted’évaluation des « Priorités culture » issues des États généraux de la culture (EGC)1 menés de décembre 2004 àjuin 2005. La ministre s’accorde un large satisfecit proche de la grande distinction. N’est-ce pas normal pour un plan qu’elle a elle-même mis au point il y après de trois ans ? Inspection d’un chantier nommé « Culture ».

En 2004-2005, les États généraux de la culture furent un large débat, intersectoriel, décloisonné et transversal, constitué de 24ateliers-rencontres et accompagné par un site web (http://www.forumculture.be) toujours en ligne, où vous pouveztélécharger le document d’évaluation de la mise en place depuis deux ans. À l’époque, il a abouti à une note d’orientation intitulée« Priorités culture » adoptée par le gouvernement le 7 novembre 2005, qui sert de base de départ à l’évaluation. Ce document listait cinqpriorités : améliorer la gouvernance publique ; assurer la diversité culturelle et la création ; valoriser la culture ; l’accessibilité et la participation detous ; améliorer le financement du secteur.

Les EGC avaient largement mobilisé le Landerneau culturel. Sceptiques, les opérateurs culturels et les artistes avaient néanmoins participé massivement à cettemesse médiatique. L’objectif de refonder les politiques culturelles était peut-être un peu trop ambitieux, mais les EGC ont néanmoins accouché d’un planpluriannuel assez sérieux, même si fragile car au financement non assuré. Deux ans plus tard, où en est-on ? Selon la ministre, le plan se met en place rapidement etsérieusement1. Pour les opérateurs, le bilan est plus mitigé.
Cinq priorités figuraient au menu des « Priorités culture ». Au premier rang, l’amélioration de la gouvernance publique. Diverses mesures ont étélancées comme la révision des relations contractuelles entre les opérateurs et la Communauté française par l’organisation des conventions et descontrats-programmes2 en deux volets : l’un portant sur le concept d’opérateur en ordre de marche et l’autre sur sa dimension culturelle. Cette idée aété concrétisée dans les nouveaux contrats-programmes adoptés et les budgets réservés ont été légèrement supérieursà ce qui avait été annoncé.

Place aux artistes

Deuxième priorité issue des EGC, assurer la diversité culturelle, notamment en rendant leur place aux artistes. Les questions sociales et fiscales dépendentévidemment largement du fédéral. La situation a – on s’en doute – peu évolué depuis les élections de juin 2007. Parmi les idéesprincipales : un guichet unique pour informer les artistes de leurs droits et des législations. Un groupe de travail associant les syndicats, les chambres patronales et des associationsprofessionnelles a planché sur la problématique. « La question de la nature de l’information est cruciale. Le groupe de travail a demandé qu’une commissioncomposée des principales administrations concernées statue sur un point de référence unique en matière d’information », nous explique Pierre Burnotte,administrateur délégué de Smart3. Les choses avancent donc lentement. L’enjeu n’est pourtant pas mince. « Il existe une cotisation socialeprélevée sur les contrats d’artistes dont un pourcentage doit servir au financement de la formation et de l’information. En Flandre, un accord social existe et finance leskunstloket. Trouver un tel accord permettrait de dégager deux millions d’euros pour l’information des artistes », précise Pierre Burnotte.

Quant au statut fiscal, la ministre regrette là aussi la lenteur de la mise en place du gouvernement fédéral. Elle devrait se réjouir de la réelle avancéeconstituée par l’adoption en commission du Sénat de la proposition de loi Monfils concernant le taux d’imposition pour les droits d’auteurs. Dans les grandes lignes,la proposition de loi adoptée par la Commission prévoit que les revenus de droits d’auteurs et de droits voisins ne seront plus globalisés avec les autres revenus de l’artistemais feront l’objet d’un précompte mobilier libératoire de 15 %. De plus, l’artiste aura la faculté de déduire des frais forfaitaires selon une clé proportionnelleà la hauteur de ses revenus. « Cette proposition permettra une clarification pour les artistes. Cela apportera une plus grande sécurité juridique », soutientl’administrateur délégué de Smart4.

Les jeunes créateurs

Les jeunes créateurs figurent en bonne place dans le champ des Priorités culture. Parmi eux, la ministre a fait le choix de soutenir particulièrement les jeunes des «musiques actuelles » en mettant en place un réseau de petits lieux de diffusion baptisé Plasma (Plate-forme sonore des musiques actuelles)5. Outre uneamélioration des subventions, la ministre a négocié des aides à l’emploi avec la Région wallonne qui a permis de renforcer l’action de ces lieux.

Autre secteur émergent : les arts forains – les arts de la rue et les arts du cirque. La proposition issue des EGC était particulièrement faible : un rattrapage del’index et puis une indexation. Pour un secteur reconnu par un décret promulgué par le ministre Picqué en 1999 et peu développé par les ministreslibéraux depuis lors, on pouvait s’attendre à mieux. La ministre a finalement fait un peu mieux en accordant environ 60 000 euros d’augmentation par an. « On ne peutque constater l’absence de volonté politique de développer ce secteur. Pour preuve, les compagnies de théâtre forain restent au départementthéâtre », nous glisse un administrateur de la Fédération des arts de la rue (FAR)6. L’exemple de la compagnie Feria Musica, la compagnie de cirquedont le spectacle Le Vertige du papillon a fait le tour du monde, est criant. À lui seul, il nécessiterait l’ensemble des moyens supplémentaires alloués ausecteur. « Pour notre secteur, les EGC ont été une occasion ratée. Nous allons vers les dix ans du décret l’an prochain et préparons uneréflexion qui aboutira à des propositions concrètes pour la prochaine législature », conclut-il sur une note plus positive.

Dans le domai
ne des arts de la scène, Fadila Laanan peut s’enorgueillir d’une récente excellente initiative en lançant les Espaces jeunescréateurs7 à Ixelles en partenariat avec les nombreux lieux culturels de cette commune (Théâtre de l’L, Théâtre Molière, ThéâtreMarni, XL Théâtre, Flagey, Chapelle de Boendael et Petit Théâtre Mercelis). Concrètement, ces partenaires assureront l’accompagnement professionnel des premiersprojets d’artistes de Bruxelles et de Wallonie, retenus par un comité de sélection et d’accompagnement : mise à disposition d’espaces de répétition, conseils,encadrement, échanges critiques, mise en contact avec des professionnels belges et étrangers, etc. Michèle Braconnier, directrice du Théâtre de l’L, assurerala coordination de la structure grâce à une subvention complémentaire de 143 000 euros.

La charte de déontologie

Dans ses priorités, la ministre n’avait pas oublié un élément crucial des dispositifs culturels : le public. Elle a fait adopter une charte de déontologiedes opérateurs culturels. « Je suis un peu à la base de cette idée », avoue Bernard Hennebert, journaliste indépendant et animateur deConsoloisirs.be8, site d’information et de défense des consommateurs de culture. « Il y a quelques années, j’avais été choqué del’absence de prix sur le matériel de promotion d’une expo consacrée au Chat de Geluck qui se déroulait à l’Autoworld. La seule manière des’informer était d’appeler un numéro 0900, donc surtaxé. De plus, le matériel ne mentionnait pas d’éditeur responsable. J’ai provoquéle débat en écrivant à Henry Ingberg, secrétaire général de la Communauté car le logo de la Communauté française était finalementla seule information claire dont je disposais. » La missive provocatrice a lancé le débat et une réflexion associant Test-Achats, le Crioc (Centre de recherche etd’information des organisations de consommateurs) et d’autres associations a duré pendant un an. Au bilan, un texte qui est censé être présent dans tous les lieuxsubventionnés par la Communauté. « Cela ne fonctionne pas trop bien. Selon le bilan du cabinet, il n’y a pas de plaintes, mais il faut aussi admettre que le dispositif estpeu connu des utilisateurs. C’est le problème d’une initiative permanente, les médias en parlent une fois et puis, le dispositif retombe aux oubliettes. On vit le mêmephénomène dans un autre projet que je défends : la gratuité des musées le premier dimanche du mois. Les gens manquent d’information. Il faudrait un site web,des opérations de mise en exergue d’une œuvre, des spots récurrents dans les médias et une newsletter pour ceux qui participent. Je le fais un peumoi-même dans ma newsletter, sans aucun moyen, et j’ai réussi à mobiliser 400 personnes au Musée d’Ixelles un dimanche. D’ordinaire, il enaccueille cinquante ! », conclut l’empêcheur de consommer la culture en rond.

Un chantier institutionnel

Enfermée dans le corset étroit de la Communauté, la culture doit évidemment beaucoup aux autres niveaux de pouvoir. La ministre a relativement bien joué desrelations avec la Région wallonne comme on l’a vu dans son plan pour l’emploi des musiques actuelles, mais aussi par la possibilité que des projets culturels soientintroduits aux fonds structurels. « C’est une belle reconnaissance qui donne accès à des financements très importants. La Région wallonne a trèscorrectement joué le jeu avec nous », soutient Martine Lahaye, chef de cabinet-adjointe de Fadila Laanan.

La ministre espère toujours signer un accord de coopération avec la Flandre. Elle annonce qu’un accord se dessine entre les Communautés et qu’une ultimeréunion devrait bientôt finaliser l’accord. Méthode Coué ? On reste surpris par un tel idéalisme tant la matière est sensible. « Un texte existe.Il évite les points les plus sensibles. Le climat tendu au niveau communautaire n’aide pas à le sortir maintenant. On doit en reparler avec le ministre Anciaux et voir sil’on peut finaliser», nous explique la collaboratrice de la ministre.

Par ailleurs, les EGC voulaient clarifier les relations avec les institutions fédérales. Mais le gouvernement a estimé que la situation était suffisamment claire. Lerécent exemple du Rideau de Bruxelles vient malheureusement contredire cette conclusion optimiste. La compagnie subventionnée par la Communauté est hébergée auPalais des Beaux-Arts, institution fédérale depuis sa création. Les travaux retardés la mettent aujourd’hui dans une situation insoluble qui l’a conduiteà annuler des représentations de la création d’Elseneur par Frédéric Dussenne. « Le Rideau se sent bien au Bozar. La nouvelle direction a envie decollaborer plus avec eux. Le chantier est complexe et en retard. C’est un accident de parcours. On ne doit pas en tirer des conclusions institutionnelles », tempère la chef decabinet-adjointe.

Et les budgets ?

Au niveau budgétaire, le refinancement prévu promettait 5,25 millions d’euros en 2006, 10 millions en 2007 et 20 millions en 2008. Y est-on arrivé ? Il n’est pasfacile de comparer les objectifs et la situation actuelle car la compétence en matière de jeunesse a été transférée en cours de route au ministre MarcTarabella. Le bilan de la ministre reprend les chiffres mesure par mesure, sans précision sur la situation générale. L’addition des mesures ne semble pas tout-à-faitfaire le compte, même si le refinancement général est une réalité : depuis l’arrivée de Fadila Laanan en 2004, le budget général de laculture a augmenté globalement de 15 %.

En matière de budget, une question a secoué les autres opérateurs : le refinancement du Manège à Mons, passant en trois phases, de quelque 2 500 000 euros desubvention annuelle en 2006 à 5 100 000 à partir de 2009. La candidature de Mons 20159 a en tout cas rempli l’un de ses objectifs : donner à la politique culturellemontoise des moyens nouveaux. On remarquera au passage que les grosses institutions ont été finalement assez bien refinancées depuis la tenue des EGC. Ainsi leThéâtre national passe de 4 700 000 euros en 2006 à 6 400 000 en 2010. Ou encore le Théâtre de la Place à Liège qui passe, aussi en cinq ans, de 1 440000 à 2 440 000 euros. « Le Théâtre national venait d’emménager dans de nouveaux locaux dont le fonctionnement s’avérait coûteux. Sonrefinancement était nécessaire. Quant au Théâtre de la Place, c’est le seul théâtre liégeois d&rs
quo;importance et il prend à cœurson rôle de centre dramatique travaillant avec les jeunes artistes », défend Martine Lahaye. En comparaison, le budget réservé à l’aide aux projetsthéâtraux des compagnies non conventionnées n’a pas augmenté depuis l’an 200010.

Fadila Laanan mène donc sa barque en gardant le cap. Elle défend valablement son secteur et sa politique qui fait la part belle aux grosses institutions, même si elles’en défend. « N’oublions pas que l’accord du non-marchand profite à tous les secteurs, que nous avons développé un plan pour lethéâtre-action, que nous avons refinancé l’ensemble du secteur de l’éducation permanente, les musées et les centres culturels », soutient MartineLahaye sans préciser néanmoins la répartition entre grands et petits opérateurs dans ces politiques-là.

Parallèlement, la ministre s’attache à mettre en valeur les jeunes artistes, les petites associations et de nouvelles initiatives. Mais prudemment, elle ne leur accorde pasvraiment de financement important. Les institutions ne sont-elles aussi là pour soutenir des projets émergents ?

Bilan globalement positif ? Incontestablement, le regroupement de la compétence sous un seul responsable a permis de gagner en cohérence. La ministre tient la ligne des Étatsgénéraux et a accumulé un sérieux bagage politique. Et après 2009 ? La rumeur dit que Fadila Laanan rempilerait bien. Elle serait incontestablement plus fortepolitiquement qu’il y a quatre ans. La question se posera dès juin 2009.

1. Site : http://www.forumculture.be/evaluation2007.php

2. Un contrat-programme est un contrat pluriannuel liant l’opérateur culturel aux différents pouvoirs publics subsidiants (en général la Communauté et laProvince). Son action y est globalement décrite ainsi que le montant de ses subventions. Le système fut mis en place dans les années ’80 pour répondre à undéficit généralisé des théâtres.
3.Smart :
– adresse : rue Émile Feron, 70 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 542 10 80
– site : www.smartasbl.be
4. http://www.smartasbl.be/newsdetail.php?lang=fr&param1=206
5. Club Plasma /// Court-Circuit asbl
– adresse :c/o Maison des musiques, rue Lebeau, 39 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 550 13 45
– site : www.clubplasma.be
6. FAR :
– adresse : rue Émile Féron, 70 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 534 66 16
– courriel : info@la-far.be
– site : www.la-far.be
7. Pour les modalités pratiques, consulter le nouveau site du Théâtre de l’L :
www.llasbl.be.
8. Consultez la charte avec un long commentaire de Bernard Hennebert sur http://www.consoloisirs.be/articles/lejournaldumardi/070703.html
9. Mons est candidate au titre de ville européenne de la Culture en 2015. Il est acquis qu’une ville belge le sera et Yves Leterme a récemment apporté son soutien àcette candidature.
10. L’ensemble des conventions des institutions culturelles peut désormais être consulté sur le site www.culture.be

Jacques Remacle

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